29 décembre 2010

« Cherche logement sans confort avec vue sur l’Etoile » ou les paradoxes de Noël.




L’Invisible se rend visible. Mais comment ? Dieu se fait homme, fils de charpentier. On aurait pu s’attendre à mieux.

Le Fils de Dieu naît d’une vierge. La Parole fracassante du Sinaï se fait faible vagissement de nourrisson. L’obscurité de la nuit du monde s’éclaire d’un astre nouveau. Le silence des parents de l’enfant et des bergers est troublé par la louange de « troupes célestes d’anges ».



Dieu épouse l’humanité,

La Parole se tait,

Le silence chante,

La nuit s’éclaire.



Devenu adulte, l’enfant de Nazareth cultive encore le paradoxe. Au muet qu’Il guérit, Il commande la discrétion. Devant la couronne qu’on Lui propose, Il décline l’offre. A la face éblouissante de la Transfiguration succède le visage tuméfié du crucifié. Pourtant, Il sait imposer le silence aux puissances du mal. Il élève la voix quand Il chasse les vendeurs du Temple, lorsqu’Il apostrophe scribes et pharisiens, ou qu’Il enseigne les foules. Il se réfugie dans la solitude de la montagne et apparaît quand on ne l’attend pas.



Alertée par le deuxième rapport de Mgr Dagens et en conformité avec Rome qui s’inquiète d’une éclipse prolongée de la Foi en Occident, l’Eglise de France lance le mot d’ordre de la visibilité en contestation et même en contradiction avec le monde contemporain. Après le rapprochement avec les hommes et les femmes de leur temps que certains estimaient être le fruit du Concile Vatican II, voici que l’heure est venue d’enlever le boisseau qui cachait la lampe pour la « mettre sur le lampadaire » (Mt 5,13-16).



Simple oscillation du balancier de l’histoire ? Heureuse imitation de l’alternance des trente ans de vie cachée et des trois ans de vie publique ? Bonne stratégie pastorale qui répond ainsi à un besoin urgent de repères dont nos contemporains ont besoin ? Question d’expérience ou de pédagogie ? En effet on n’éclaire bien qu’à bonne distance de l’objet : ni trop près ni trop loin. Il y avait, ainsi, dans certaines cuisines anciennes des sortes de plafonniers qui grâce à un subtil mécanisme de poulies et de contrepoids permettaient à l’unique lampe de la pièce de changer de position selon l’intensité de clarté désirée.



Je crains que ces analyses, entendues ici ou là, ne conduisent les chrétiens à opposer deux postures et à s’enfermer dans des affrontements stériles car elles réduisent le mystère du Dieu fait homme à nos infirmes schémas mentaux. Or, ce que nous avons dit de Noël et de Jésus nous montre bien qu’il existe simultanément dans l’Evangile, l’usage des mots et le recours au silence, la nuit acceptée et la lumière rayonnée, le cri d’effroi de la Passion et la prière murmurée. Autrement dit, Dieu ne suit aucune stratégie, ne s’enferme ni dans des mots, ni dans des écrits, ni dans des images, ni dans le visible ni dans l’invisible, ni dans une attitude ni dans une autre. Il fait exploser toutes nos étroites catégories et c’est pour cela que nous le trouvons paradoxal.

La lumière éblouissante du Thabor éclaire, la nuit du tombeau vide fait signe, la veilleuse du tabernacle peut illuminer. L’enfouissement n’est pas nécessairement incarnation, l’étalage médiatique n’est pas obligatoirement visibilité, le signe écrit n’engendre pas forcément la lisibilité, la communication ne suffit pas à l’évangélisation. L’éclat du plein jour peut produire un trompeur effet de brillant qui capte sur lui la lumière. La Caritas, elle, rayonne de l’intérieur de jour comme de nuit, elle est notre seule véritable visibilité.



Dieu s’est fait homme… et tout l’homme et tous les hommes ne diront jamais tout de ce Dieu là et ne verront jamais qu’un pan de son ombre ; comme celle qui toucha son manteau, il nous suffit – paradoxalement - de nous laisser couvrir par elle pour devenir visibles.

15 décembre 2010

Indifférence, patience, urgence




« Frères en attendant la venue du Seigneur, ayez de la patience. » (Jc 5,7)



Le givre a saupoudré l’herbe des champs. La brume plaque au sol le ciel d’hiver. Les chênes de la forêt encore engourdie étirent leurs bras dénudés. Comme chaque matin, l’astre solaire s’installe dans l’échancrure de la colline boisée et s’apprête à entamer sa ronde étincelante.

« Pourquoi cette constance imperturbable dans la révolution des astres ? » se demande le spectateur ébloui. « Pourquoi la vie s’offre-t-elle chaque jour à l’indifférence de nos petits tracas quotidiens ? Pourquoi ce réveil de la nature assuré chaque matin, l’offrande d’un jour nouveau, le cadeau d’une année supplémentaire ? »

Parce que, depuis le fameux déluge qui épargna Noé, la patience de Dieu résiste à tous les flots et à toutes les fureurs. « Plus jamais je ne détruirai la terre » promit-Il alors. Il aurait pu ajouter : « L’homme s’en chargera bien tout seul ».

Et Pierre d’expliquer : « C’est pour nous qu’Il patiente : car Il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous aient le temps de se convertir » (2P 3,9).

Faut-il oser dire, en ce temps de l’Avent : « C’est Dieu qui attend en premier que nous nous décidions à lui accorder attention ; et c’est encore LUI qui, envers et contre tout, croit que l’homme ne le décevra pas. C’est lui qui a la Foi ! »

Un jour nouveau t’est accordé et déjà une voix mielleuse te susurre : « Profites-en, mange et bois, fais la fête, enivre-toi de puissance, rassasie-toi de plaisirs… Pense à toi ! »

Une autre voix amicale, mais ferme, te suggère : « Il en était ainsi aux jours de Noé…et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge… tel sera l’avènement du Fils de l’Homme…. Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre Maître » (Mt 24, 37)

Alors, au lieu d’attendre que demain ne la surprenne comme un voleur, offre ta vie dès ce matin à « L’astre d’en haut qui vient nous visiter en illuminant nos ténèbres (Lc1)» et en dérangeant ton indifférence. Il y a urgence !

NB Ami lecteur l’emploi de la deuxième personne du singulier n’est pas de ma part familiarité déplacée mais volonté délibérée de me placer parmi les destinataires de ces messages.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.