23 septembre 2008

Un patron bizarre !

Il pénalise ceux qui se lèvent tôt et favorise les nonchalants. Il s’agit du viticulteur du chapitre 20 de St Matthieu. L’histoire ne dit pas si, l’année suivante, il a encore trouvé des ouvriers pour s’échiner dès le lever du jour ou si toute cette affaire n’a pas trouvé son épilogue devant les instances prud’homales.
Ce récit n’a rien de la narration d’un fait divers authentique. C’est une parabole, un récit allégorique inventé pour nous surprendre puisqu’il nous parle d’une réalité qui nous échappera toujours : le Royaume de Dieu.
L’Eglise est cette portion de l’humanité qui justement est censée vivre par anticipation le Royaume de Dieu et témoigner de Lui. Or, lorsqu’une partie de cette Eglise perd ses trois curés et une religieuse et qu’ils ne sont remplacés que par un seul prêtre, la tentation est forte de regarder vers la société civile. Comment s’y sont pris les gendarmes, la banque postale, l’éducation nationale, Groupama ? Ils ont « redéployé le dispositif », « ajusté les postes », « adapté leurs prestations », laissé une marge de manœuvre en cas de manifestation et surtout persuadé tout un chacun que tout irait pour le mieux dans un rural considéré, respecté et même choyé. Pour le dire plus simplement, on a supprimé des postes, ventilé le personnel et éliminé les secteurs non rentables. Pouvons-nous appliquer à nos paroisses les règles du « management » en vigueur dans les services civils ? Il serait de toutes les façons difficile de diminuer un personnel déjà exsangue, quant à ne garder que le rentable, encore faudrait-il le définir. Si nous en parlons au grand Patron, au maître de la vigne, nous risquons là aussi quelques déconvenues !
Avant de parler restructuration et organisation, un préalable s’impose : se plonger dans la prière et la réflexion et mettre à l’ordre du jour trois questions :
Qu’est-ce que l’Eglise ?
Qu’est-ce qu’un baptisé ?
Qu’est-ce qu’un prêtre ?
Profitons de cet évangile des ouvriers de la vigne pour nous rappeler quel est le travail du prêtre. J’ai connu un sacristain dévoué qui, à l’annonce de trois ou quatre enterrements dans la semaine ne manquait jamais de s’exclamer : « Quel travail pour vous, Monsieur le Curé, cette semaine » ! Sous entendu : « Le reste du temps, on ne sait pas trop ce que vous faites » ! Le travail du prêtre se résume-t-il au temps passé en tenue liturgique ?

Premier service rendu par le prêtre pour sa communauté : Se laisser configurer au Christ Pasteur. Ce n’est pas parce qu’il a reçu il y a 20 ou 30 ans une ordination que la grâce agit magiquement. Elle est affaire d’amour et celui-ci s’entretient. « Pierre m’aimes-tu ? Oui, tu sais que je t’aime ! » Il se nourrit de l’étude de la Parole, de la prière, des formations indispensables. Un prêtre qui n’irait jamais voir ce qui se passe hors de sa paroisse risque la sclérose.
Deuxième service : Il est l’animateur de la communauté. Il ne l’est pas tout seul. Des baptisés partagent avec lui la mission. Mais c’est lui qui donne les orientations, qui forme ou fait former les laïcs, qui fait le point avec eux, qui veille à la cohésion de l’ensemble. Travail continu de formation et de vigilance. « Venez avec moi à l’écart… »
Troisième service : Il se rend disponible pour l’accompagnement spirituel. Les chrétiens aujourd’hui se trouvent affrontés à des décisions de plus en plus difficiles tant sur le plan familial, que professionnel, moral ou social. Ils éprouvent le besoin d’avoir un vis-à-vis, non pour s’en remettre à son choix mais pour confronter leur réflexion à celle du prêtre. « Quel est celui qui avant d’aller au combat ne réfléchit pas pour savoir… »
Quatrième service : Il se doit aussi de répondre aux sollicitations de la société civile ou aux invitations amicales. C’est dans ces moments là qu’il peut mieux sentir les préoccupations des hommes d’aujourd’hui car c’est à des hommes et des femmes bien situés dans leur espace et dans leur temps que la Bonne Nouvelle est annoncée. « Ils étaient comme des brebis sans pasteur… »
Cinquième service : Il célèbre. Il célèbre l’Eucharistie et les sacrements, toujours avec l’assemblée, corps « mystique » du Christ et non virtuel. Mais qu’est-ce qu’une célébration liturgique? Une représentation théâtrale ? Une séquence de cinéma ? Quand le prêtre dit « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », quand les fidèles reçoivent ces paroles font-ils de la figuration ? Accomplissent-ils une commémoration ? Ne s’engagent-ils pas à devenir ce crucifié qui surplombe l’autel et qui livre sa vie ? Cela vaut bien une bonne demi-heure de préparation et plus encore pour s’en remettre…Une Eucharistie ne se commande pas, ne se fabrique pas en série, ne se livre pas à domicile, n’est pas l’objet d’une ordonnance, ni d’une envie passagère. Elle fait l’unité de la communauté, elle n’est pas là pour la fractionner en petites chapelles.
Sixième service : Le prêtre prie pour la communauté et pour toute l’Eglise l’office divin. C’est ainsi qu’il témoigne de l’unité avec l’Eglise toute entière et avec son évêque.
Enfin pour atteindre un chiffre biblique, le septième service que rend le prêtre à sa communauté, c’est celui d’accepter de se laisser critiquer. C’est souvent le seul sujet sur lequel se fait l’unanimité d’un groupe et cela dans toutes les institutions. Mais plus sérieusement, un prêtre qui ne ferait l’objet que de louanges générales et qui donnerait satisfaction à tous aurait quelques soucis à se faire. Serait-il encore le prêtre de Celui qui a été refusé et jeté hors de la Ville ?
Devant l’extension de la superficie de la vigne il ne suffira pas d’en appeler à une meilleure rentabilité des ouvriers, il faudra que les ceps se prennent par les sarments…

