23 mai 2010

Eclats de Trinité




« Qu’ils soient UN ». C’est le testament du Christ. Il reprend le souhait du Dieu de la Bible qui n’a de cesse de vouloir « rassembler les enfants de Dieu dispersés ». Quant au Concile Vatican II, avant même que la mondialisation n’appelle de ses voeux l’avènement d’un village planétaire, il affiche clairement son ambition : « réunir l’humanité en une grande famille », celle de Dieu.



Laissons pour l’instant de côté la famille de l’Eglise. On a assez parlé d’elle ces temps-ci. Qu’elle panse ses blessures et lave son linge sale. Regardons plutôt du côté de notre société.



Le mot d’ordre est à l’éclatement. Demandez à un jeune d’exprimer ce qu’il a retenu d’une soirée passée entre copains : « On s’est éclatés ! »



L’éclatement, par la grâce des réseaux internet prend des proportions phénoménales et devient un fait de société. Les apéro géants fleurissent, signes d’une convivialité trop absente de notre quotidien mais aussi, et très vite, occasion de beuveries qui s’achèvent dans l’apothéose du coma éthylique et parfois de la mort. Au cas où ce nouveau genre de loisirs ne serait pas assez excitant, d’autres jeunes avaient prévu mieux : n rendez-vous donné pour une bagarre géante. Il y eut un temps où l’on excusait ces agissements en disant qu’ils étaient le fait d’une jeunesse désoeuvrée, non éduquée, issue de couches sociales défavorisées. Aujourd’hui, on apprend que des étudiants censés faire des études dites supérieures, des gens qui, un jour, auront un bistouri entre les mains ou le code pénal sous le bras, raffolent de ce genre de sport! Mais qu’avons-nous donc transmis à nos enfants pour qu’ils manifestent ainsi un tel vide sidéral de tout idéal ? L’exemple vient souvent d’en haut. Ne sont-ils pas les enfants de parents qui, sans aucune retenue, s’éclatent eux aussi devant eux à la moindre occasion? Eux-mêmes ne sont-ils pas les victimes consentantes de cette classe de célébrités médiatiques qui étalent sur tous les écrans l’extravagance de leurs comportements, la suffisance de leurs propos, l’insolence de leur train de vie. Réplique souterraine ou revanche inconsciente, internet offre aux plus modestes la concurrence des écrans portatifs.Et que dire de l’arrogance des puissances financières de ce monde qui, à leur tour, s’éclatent dans des jeux boursiers au risque de faire exploser un pays ou un continent ?



Il ne faut pas être grand prophète pour voir se profiler trois types d’individus. Les premiers n’auront d’autre objectif que de se jeter dans cette sorte d’escalade d’expériences de plus en plus risquées pour eux et pour les autres. Les seconds, cherchant à ancrer leur idéal inassouvi sur des repères solides, risqueront, par réaction, de se trouver embrigadés par les faussaires de l’autorité ou les imposteurs de la sainteté. Enfin, l’âge aidant, la majorité se vautrera dans le marais d’un matérialisme pratique afin de «profiter» dit-on, d’une vie sans ambition et sans horizon.



« Qu’ils soient UN » insiste le Christ.

« Un », comme ces vieux couples qui au terme de leur voyage commun ont fini par se ressembler étrangement, à l’image de ces galets du gave qui à force de se côtoyer et de se frictionner se sont tellement polis, que chacun a épousé les contours de l’autre. « Un » comme ses vieux amis qui se voient rarement, discutent âprement, ne cachent pas leurs divergences, mais se retrouvent comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. « Copains d’abord !



Cette unité faite de proximité quotidienne ou de fidélité au long cours, fait le bonheur d’une famille ou d’un groupe, mais échoue devant le grand nombre. Les empires reposent sur une unité factice, souvent coercitive, et les trop grandes entreprises humaines explosent. Babel !



Pourquoi, malgré l’expérience des siècles, cet appel à l’unité est-il encore d’actualité? La grande idée des Juifs reprise par les Musulmans, c’est que Dieu est Un. Cette unité de principe supporte mal les diversités, mais le Peuple est Un comme Dieu est Un. L’unité est exigence divine.



Les Chrétiens reprennent cette idée de base mais ils ajoutent que Dieu est Un à la façon du bourgeon ou de la lumière. Le bourgeon, un jour, éclate silencieusement. Quant aux éclats de lumière, ils n’enlèvent rien à son intensité. Dieu se manifeste en trois éclats qui ne brisent pas son Unité. Ils répondent aux noms de « Père », « Fils » et « Esprit ».



La Bible nous présente le Roc comme le symbole de Dieu. Elle n’a pas hésité cependant à ajouter à l’image de la pierre inaltérable, celle du buisson ardent ou celle de la nuée lumineuse, comme pour éviter un risque de monolithisme trop absolu. Quand la Pentecôte arrive, c’est bien des flammes de feu qui permettent aux croyants de proclamer l’Unité de la Foi dans la diversité des approches du Mystère.

Eclatons-nous mes frères, à la manière du bourgeon ou du rayon lumineux…sous le soleil de Dieu ! Un bourgeon qui éclate fait moins de bruit qu’une bouteille qui se casse.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.