17 décembre 2009

« Bonnes fêtes »…Quelles fêtes ?

« Bonnes fêtes de fin d’année », c’est ainsi que la publicité sous toutes ses formes amalgame Noël et le nouvel an. Je comprends que par souci d’économie les illuminations de nos cités réduisent ainsi deux fêtes en une seule. Il faut toutefois noter qu’une belle étoile scintillante vient se poser sur telle ou telle église, rappelant celle des mages à Bethléem. Certains me diront que deux réveillons, l’un pour terminer l’année, l’autre pour bien débuter la nouvelle, sont deux actions économiquement payantes surtout en temps de crise. Non seulement il faut redonner le moral aux consommateurs mais aussi rendre le sourire aux commerçants et aux statistiques qui ont besoin de relever leurs pourcentages!
Ce qui m’interroge davantage, c’est cette sorte d’excès de pudeur qui s’empare des journalistes et des commentateurs des chaînes télévisées qui nous souhaiterons, avec un air entendu, de « bonnes fêtes » mais jamais ou rarement un « bon Noël ». A croire que prononcer ce mot, une fois par an, leur arracherait la…langue ! Les mêmes, avec un air non moins entendu, citeront, quelques temps après, les réflexions alarmistes de Régis Debray, dénonçant la perte de culture religieuse des français avec toutes les graves conséquences qui en découlent.
Le temps de saine irritation passé, ne faut-il pas plutôt remercier ces oublieux ? Au fond, ils ont peut être raison de mettre Noël sous le boisseau de la marchandisation tapageuse car ils permettent, à ceux et celles qui le désirent, de prendre exactement le contre-pied et de retrouver le vrai sens de cette célébration qui est celui de la discrétion, de la fragilité et du partage de nos pauvretés.
Comment ne pas se souvenir que pour préparer le berceau de son Fils, Dieu n’a pas choisi la grande puissance de l’époque, l’Egypte, mais un ramassis de tribus disparates et sans avenir ? Comment a-t-il pu jeter son dévolu sur Moïse, rescapé d’un massacre, au lieu d’exaucer les désirs de divinisation d’un Pharaon ? Pourquoi s’est-il si souvent acharné à mettre sur le devant de la scène des anonymes impréparés, des femmes stériles, des exclus méprisés et à laisser son peuple aux mains des étrangers ? Pourquoi n’a-t-il pas appelé le fils de César plutôt que celui du charpentier de Nazareth pour « rassembler les enfants de Dieu dispersés » ?
Il faut croire que notre Dieu n’est pas celui que l’on croit. Pendant que les gens sérieux échangeaient les nouvelles du monde à l’étage du caravansérail, une vierge accouchait, au dessous, dans la partie réservée aux animaux. Et le salut du monde se joue dans une crèche obscure, comme il s’accomplira sur une croix infâme. Seuls, ceux qui attendaient autre chose de la vie, ceux qui cherchaient un sens, ceux qui étaient suffisamment pauvres dans leur cœur, ceux qui étaient en « avent », ceux-là ont pu le reconnaître.
Si les illuminations de la fête aveuglent tes yeux, si tu n’attends que gavage et tapage, tu n’entendras pas le petit enfant du dessous qui babille et ce sera bien dommage…Alors, pour ce Noël, accorde toi ce qui de nos jours est un luxe insensé : une pause de silence, un temps de recueillement dans la crèche de ton âme. Et pour toi lecteur, « Bon, simple et vrai Noël ».

27 novembre 2009

Mon oncle Zéphyrin ébéniste…
Dans notre civilisation le travail du bois était considéré comme un art noble ; parce qu’on se souvenait, peut-être, que le créateur avait planté deux arbres sur notre terre, celui de la vie et celui de la connaissance et que le sauveur de l’humanité avait exercé le métier d’artisan charpentier.
Mais l’on savait depuis des temps immémoriaux que l’arbre était le symbole le plus parlant de l’homme. Les pieds sur la terre, la tête tournée vers le ciel, une sève vivante coulant dans son tronc et dans ses membres.
De l’arbre on fait le berceau de l’enfant, la table du repas, le lit du repos et le cercueil du mort. De l’arbre on fait encore, le sceptre du puissant, le bâton du marcheur, le toit de la maison, la barque du pêcheur, l’araire du laboureur. Avec l’arbre, enfin, on plante une potence pour le supplicié ou une croix pour le rédempteur.
L’arbre est notre frère naturel, son bois notre compagnon de route.

