19 mai 2013



« Viens Esprit Saint »
 
 
«Pauvre Eglise!» s’exclame le jeune clerc sanglé dans son uniforme anthracite et chaleureusement approuvé par une équipe de jeunes couples appréciant la sentence.
«Pauvre Eglise ! Elle a abandonné ses pratiques séculaires, sa langue universelle, ses signes distinctifs et surtout l’affirmation claire de sa doctrine immuable. Elle a supporté ses prêtres sécularisés qui ont voulu se faire peuple et n’ont réussi qu’à l’éloigner de nos églises. Et ce Concile, dont on a fait la Loi et les Prophètes et qui a été si mal interprété!
Oui, nous, les jeunes générations nous payons les inconséquences de nos anciens mais, nous voilà sur le chantier, «réparateurs de brèches », et, Dieu aidant, nous referons catholique notre Eglise. D’ailleurs, l’Esprit Saint ne l’a jamais abandonnée et Il lui a donné en la personne de nos derniers souverains pontifes les chefs qu’elle attendait.»

« Pauvre Eglise!» me murmure au creux de l’oreille, ce vieux militant chrétien à la sortie d’une réunion clairsemée.
« Nous voilà revenus au temps des dentelles et des courbettes, de l’arrogance des héritiers et du mépris pour les vieux bergers fatigués, de la componction affichée et des chapes dorées, des processions chantées et des bannières déployées. Et ce Concile, qui avait soulevé tant d’espoirs, le voici soumis à la torture des interprétations, comme s’il n’était qu’une collection de vieux parchemins défraîchis.
Enfin, gardons courage ! L’Esprit Saint n’a jamais abandonné l’Eglise et le peuple chrétien saura bien garder le sens de la Foi malgré tout et tous ! »

Même constat au départ, même constat à l’arrivée. Entre les deux de quoi diverger, se soupçonner, s’invectiver, s’ignorer et peut-être se détester.
A moins que chaque clan retourne sur lui-même le mot « pauvre » et puisse dire avec l’adversaire : « Oui, pauvre Eglise car elle continue avec nos pauvretés, nos rigidités, nos légèretés et nos outrances à témoigner de Celui qui se révèle encore à ceux et celles qui sont en attente. Car le «Peuple est en attente», non pas d’une Eglise timorée ou triomphante, grincheuse ou souriante, ignorante ou savante, mais de Celui qui peut, comme un enfant, lui ouvrir un avenir.
Alors, les uns et les autres reconnaîtront qu’aucune langue ne peut, seule, exprimer Celui qui reste l’Ineffable et toutes resteront nécessaires pour se faire entendre des multitudes.
Aucune expression doctrinale ne pourra s’arroger, seule, le monopole de la Vérité et toutes les approches théologiques seront requises pour refléter un rayonnement de la lumière du Verbe.
Aucune liturgie n’atteindra, seule, l’intensité de la Sainte Cène, mais tous les rites s’y essaieront, et chacun pour sa part lèvera un coin du voile du mystère divin.

Pauvre et Sainte Eglise tout à la fois, qui continue à aller de l’avant avec et malgré nos sursauts et nos envasements, nos assauts fracassants et nos chutes vertigineuses, nos arrêts fréquents et nos changements de direction.

Jamais l’obscurité de la nuit de Bethléem n’éteindra le scintillement de l’étoile des mages dans le ciel du peuple en attente. Et au terme de son long voyage, la lumière falote des lanternes des bergers de la première Eglise suffira pour lui désigner « l’enfant couché dans une mangeoire ».
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.