21 septembre 2008

Que sert à l’homme de gagner l’univers…..
Follement réjouissant le futur de nos sociétés décrit par Jacques Attali dans sa « Brève Histoire de l’avenir » ! Une chose paraît certaine : nous n’en avons pas pour longtemps en continuant sur notre lancée. Après avoir traité d’obscurantistes ceux qui osaient dire que nous allions vers un épuisement des ressources, des experts en tous genres ont découvert un principe simple : dans un monde fini, le progrès (tel que nous l’entendons dans nos sociétés occidentales) ne peut pas être infini.
On ne compte plus les articles qui préconisent les économies d’énergies, surveillent le dégel des pôles, s’alarment sur les déforestations. Précaution, sobriété, frugalité, autonomie alimentaire, économie solidaire, agriculture vivrière ne font plus sourire ceux qui proclamaient que pour fournir à chacun une part de dessert, il suffisait d’augmenter le gâteau.
Pour plagier l’Evangile, on pourrait dire : « Que sert à l’homme de gagner du temps, s’il ne le prend plus pour parler avec ses proches ; que sert à l’homme de réussir une ascension professionnelle fulgurante, s’il ne connaît plus ses enfants. Que sert à l’homme de communiquer avec le monde entier, s’il ne connaît pas son premier voisin etc.… »
J’entends encore les slogans de la dernière campagne présidentielle : « Travailler plus pour gagner plus ! » Mais s’il faut passer sa vie à la gagner, que restera-t-il pour la vivre ? L’autre programme mettait en avant la « loi du gagnant /gagnant ». Ce serait-il pas plus juste et plus réaliste de consentir à ce que certains perdent un peu pour que tous y gagnent? Mais qui oserait promouvoir une loi du perdant/gagnant ?
Ne faisons pas de l’Evangile un manuel d’économie politique mais une occasion de questionnement. Où est l’essentiel pour l’être humain ? Dans l’accumulation des outils ou dans le sens qu’il donne au travail ? Dans l’augmentation des loisirs ou dans la façon de les vivre ? Qui demain sera l’homme moderne? Qui profitera le mieux de son travail? Quel est celui qui réussira ? Celui qui sera riche de sens et de valeurs. Ce sens et ses valeurs ne se trouvent ni dans les caisses du Crédit Agricole, ni dans les laboratoires des technologies avancées mais au plus profond de chaque être, un lieu qu’il peut nommer son « âme ».
Lisez quand même l'ouvrage jusqu’au bout. Il nous promet une terre de rêve… si nous osons faire un « acte de foi » dans l’avenir ! Pas très scientifique tout cela, Monsieur Attali !
Jacques Attali « Une brève histoire de l’avenir » Fayard 2007

10 septembre 2008

Jean Paul, Paola et Cassandre (8 mois)

( J’ai repris mes blogs sur « jeancasanave.blogspot.com » Voici l’homélie du dernier mariage célébré)