Tonton aimait le bois. Malgré ses doigts mutilés, il continuait à caresser la pièce qu’il venait d’affiner pour mieux sentir et rectifier l’imperfection cachée aux yeux du profane mais qui aurait ridé son honneur d’artisan. Manger tous les jours sur une table fabriquée par son grand père, ranger ses affaires dans une commode façonnée par son oncle est un véritable privilège.

Il est parti, porté et entouré de l’affection des siens. Dimanche, il a reçu l’onction et nous avons invoqué avec lui l’Esprit du Christ pour qu’il vienne habiter sa dernière épreuve de sa présence apaisante.
Ce soir, c’est la foule des parents, des amis reconnaissants et des frères chrétiens qui est là. Nous le confions à la lumière du Christ et à sa miséricorde.

Homélie Luc 17,20-25
Chaque époque produit un ou autre scénario de la fin du monde. Les rédacteurs des évangiles avaient été frappés par les récits anciens du déluge, par la ruine de Sodome et Gomorrhe, ou par la chute récente du temple de Jérusalem et ils superposaient ces évènements les uns sur les autres pour mieux décrire l’ébranlement final des derniers jours.
L’homme depuis qu’il existe veut savoir le mot de la fin : la fin du monde mais aussi celle de son existence.

En plein 20ème siècle, au moment où fleurissaient des idéologies qui prédisaient un avenir euphorique de l’humanité, des philosophes lucides ou désespérés (comme on veut) disaient déjà : « A quoi bon vivre, si c’est pour que tout finisse dans la déflagration finale comme tout avait commencé dans l’explosion initiale. A quoi bon vivre, travailler, manger, avoir des enfants et des projets, si tout cela doit se volatiliser dans quelques grains de poussière ou une poignée de cendres !

Aujourd’hui, la crise aidant, on revient aux vieilles méthodes du passé. On se sert des images de l’effondrement des tours de Manhattan, pour produire des films qui nous annoncent une apocalypse de plus, dans 1000jours en 2012. Et la quête anxieuse de l’homme n’en finit pas…

Dans ce contexte de peurs commercialement bien orchestré, le message de Jésus détone. D’abord il ne nous parle pas de la fin du monde sans l’associer au Règne de Dieu. Ensuite, Il nous dit : Ne craignez pas. Ce royaume vous y êtes déjà, vous y vivez déjà, dans la mesure où tout ce que vous faites, vous le faites selon le désir de Dieu, sous l’influence de son Esprit Saint. Ainsi vous vivez, déjà, une première résurrection qui donne un sens différent à tout ce que vous vivez au point que la mort elle-même n’est pas pour vous une fin mais une nouvelle naissance. Et puis viendra la deuxième résurrection, celle où le tout le cosmos naîtra lui aussi au règne de Dieu.

Tant qu’il a pu Tonton Zéphirin s’est nourri de l’Eucharistie en participant avec régularité à la messe du dimanche ; cette régularité qui était la sienne dans son travail. Il participe maintenant à l’Eucharistie éternelle et totale du Seigneur. Pour la représenter, la Bible emploie l’image d’un grand festin qui rassemblera autour de la table du ciel tous les peuples de la terre. J’imagine bien, Tonton, examinant soigneusement cette table sous tous ses angles et interpellant Saint Joseph pour améliorer son esthétique ou sa solidité…

09 septembre 2009

Les petits bancs de pierre…

Le premier élément de ce qu’on appelle aujourd’hui le « petit patrimoine rural » est un banc de pierre modestement assis à l’entrée de mon village, adossé au muret de la première maison. A une époque encore récente, chaque maison possédait son banc en bordure de route ou de chemin. Aujourd’hui, ces bancs sont à l’image des églises des campagnes : restaurés mais inutilisés. Les derniers témoins de ce temps où, chaque soir, en attendant le crépuscule, les familles se retrouvaient sur ces bancs, disparaissent peu à peu. Les pierres qui avaient accumulé la chaleur de la journée réchauffaient les rhumatismes des personnes âgées. Les nombreux enfants transformaient la chaussée en terrain de jeux, tandis que les anciens se rappelaient les souvenirs des guerres qu’ils avaient connues. Les femmes partageaient leurs soucis de mères de familles qui avaient tant de mal à nourrir toutes ces bouches. Le passage inopiné d’une carriole attardée alimentait les conversations pour le reste de la veillée. Finalement, ces bancs rustiques et polis par l’usage avaient les mêmes fonctions qu’internet aujourd’hui. Ils favorisaient la communication des uns et le divertissement des autres.
Je repense à Josué qui, après avoir élevé une pierre en mémorial d’un acte de foi collectif, disait à ses compatriotes : « Cette pierre a entendu tout ce que vous avez dit ; elle sera le témoin entre vous et Dieu ». Dieu seul sait, en effet, tout ce qu’ont entendu et tout ce que pourraient transmettre ces petits bancs de pierre. A l’instar des « bancs publics » ou des « petits ponts de bois », ils attendent un Georges Brassens ou un Yves Duteil pour leur rendre la parole et l’hommage qu’ils méritent.

