27 décembre 2008

« Il vous est né un Sauveur » ou un sauveteur ?

Il y a souvent dans le Gard de grosses inondations. Le mois dernier, il beaucoup plu, les ruisseaux ont débordé, les rues d'un charmant village se sont transformées en torrents et il a fallu évacuer tous les habitants. Un seul a refusé de partir : Monsieur le Curé. Il s'est dit :
« Je vais montrer à tous mes mécréants de paroissiens ce qu'est la Foi, et comment il faut avoir confiance en Dieu. » Dans le village, on appelle ce curé Don Camillo. Il a pris une couverture, un grand morceau de pain et il s'est installé dans l'église qui est un peu en hauteur par rapport au village. Il se disait : « Le temps que l'eau monte jusqu'ici, 1a pluie cessera. » Huit jours après, il pleuvait encore.
Alors, le maire et deux adjoints, pris de remords, revinrent vers le village sur une vieille barque, et munis de grandes cuissardes, ils entrèrent dans l'église. Et que virent-ils ? Don Camillo installé sur le maître autel en train de prier. Le maire lui dit : « En tant qu'officier de police, je vous intime l’ordre de venir avec nous, et de quitter cette église. » Don Camillo refusa.
Quatre jours après, il pleuvait de plus belle. Le chef des pompiers apprit que le curé était tout seul dans le village inondé, et qu'il risquait sa vie. Il monta avec quatre collègues dans un Zodiac et partit vers le bourg. C'était un spectacle de désolation. On ne voyait plus que le premier étage des maisons. Ils entrèrent dans l'église. Don Camillo s'était réfugié dans les tribunes, et il continuait de prier pour que le Bon Dieu vienne le délivrer. « C'est votre dernière chance, venez avec nous » lui dit le chef des pompiers. « Non, j'ai confiance en Dieu lui seul me sortira de ce mauvais pas » répondit Don Camillo.
Une semaine passa encore. L'affaire était remontée jusqu'à la préfecture, à Nîmes. Le préfet décida de monter dans l'hélicoptère de la sécurité civile pour constater les dégâts. Que vit le préfet ? Un clocher tout seul, qui émergeait des eaux. En faisant une rotation de plus près, le pilote aperçut Don Camillo appuyé sur la fenêtre du clocher, les mains jointes. Constatant qu'il était encore en vie, mais pas pour longtemps, le préfet repartit pour envoyer les spécialistes afin d'hélitreuiller le brave Don Camillo.
Pendant ce temps-là, notre curé parlait au Bon Dieu. Il lui disait : « Mais enfin, quand vas-tu me sauver de cette situation ? Tu vois bien que j'ai mis toute ma confiance en toi et toi, tu restes là les bras ballants à ne rien faire ! Les autres vont se dire : « C'est bien la peine de prier ! » et ils viendront encore moins nombreux à la messe.

- « Don Camillo, je trouve que tu exagères un peu. Je t'ai envoyé Monsieur le Maire et tu ne l'as pas suivi. »
- « C'est un anti-clérical, il est pour le travail du dimanche et Tu crois que je pouvais lui faire confiance ? Jamais de la vie. »
- « Il n'empêche qu'il s'est déplacé pour toi ! ...Je t'ai envoyé le chef des pompiers, mais tu as refusé de monter dans son embarcation ! «
- « Lui, c'est un protestant, il est contre le Pape. Jamais je ne lui ferai confiance ! »
- « Pourtant, Don Camillo, il s'est mis à l'eau pour toi et lui, plus que toi, croit que seule la Foi sauve ! ...Enfin, je t'ai envoyé Monsieur le Préfet, et tu prétends toujours que je n'ai rien fait pour toi ! »
- « Lui, Seigneur, ne m'en parle pas. Lors de la dernière inondation, on a dit qu'il avait réquisitionné l'hélicoptère pour partir en week-end ! »
- « Tiens, le voilà de nouveau l'oiseau rouge et maintenant, tu vas me faire le plaisir d'y monter, sinon je te fais nommer curé dans le fin fond des Cévennes. »