Paola et Jean-Paul.
J’avais envoyé un mail à Cassandre le jour de son baptême, vous vous en souvenez. Ce que vous ne savez pas, c’est qu’elle m’a répondu par une longue lettre. Elle ne m’en voudra pas, je l’espère, de la rendre publique aujourd’hui. Voici ce qu’elle me disait :
Tu vas bientôt marier papa et maman. Ils en avaient l’intention avant que je ne voie le jour. Mais j’ai l’impression que ma venue dans ce monde les a fortifiés dans cette idée. Jusque là ils faisaient beaucoup de projets en l’air, ils se disaient sûr de leur amour et confiants dans leur avenir. La vie leur paraissait aérienne, légère et souriante. Quand ils m’ont ouverts les bras ou quand ils m’ont eu sur les bras, il me semble avoir un peu perturbé leur vie. Ils ont tout d’un coup compris que la vie était d’abord un cadeau qui venait d’ailleurs, un cadeau merveilleux mais fragile, que l’avenir réservait peut-être des surprises, qu’ils ne maîtrisaient pas tout, que j’aurai pu être en moins bonne santé et beaucoup d’autres idées auxquelles ils n’avaient pas pensé se sont bousculées dans leur tête. Alors ils se sont dits qu’eux aussi étaient l’un pour l’autre un cadeau merveilleux mais fragile, qu’ils avaient besoin de compter l’un sur l’autre pour s’aider à s’aimer et que j’avais aussi besoin de compter sur eux. Mais si leur vie et leur amour étaient comme moi un cadeau merveilleux et fragile, ils devaient aussi en remercier la Source et compter sur Celui qui donnait ce cadeau. C’est donc un peu à cause de moi qu’avec d’autres couples ils se sont préparés à ce grand jour.
Je suis encore bien petite mais j’imagine tous ceux qui les entoureront ce jour là et je sais à quoi ils vont penser.
Les plus jeunes se diront que ma maman est bien jolie dans sa robe de mariée et qu’ils vont bien s’amuser quand ils sortiront de l’Eglise où d’habitude ils s’ennuient un peu. Mais ne t’inquiète pas pour une fois qu’ils sont là se tiendront bien.
Quelques uns se demanderont pourquoi des jeunes comme mon papa et ma maman veulent encore se marier à l’Eglise au lieu de rester libres comme l’air. Ils ont un peu oublié qu’un cadeau précieux a besoin qu’on l’entoure de précautions, d’un écrin d’acier et de rubans solides. Les chrétiens appellent cela un sacrement.
Il y aura aussi les autres, ceux de la génération de papi et mami. Ils seront très émus parce qu’ils se diront : il y a trente ans nous étions à leur place. La vie a déjà fait son chemin. Est-ce que le jeune couple que nous étions se reconnaîtrait dans celui que nous formons maintenant ? C’est une question un peu embêtante. Alors ils préfèreront revenir à leurs soucis habituels. Mais, demain peut-être, ils auront envie de se remarier une fois de plus.
Il y aura les anciens comme toi. Eux resteront calmes, ils en ont vu d’autres. Des couples mal partis et qui se sont relevés, des mariages flamboyants qui sont partis en fumée. Ils ont retenu l’essentiel. L’accessoire, le décorum, la fête, le menu ne les inquiètent pas. Ils savent qu’un amour c’est comme un feu dans une cheminée. Il faut l’entretenir tous les jours et pas seulement quand on est bien habillé ou quand on fête un anniversaire.
Alors tu diras à mes parents que je suis très heureuse de compter sur eux mais aussi qu’ils peuvent compter sur moi. Dis leur que je les aime beaucoup mais que ça ne me suffira pas longtemps : il faudra aussi que j’aime des frères et des sœurs et que je puisse inviter des amis chez moi, même s’il faut pousser les meubles. Tu leur diras que lorsqu’ils ont eu une dispute ou quelque chose de très important à se dire, ils ne sont pas obligés de me prendre à partie. J’ai à vivre ma vie, moi. On m’a dit qu’il existe des couples qui se sont donnés une règle : chaque mois ils mangent ensemble tous les deux pour ne parler que d’eux, ce qu’ils deviennent et comment ils se voient évoluer. Il me semble que c’est une bonne habitude. Tu leur diras aussi de ne pas me gaver de tous les gadgets, de jeux vidéo et des dernières marques de chaussures ou d’argent de poche. Je sais que trop souvent on nous donne tout cela pour compenser l’absence de choses bien plus importantes. S’il m’arrive de faire un caprice pour obtenir quelque chose dis leur de ne pas céder même s’ils ont mal au cœur. Je sais qu’eux aussi ne se payent pas tous leur caprices. Qu’on ne peut pas tout avoir. Choisir c’est refuser d’avoir tout, mais c’est, aussi, rester et devenir libre. C’est ce à quoi ils s’engagent dans le mariage. Qu’ils m’apprennent aussi qu’on ne grandit pas sans effort, même si parfois je pleure un peu. Surtout qu’ils me donnent tout leur amour, c’est le seul héritage que je garderai d’eux et que je transmettrai à d’autres. Rien ne remplacera pour moi leur amour.
Enfin, tu leur diras que je suis leur enfant mais aussi et surtout, celui du Bon Dieu. J’aimerais bien le connaître et l’aimer puisqu’on lui doit tout et que cette vie est le début de la vie avec LUI. J’ai entendu qu’il nous a montré le chemin du bonheur. Ce bonheur, c’est de faire celui des autres. J’espère qu’ils me montreront comment eux aussi se rendront ainsi heureux l’un par l’autre dans le mariage.
J’ai une dernière réclamation à te faire : si je vois que mes parents portent trop de soucis, qu’ils rentrent trop tard du travail, qu’ils sont trop silencieux à table, qu’ils s’embrassent sans se regarder, je t’inviterai chez eux et au milieu du repas je dirai que j’ai des devoirs en retard et je te laisserai avec eux. Si tu ne peux pas venir, j’inviterai leurs témoins de mariage et là, c’est sûr, ils comprendront qu’il faut changer quelque chose.
N.B. En relisant ma lettre, je m’aperçois qu’à plusieurs reprises j’ai écrit « Tu leur diras ceci ou cela… ». Après réflexion je me demande si certains ne vont pas te prendre pour un vieux radoteur d’un autre âge. Alors dis leur ce que tu veux, mais sache que tout cela je le pense très fort. Papa et maman sont de la génération du développement durable, moi je serai de la génération de l’amour durable.
Signé :Cassandre.