05 juillet 2009

Pas lui…

Les médias nous ont « gavés » et « regavés » de la mort de Michael Jackson. Chacun a le droit de penser ce qu’il veut de ce personnage pour le moins curieux. Par contre, le vocabulaire employé par ceux et celles qui déplorent sa disparition peut faire réfléchir. « Il ne devait pas mourir…pas lui…c’était mon dieu…mon idole…il m’aidait à vivre…il a subi un chemin de croix…c’est un martyr… je ne pourrais pas vivre sans lui…». Faut-il être à ce point sevré de religieux pour que ce besoin, inscrit dans la nature humaine, explose ainsi chez des millions de fans?
Comme je faisais remarquer cela à un jeune, celui-ci me répliqua : « Mais les premiers disciples n’étaient-ils pas tout bouleversés par la mort de Jésus ? » En effet, nous savons que l’idée de la Résurrection n’était pas étrangère à une partie du peuple juif et donc aux disciples de Jésus. Mais comment pouvaient-ils admettre que Dieu n’ait pas soustrait à la mort Celui qu’ils considéraient déjà comme son Fils ou du moins l’égal d’Elie ou de Hénoch qui furent emportés au ciel sans connaître la mort. On sait que Paul lui-même à un certain moment envisageait l’instauration du Royaume dès la première génération. Pas lui Seigneur !! Il a fallu repenser la Croix à la lumière de la Résurrection pour comprendre qu’elle était la suite logique de sa vie.
J’ai fait remarquer d’abord à mon jeune interlocuteur que Jésus, contrairement au chanteur, avait assumé sa nature humaine alors que ce dernier avait tout fait pour occulter ou transformer la sienne. Ensuite, Il n’a jamais revendiqué pour lui son succès auprès des foules, Il s’est échappé lorsqu’on voulait le couronner, Il a prêché non pas son Royaume mais celui du Père. Il n’a jamais concentré sur lui la gloire divine, Il n’est pas venu pour monter sur les podiums, pour battre des records d’affluence, pour amasser une fortune…Au contraire Il a considéré tout cela dès le début de sa « carrière » comme des tentations sataniques.
La vie et la mort de Jésus ont au contraire consisté à le « vider » totalement de lui-même au profit de Dieu son Père et des hommes ses frères. Sa mort n’a rien d’une apothéose humaine ; elle est la conséquence du refus des hommes et de son acceptation de se livrer à eux. Et c’est parce qu’Il a cru, qu’Il a fait confiance jusqu’au bout au désir du Père de diviniser l’homme qu’Il a affronté la mort et l’échec de sa vie sans chercher à s’en dispenser. Le cri du chrétien n’est pas : « Pas lui » mais « Par Lui, avec Lui et en Lui… »
Bref, Jésus nous a montré le coeur d’un Dieu qui n’est que déversement d’amour et le visage d’un homme qui n’est qu’icône et offrande de ce même amour…aux antipodes de l’idole qui retient la lumière dans un écrin jaloux pour mieux éblouir.

03 juillet 2009

Mariage de L et E.

