24 mai 2011




Terre sainte.

Le dimanche soir vous arpentez les dédales de Roissy, attelés à vos valises à roulettes, les yeux hypnotisés par les panneaux indicateurs, maugréant contre les hésitants qui « bouchonnent », évitant de justesse le bagage qui dérape de sa trajectoire. Le lundi matin, au saut d’un bref sommeil, vous écarquillez les paupières sur le désert d’Arad et les antiques montagnes de Moab et d’Edom. Une nuit suffit pour remonter des siècles et traverser Beer-Shéva, la ville du puits du sept serment, en compagnie d’Abraham, « l’Araméen errant », d’Isaac « le ligaturé », d’Abimélek, le querelleur et d’Elie, le Thisbite.

Le Néguev : Splendeur et majesté se conjuguent ici avec frayeur et humilité.



Prise en main immédiate par Michel, le guide israélien, copain avec les cananéens idolâtres, parent avec les chefs des tribus bédouines de Juda, descendant des rois et des prophètes d’Israël, discutant avec les grecs, guerroyant avec les romains, déambulant dans les basiliques byzantines, fortifiant les cités avec les croisés, fouillant la Torah, creusant les Evangiles et citant le Coran.

Et voilà que les pages de la Bible se lisent à ciel ouvert, sur les collines de Bashan, marchent sur les eaux de Tibériade, se cachent entre les rives du Jourdain, se proclament au sommet des Béatitudes, se perdent dans l’agitation de l’esplanade du Temple. Par contre, il faut traverser les strates de pierres pour imaginer l’étable de Bethléem, la trouée du sépulcre, l’emplacement de la Croix et la vie cachée à Nazareth.



Pour les habitués des textes, l’existence historique de Jésus ne fait pas de doute même si l’exactitude des faits doit s’effacer devant la relativité des récits. Il y a trop de lieux et d’évènements concordants avec les textes pour ne pas, au moins, accorder une attention sérieuse à ce que les évangélistes ont raconté.

Il a vu la verte Galilée, a entendu la clapotis du lac, n’a eu aucun mal à se retirer au désert sachant que celui-ci vient border les faubourgs de la Jérusalem actuelle.



Mais que disent les paysages, les pierres, les ruelles, les ruines, les sites archéologiques de la divinité de Jésus ? Rien. « La pierre à elle seule est muette » disait notre guide archéologue. A la limite, une telle familiarité avec la terre de Jésus peut laisser percer le doute : « Dieu a-t-il pu voir ce que je vois ? ».

Comme s’il y avait là trop grande impudeur, totale incongruité… .

A-t-Il vu et voit-Il ces pierres hérodiennes du mur occidental qui fait écho à tant de prières mais aussi à tant de rancœurs de rêves perdus ?

Entend-il vraiment l’appel assourdissant et impérieux à la prière des muezzins ; le joyeux tintamarre des cloches chrétiennes ?

Est-il sensible aux coups-je dis bien aux coups- d’encensoir d’un pope orthodoxe vers les icônes ainsi que les coups d’œil qu’il lance aux visiteurs trop bruyants ?

Voit-Il tout cela, y compris, cette balafre que le pèlerin ne peut éviter et qui s’appelle le mur de séparation des territoires palestiniens, dits autonomes. « En sa chair il a détruit le mur de la haine qui les divisait » (Ep 2,14) ?



Dieu ne s’est pas fait pierre, même si on lui a donné l’appellation de Roc, mais Il s’est fait chair. Alors il faut le chercher dans les « pierres vivantes ». Il y en a en Israël, comme ailleurs. Certes discrètes, mais parlantes à qui a des « oreilles pour entendre ».

Qui n’a pas reconnu le voix du prophète de Galilée dans le « sermon » inspiré que nous a fait la petite sœur des Clarisses de Nazareth où a séjourné Charles de Foucauld ? « Personne n’a parlé comme cet homme-là ! » Qui n’est pas bouleversé devant l’incroyable destin de la jeune Mariam, vénérée à Bethléem, première palestinienne béatifiée, qui vécut au Carmel de Pau, totalement investie de la présence de l’Autre à la mesure même de son propre « évidement » ? « Celui qui m’aime demeure en moi ». Et ce Père Raed, curé de l’ancienne Ephraïm, n’est-il pas témoin de ce que le sépulcre n’a pu retenir : la passion de Dieu pour les hommes ?

De la passion, il y en avait dans les propos, tout en retenue, de Louis l’autre guide palestinien qui se contentait de dire que sa vie « n’était pas facile » comme s’il se défendait d’ajouter de l’huile sur le feu qui couve en Terre Sainte. Ne donnait-il pas raison à ceux qui ne voient d’autre issue à ce pays que la prière qui transperce les peurs ?

Et notre « mécréant » de guide, ne cachait-il pas sous ce terme l’immense effort qui a été le sien pour connaître et surtout pour comprendre ces religions qui ont élevé plus de murailles qu’elles n’ont ouvert de table commune. N’est-il pas à compter parmi ceux et celles qui entendront un jour qu’il faut «adorer en Esprit et en Vérité » ?



Un pèlerinage en Terre sainte est une belle expérience mais non une obligation. Les chrétiens ne sont pas des adorateurs de lieux ou de reliques. Cette démarche n’a pour but que de faire de nous des Jérusalem, cités de paix ; des « Bethel », demeures de Dieu ; des Bethléem, maisons de bon pain. Sans oublier que la paix ne s’installe jamais définitivement. Elle reste comme un fil tendu qui résiste à toutes les pressions de la violence et qui s’appelle pardon. Sil vous arrivait de l’oublier, l’interminable attente des contrôles soupçonneux de l’aéroport lors de votre retour se chargerait de vous le rappeler…

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.