01 septembre 2008

Brave Martin

Une église comble, une atmosphère de tristesse et d’accablement, c’est la dernière messe que tu célèbres en tant que curé de la paroisse depuis vingt ans. Affaibli par la maladie qui te mine depuis des années, atteint par l’âge auquel un prêtre doit présenter la démission de ses responsabilités, tu cherches un équilibre chancelant en t’appuyant discrètement sur l’autel. Ainsi tu ajustes ton joug et tu tires ta charrue jusqu’au bout. « Bos suetus aratro » disait-on de l’Aigle de Meaux, sermonneur des grands princes. La formule pourrait bien s’appliquer au gardien des voûtes romanes de La-Terre-Sauvée.
Remerciements, émotion, éloges concluent la cérémonie d’adieux. L’incompréhension et le ressentiment refont vite surface. Voilà un canton entier qui perd ses deux prêtres en même temps. Un seul curé fera face désormais à la charge de deux cantons soit une quarantaine de villages. La révolte gronde chez quelques paroissiens. L’évêché est en ligne de mire. « Qui nous enterrera ? » se demandent les non pratiquants pour lesquels la mission du prêtre se concentre essentiellement sur la mort des hommes …et la survie de Dieu !
Je me pose quelques questions ?
Comment des membres assidus de communautés chrétiennes peuvent-ils être à ce point inconscients pour s’étonner de la disparition de prêtres qui ont dépassé l’âge de leurs grands parents? Depuis quand confient-ils à ceux-ci la charge de leur famille ?
Au lieu de se tourner vers les responsables, pourquoi ne comptent-ils pas le nombre de prêtres que ces paroisses ont fournis à l’Eglise diocésaine durant les trente dernières années ? Le total est éloquent !
Comment cette situation que tous les évêques savaient inéluctable a-t-elle pu dégénérer à ce point ? (voir un de mes blogs antérieurs sur le sujet)?
Il reste que l’Eglise n’est pas une entreprise comme les autres. Un changement de DRH ne suffit pas à résoudre les problèmes. L’Eglise nous est aussi donnée d’en haut. Or il se trouve qu’on ne prie plus ou très peu, seul ou en communauté. Il nous faudra bien reprendre le chemin de nos chapelles de campagne ou de nos oratoires désertés pour ré entendre la question du Christ « Pour vous qui suis-je ? » sans oublier la suite : « Tu es Pierre…Tu es toi aussi Fils de Dieu ; tires en toutes les conséquences ! ». Alors peut-être nos lèvres malhabiles retrouveront les mots d’Etty Ellisun pour ajouter : « Seigneur que puis-je faire pour Toi ? » ?
Brave Martin, tu te retireras dans une maison de retraite. Un autre prendra la barre de l’embarcation secouée par les flots. Trouvera-t-il douze hommes et douze femmes pour regarder au loin, s’agripper aux rames et souquer ferme ? Condition nécessaire pour que le Seigneur apaise les flots et les cœurs et pour que quelques audacieux se remettent à marcher sur les eaux !
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.