L.et E. vous avez décidé de monter dans le même train. L’image est facile, j’en conviens, pour deux employés de la SNCF, mais elle est parlante.
Vous connaissez, bien sûr, ces trains de légende qui traversent les steppes de Sibérie ou qui grimpent les cordillères andines. Leur prestige et leur renommée ne parviennent pas à faire oublier la vie rude des chauffeurs de camions ou des conducteurs de mules, qui, de loin, les regardent passer. Ils couvrent la première page des magazines, ils emportent nos rêves mais nous restons sur le quai.
Vous connaissez, aussi, ces trains rapides et luxueux, partis avec grand fracas, beaux discours et baptêmes champagnisés et qui n’ont traversé qu’ennui et solitudes. Ils filent encore, propulsés par la vitesse acquise, mais, ils ont oublié, depuis longtemps déjà, le nom de la destination et celui des passagers.
Vous connaissez, encore, ces trains avec leurs équipages qui n’ont jamais quitté les gares de triages, par crainte d’affronter la distance et de perdre le cap. Ils tournent en rond dans le « train-train » quotidien ; ils finiront leurs jours dans des voies de garage ou des parcs à ferraille.
Vous connaissez bien ces trains dont on ne parle guère, qui partent le matin et qui arrivent à l’heure. Leur passage rassure les grands et ravit les enfants. Un jour, cependant, ils s’effaceront des tableaux d’affichage et tous comprendront alors, à quel point ils comptaient.
Vous connaissez ces trains vaillants et confiants, qui, par erreur d’aiguillage ou par accident, se sont trouvés brisés, disloqués, fracassés. Certains hésitant à reprendre le rail ont quitté la gare et n’y reviendront pas. D’autres ont attendu réparation, se ont ressoudés et sans faire les fanfarons ont repris du service avec obstination.
Vous connaissez, enfin, ces trains informes et grinçants, remplis jusqu’à la gueule qui, du matin au soir, fidèles et réguliers, déversent ces grappes humaines de fourbus, de pressés, de bavards, de discrets, de joyeux et de malheureux. Ils ont vieilli en usant les mêmes rails, ils ont mis du jeu dans leurs rouages mais ils ont permis belles rencontres et bons partages.
J’ai connu un train qui montait une célèbre rampe, une machine à l’avant, une autre à l’arrière. Il montait tout droit comme le petit cheval blanc, « tous derrière et lui devant ».
L et E, le train qui sera le vôtre aura peut être la couleur de ceux que vous connaissez déjà. Par le sacrement que vous allez recevoir vous mettez le Christ aux commandes de la machine de tête, il vous mènera à destination. Quant à la deuxième locomotive, ce sera l’Evangile. Il vous fournira une énergie durable et renouvelable, si vous savez entretenir sa flamme avec soin.

Que Mannick me pardonne elle qui connaît des bateaux tellement plus poétiques que mes trains…

28 mai 2009

Pierre, 45 ans
L’orage grondait. Les écluses du ciel débordaient dans le Layou. Tout le village, blotti dans la petite église, accompagnait dans son dernier voyage, Pierre, jeune agriculteur terrassé par un infarctus. « Trop jeune, parti trop vite, ce n’est pas normal, la vie ne l’a pas gâté…. » murmuraient ses amis.
Il me revenait en mémoire le souvenir d’une escapade dans un village éloigné, où les Pères Jésuites avaient une résidence. Juchés sur de mauvais vélos, nous avions avalé les kilomètres pour aller écouter, au milieu d’un champ, le Père Duval, le premier « curé chantant ». C’était il y a presque 50 ans !
« Il n’a pas eu bonnes gens, il n’a pas eu bonnes gens
tout son compte d’amour, tout son compte de vie.
Il n’a pas eu bonnes gens, il n’a pas eu bonnes gens,
tout son compte de vie
le p’tit gamin du voisin
qu’on enterre ce matin…
Mais la colère gronde sur la terre comme au ciel,
mais la colère gronde,
la colère du bon Dieu… »

