16 février 2010

Propos d’outre cercueil


Il entre pour la dernière fois dans l’église de son village, porté par quatre gaillards sombrement vêtus, précédé par le long cortège des porteurs de fleurs enrubannées, et suivi par la famille endeuillée. Tout d’un coup, sur le pas de la porte, silence total : une voix s’élève :

« Je vous ai entendu tout à l’heure quand vous m’attendiez. L’église, si silencieuse d’habitude, bourdonnait comme une ruche. Ceux de ma génération ont une fâcheuse tendance à augmenter le son car le brouhaha n’est guère favorable aux oreilles défaillantes.

« C’était un brave type mais il avait son caractère. Il ne fallait pas lui marcher sur les pieds…La vie ne l’avait pas gâté mais il s’en était quand même bien sorti…Il aurait pu profiter un peu plus de sa retraite…c’est comme cela, on ne commande pas. J’ai appris qu’un tel est malade : un cancer, ce sera bientôt son tour. Tiens, tu as vu, le Conseiller Général est là ; pourtant ils n’étaient pas du même bord. Il paraît que son cousin va dire un mot au début des obsèques, ils n’étaient pas pourtant en très bons termes. C’est le nouveau curé qui veut ça : que quelqu’un présente le mort…Tout change ! Au fait, tu as pu te garer ; ils ont encore modifié le stationnement ; ils ne savent pas quoi inventer pour embêter les gens…»

«Mes amis, je veux d’abord vous remercier d’être venus m’accompagner dans mon dernier voyage. Je sais que vous n’êtes pas tous croyants, mais, à plus forte raison, vous voulez me manifester un dernier geste de sympathie avant le grand silence. A ce propos, je suis étonné de la facilité avec laquelle chacun oublie qu’il pourrait être, là, à ma place. Vous parliez de moi. Merci du bien que vous en disiez ; mais vous est-il venu à l’esprit de vous demander : que dira-t-on de moi si, dans une semaine, je rentre à mon tour dans cette église ?

Franchement, vous auriez pu vous dispenser de tous ces commentaires à mon égard. Ils ne me sont, en ce moment, d’aucune utilité. Par contre, vous auriez pu plutôt penser un peu à vous. Il serait peut-être temps pour vous « d’arranger » les choses, de remercier votre femme de vous avoir supporté, de débrouiller les malentendus entre les enfants et de leur dire à tous combien vous les aimez. Et si vous arrangiez aussi les choses avec Dieu ? Ne serait-ce que pour Le remercier Lui aussi de cette vie qui a eu ses hauts et ses bas, mais qui, tout compte fait, était un beau cadeau.

Mes amis, est ce que tout ceci n’aurait pas mérité un peu de silence avant la célébrations de mes obsèques. Je sais parfaitement que l’agitation fébrile des acteurs de la cérémonie qui, à tour de rôle, tapotent sur le micro, les gammes fracassantes de l’organiste de service ou le CD nasillard camouflé sous un pilier ne prêtent guère au recueillement. Le comble est atteint quand une bonne âme vous perfuse des « Je vous salue » sans aucun préavis. Toutefois, je vous comprends. Discuter de tout ou de rien, c’est faire résonner un peu la vie, parce qu’on fond, on a peur du silence ; il laisse parfois remonter des idées qui vous attaquent dans le dos et ne vous lâchent plus.

Allez, un petit effort, au moins les trois dernières minutes, avant que ne commence le premier cantique ! Tiens, voilà qu’on chante maintenant devant un mort ! Eh bien oui, on chante ; non pas pour se rassurer ou parce qu’on est immortel mais parce que nous croyons que notre vie peut être éternelle. Il faudra y réfléchir et pourquoi pas en silence… »
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.