Qu’est-ce qu’un bon compte de vie ? Qu’est-ce qu’une « vie bonne » ?demandaient les sages grecs. « Qu’est-ce qu’une vie réussie ? » renchérit Luc Ferry. Si les premiers humains affrontés à une nature hostile, aux bêtes sauvages, aux carences de toutes sortes, avaient envisagé leur existence à l’aune des critères actuels, n’auraient-ils pas stoppé immédiatement l’aventure humaine ?
Et sans remonter si loin, nos aïeux qui travaillaient une terre souvent ingrate dans le seul but de se procurer une nourriture à peine suffisante, n’auraient-ils pas eu toutes les raisons de déclarer inacceptable cette vie de galère et de corvées ? N’auraient-ils pas bien fait de laisser s’éteindre la race humaine ?
Pourquoi donc les hommes s’acharnent-ils à vivre, quelles que soient les circonstances de leur vie? N’est-ce pas, parce qu’inconsciemment, ils pressentent qu’une vie humaine ne se résume pas à ce qu’il en paraît. Une vie d’homme, c’est un éclat mystérieux et précieux, tout à fait unique, qu’on n’avait jamais trouvé jusqu’ici et qu’on ne rencontrera plus. Une vie d’homme, c’est une parole qui ne sera qu’une fois prononcée. Il suffira qu’elle soit une fois entendue. Et puis que sait-on de la vie de Pierre ? De ses pensées les plus intimes, de ses combats intérieurs, de ses affections inavouées, de ses rêves les plus fous, de ses bonheurs préservés ? Il y a un moment où il faut lâcher prise, admettre de ne pas tout comprendre de l’autre, et le remettre entre les mains de Celui qui sait mieux que soi-même si la vie a été bonne ou pas. « Attends le soir pour dire si le jour fut beau » dit le proverbe.
Si l’on avait interrogé les habitants de Nazareth, au sujet de Jésus, le vendredi de sa mort, certains auraient répondu : « Il n’a pas eu bonnes gens, tout son compte de vie, le prophète d’Israël qu’on enterrera demain.. »Et pourtant cette courte vie a suffi pour planter au coeur de l’humanité une immense espérance : la vie n’est pas détruite, elle est transformée ! Le tombeau n’est pas noir, il s’ouvre sur une aube lumineuse.

16 mai 2009

Les larmes de la Vigne…

« As-tu pensé à sulfater ta vigne » ? C’est Gérard, mon conseiller spécial en jardinage, qui s’inquiète pour mes quelques pieds de chasselas et de muscat. Lui-même cultive la sérénité souriante du sage de la Bible dont le bonheur suprême consistait à « rester assis sous sa vigne et sous son figuier, sans personne pour l’inquiéter » (Mi 4,4). Bernard, son cousin, avait, il y a quelques temps, repris en main la treille trop longtemps négligée et lui avait infligé une taille sévère. Les sarments tout meurtris en pleuraient quelques larmes de sève…
Et voici que ce dimanche de mai la liturgie nous décrit Jésus comme la vraie vigne portant de beaux sarments prometteurs de bons fruits. Isaïe nous avait déjà livré un magnifique poème en l’honneur de la vigne du « Bien Aimé ». Le texte nous dit qu’il l’avait bêchée, épierrée, qu’il avait bâti une tour, creusé un pressoir, érigé un mur de clôture. Il en espérait un grand cru, elle lui donna de la piquette, du verjus. Terrible déception ! « Que pouvais-je faire pour ma vigne, que je n’aie fait ? »(Is 5,4) Ainsi parlait Dieu de son peuple rebelle. Un jour viendrait où Jésus se présenterait comme le plant renouvelé, le peuple nouveau.
Ces temps-ci les chrétiens se désolent. Il leur semble que la vigne de Dieu, son Eglise, est abandonnée, qu’elle ne porte plus de fruits, que ses ouvriers se dérobent, que ses gérants sont sur une autre planète, que tout le monde dédaigne son vin, que personne ne veut plus s’inviter à sa table. D’où vient ce désenchantement du monde à l’égard de notre Eglise ? (1)
La première réaction consiste à accabler le monde qui nous entoure. Un monde qui a appris à ne plus avoir besoin de Dieu, qui met sa Foi dans ses prouesses technologiques pour guérir lui-même ses infirmités, un monde habitué à la facilité et qui, petit à petit, a installé l’homme sur le trône de Dieu. Si la vigne ne donne pas de bonnes grappes, ce sont les éléments extérieurs qui en sont la cause : un climat désastreux générateur d’oïdium et de mildiou, attaques d’insectes sournois, assaut final des volatiles gourmands et saccageurs. Seule solution, résister à l’ennemi et contre attaquer à la première occasion.
Et si la vigne n’attirait plus personne parce qu’elle s’est abâtardie, que ses membres ont perdu leur savoir faire et qu’elle n’offre plus que du mauvais vin ? La question est dérangeante, y compris pour celui qui la pose. Autrement dit : est ce que l’Eglise représente pour notre monde ce pour quoi elle a été faite, c'est-à-dire, manifester la bonté et la tendresse de Dieu pour tout être humain. Il est quelque peu affligeant de constater que pour beaucoup de nos contemporains l’Eglise représente une vieille institution engoncée dans un fatras de traditions, donneuse de leçons, arc-boutée sur un refus et une crainte du monde, et ce, malgré la bonne volonté de ses membres et la générosité de ses responsables. On ne peut pas, bien sûr, minimiser la part désolante d’ignorance qui entoure tout ce qui touche à son histoire et à sa vie actuelle, ni même la malsaine suspicion entretenue à son égard par ceux qui ont pignon sur écran. Par contre, comment ne pas s’étonner de l’audience de ceux et celles qui, parmi nous, vivent jusqu’au bout cette sollicitude de Dieu à l’égard de tous les hommes. Ils sont reconnus sans hésiter comme ses témoins les plus authentiques et pardonnés sur le champ de leurs incartades ou de leurs bavures.
Nous poser lucidement la question de la mauvaise image de notre Eglise et y porter remède en nous attachant encore plus solidement au cep de la Vigne et en nous déliant des tuteurs inutiles et encombrants, ne nous exonérera pas des incompréhensions et des persécutions à venir, bien au contraire. Il vaut mieux toutefois que le bon vin soit rejeté par dépit, que craché parce qu’il est mauvais.

(1) voir à ce sujet « Confession d’un cardinal » Olivier Le Gendre éd Lattès

09 mai 2009

Gurs, morne.lande.
Célébration de la messe dans l’église du village, lors de la journée du souvenir des déportés qui correspondait aussi au 70 ème anniversaire de l’ouverture du camp de Gurs. Dans ce lieu ont transité 60000 personnes (Espagnols, Juifs, « indésirables » de toutes catégories) entre 1939 et 1943, sans compter les soldats allemands faits prisonniers à la fin de la guerre ; lieu qui serait tombé dans l’oubli sans la ténacité des descendants de ces déportés, la volonté de quelques personnalités locales et sans le travail de l’historien Claude Laharie qui lui a consacré plusieurs ouvrages. Les journaux locaux ont largement fait écho aux nombreuses manifestations qui ont émaillé cet anniversaire dans le département des Pyrénées Atlantiques et dans la ville d’Oloron en particulier.
Pendant que la plupart des personnalités et délégations attendaient sous la pluie le début des cérémonies officielles, il m’a semblé opportun, au cours de l’homélie, de rendre hommage à deux prêtres qui, à ma connaissance, n’ont jamais été cités dans les comptes rendus de ce « devoir de mémoire ». L’histoire restera encore longtemps une science « humaine » et pour ceux qui la font et pour ceux qui la racontent. Les habitants du village et du canton ont souvent entendu parler de l’Abbé Eugène Bordelongue. Ses paroissiens connaissaient son action auprès des prisonniers. Dès qu’on lui portait quelque produit de la ferme, il enfourchait sa bicyclette et le portait au camp. Ses confrères y compris l’évêché se faisaient du souci non seulement pour sa santé mais pour les maigres ressources du presbytère qui prenaient systématiquement la direction du camp. Un autre prêtre fut présent au camp. C’était Albert Gross. Envoyé par son évêque suisse pour organiser l’aide fournie par le comité de secours de la Suisse, ce prêtre outrepassa ses fonctions au point d’intervenir fréquemment pour faire respecter les convent ions concernant les personnes non extradables vers les camps de la mort. Il lui arriva même de favoriser la fuite de Juifs grâce à un réseau mis en place par un autre prêtre français d’origine juive, Alexandre Glasberg. Ce dernier, ainsi qu’Albert Gross reçurent la médaille des justes. Quant à l’ancien curé de Gurs, il continua bravement à desservir sa paroisse en toute discrétion. Les pages internet consacrées au camp de Gurs ne le citent qu’à deux ou trois reprises en écorchant son nom transformé en Bordenave ou Bourdelongue. Ainsi passe t-on dans les oubliettes de l’histoire.
Une autre figure est restée à juste titre dans les mémoires officielles. Il s’agit d’Elisabeth Kasser, infirmière dans le civil. Elle est surnommée l’ange de Gurs. Elle a payé de sa personne dans ce sinistre paysage de baraques et de boue. Les anges, comme chacun sait, n’ayant pas de sexe, je lui associe désormais mes deux confrères.
Le dernier ouvrage de Claude Laharie « Gurs, l’art derrière les barbelés » aux éditions Atlantica, s’ouvre sur une aquarelle réalisée par un interné. Un papillon jaune soleil, descendu du ciel pyrénéen, s’est posé sur un barbelé, le tout sur un fond de baraques sombres et sordides. Il y eut au camp de Gurs quelques papillons de lumière pour que ces milliers de pauvres gens ne désespèrent pas totalement de l’homme et par conséquent de Dieu.
Pendant que je parlais d’Eugène Bordelongue, un ancien du village de Gurs opinait du chef. Lui se souvenait…
Des millions de personnes sont aujourd’hui déportées, internées, persécutées et cela pour toutes les « bonnes » raisons du monde. Les discours passent, l’émotion s’efface et ces « bonnes » raisons demeurent sauf si une raison supérieure s’impose. Mais elle ne s’impose jamais. Elle s’expose…sur une croix.

18 avril 2009

Pâque au courant d’air.

« N’ayez pas peur ! Vous cherchez le crucifié ? Il est ressuscité… » affirme le jeune homme vêtu de blanc devant les femmes apeurées.
Le temps des grandes peurs n’est-il pas revenu? Une crise économique et financière qui attaque sournoisement dans le dos les pays dits avancés, un réchauffement climatique qui perturbe glaces et vents, une contagion annoncée de menaces terroristes, une possible crise alimentaire et, dans tous les cas, une grave perte de confiance en l’avenir que traduisent les soubresauts d’une jeunesse désorientée.
Réflexe de nos sociétés nanties : se protéger au maximum en se calfeutrant, en se cramponnant aux avantages acquis, en se limitant aux relations privilégiées. Autant d’attitudes qui finissent par nous enfermer et nous asphyxier dans un monde clos sur lui-même dont chacun pense qu’il en est le centre absolu.
Et voilà que l’évadé du tombeau ouvert vient ouvrir tout grand le donjon de nos suffisances. Un grand courant d’air traverse le couloir étroit de nos existences, renverse nos certitudes et s’appuie sur nos déficiences. Pourtant, nous ne serons pas plus que les autres épargnés par la souffrance, par l’angoisse de la mort, par les attaques multiformes du mal. Mais cette envolée ou cette plongée dans la vie éternelle nous procure deux avantages. Tout d’abord elle remet les choses et nous-mêmes à leur place. Un ordre des valeurs s’impose ; il relativise nos déconvenues comme nos succès. Ensuite, cette plongée dans la vie éternelle nous permet de mettre en perspective notre propre histoire : nous avons un « avant » et un « après ». Nous nous situons dans cette grande aventure du salut du monde qui a commencé bien avant nous et qui continuera bien après nous et nous savons que notre parcours personnel, aussi banal et bancal qu’il soit, contribue ou non à cette aventure divine. D’ailleurs, qui aurait parié que Celui qui n’a échappé ni à la loi de la mort ni aux conséquences du péché allait triompher de la croix grâce au souffle de l’Esprit du Père qui l’a soulevé de terre.

Nous sommes, apparemment encore, victimes du mal, vaincus par nos propres excès, soumis à la précarité de la vie ou de la santé. Malgré tout, une voix insistante au fond de nous, nous dit que nous ne sommes pas faits pour cela. Le jeune homme du matin de Pâques nous le confirme : « N’ayez pas peur, Il est ressuscité, désormais un brèche est ouverte dans le mur de la mort et dans l’arrogance du mal, à vous de vous y engouffrer. »

07 avril 2009

Rameaux

La forêt revêt un léger duvet vert ; le verger s’habille de rose et blanc. L’Eglise chante des Hosanna et brandit palmes et lauriers.
L’arbre est le tuteur de l’homme. Aux premiers sommeils, il se fait berceau ; au dernier soupir cercueil. En bas, il est plancher, en haut, il est charpente. Il offre la table et soutient la couche. Sur l’eau, il devient rame, sur le chemin, bâton.
Quand l’arbre se fait croix ; il hurle la mort ; quand il pousse le bourgeon, il appelle la vie.
Les chrétiens ont coutume d’orner leurs crucifix d’un rameau comme pour se souvenir que la croix est les deux à la fois : potence du supplicié et sève du ressuscité.
Ce signe apposé sur leurs maisons leur rappelle qu’ils sont des vivants en sursis. Quand le grand Vendredi les aura dépouillés de nos royautés mensongères, un ânon aux yeux doux les mènera sur le chemin d’humilité…
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.