Voilà comment Don Camillo ne fut pas « sauvé » des eaux comme l’écrivirent les gazettes locales, mais secouru dans son imprudence. On dit même que lorsque tout le monde fut rentré dans le village, et que de grands travaux furent entrepris pour que pareil désastre ne se reproduise pas, Don Camillo alla voir Monsieur le Maire, le capitaine des pompiers et Monsieur le Préfet pour leur demander pardon avant de le faire devant tous ses paroissiens.
Notre impétueux et présomptueux curé n'a pas manqué de sauveteurs mais il n'a eu qu'un Sauveur, Celui qui l'a sauvé de son orgueil et de son manque de charité, c'est-à-dire de son péché. Quand Jésus, le Fils du Père, vient nous sauver, ce n'est pas d'un accident, d'une avalanche ou d'un échec à un examen. Il vient nous sauver de quelque chose de plus grave et de plus radical. Il vient nous guérir de ce réflexe animal qui consiste d'abord à sauver sa peau avant de penser à celle des autres et même de cette obscure malveillance que nous entretenons envers ceux que nous n'aimons guère. En entrant dans notre vie humaine, Il nous donne de recevoir la sienne. En accueillant son Amour à la mesure de l'humanité entière, en communiant à sa Vie résistant à toute mort, nous sommes décentrés de nous-mêmes, délivrés de toute mort et nous pouvons goûter la joie d'être à notre tour des acteurs du Salut.
« Quand les hommes vivront d’amour, il n’y aura plus de misère, les soldats seront troubadours »… et Don Camillo plus bienveillant envers ses semblables….

Avec mes meilleurs vœux en forme de salut dans son sens plénier.
jeancasanave.bolgspot.com

14 décembre 2008

Gaudete
Gaudete dit le latin, siat gauyous répond le béarnais : réjouissez-vous, soyez dans la joie ! C’est le mot d’ordre du troisième dimanche de l’Avent que ne cesse de répéter l’Eglise depuis des siècles, en temps de guerre comme en temps de paix, en période de disette comme d’abondance, malgré les calamités, les épidémies, les récessions, les déflations, les inflations et …les incompréhensions.
Trois hérauts sont convoqués pour nous convaincre : Isaïe, Jean Baptiste et Paul. Le premier déplore la situation de son peuple gouverné par des « gamins » qui signent des alliances éphémères en négligeant Celle qui les a fait rois. Il déclare cependant: « Je tressaille de joie, j’exulte… ». Le second, en butte à la surveillance tatillonne des pharisiens qui suspectent cette nouveauté liturgique d’un baptême célébré sur les bords du Jourdain et détesté par la femme du roi, se définira comme l’ami de l’Epoux, mettant « sa joie à entendre la voix de son ami … qui se tient là au milieu de vous ». Enfin, le troisième, déchiré par les divisions internes de la primitive Eglise, le regard assombri par les perspectives de persécutions, n’hésite pas à exhorter ses frères : « Soyez toujours dans la joie ». Avons-nous affaire à trois doux naïfs planant largement au-dessus des réalités de leur monde ou à trois prophètes lisant le présent comme « s’ils voyaient l’invisible » ?
Ce ne sont pas des gamins qui nous gouvernent mais nous aimerions bien de temps en temps qu’un personnage de haute envergure déploie devant nous de larges horizons. Or ceux qui côtoient de près la cabine de pilotage affirment qu’il n’y a personne aux commandes de l’appareil mondial. Alors, nos responsables, déguisés en secouristes ou en pompiers, se démènent comme de beaux diables pour éteindre les incendies et escorter les ambulances. La crise n’attend pas !
Néron, du moins en Occident, ne persécute plus les chrétiens. Mais ceux qui n’adorent ni les honneurs, ni l’argent, ni la réussite tapageuse, ni l’opinion publique, ni la toute puissante technique, finissent par agacer la pensée unique en rappelant leurs principes jugés désuets et obsolètes. Alors on déclenche le rouleau compresseur des media, on met les sondages en batterie, on flatte l’opinion et par le jeu dit démocratique on rabote les questions gênantes, on jette le discrédit sur les valeurs ou sur ceux qui les défendent. Il ne reste plus aux prophètes que de crier, non dans le désert, mais dans de gigantesques magasins bourrés jusqu’à la gueule de denrées indispensables et de décibels tentateurs. Consommez, vous penserez plus tard !
Soyez dans la joie ! Proposition tout aussi inadaptée aujourd’hui, qu’elle était décalée hier. Nous qui souhaiterions un guide clairvoyant qui puisse reprendre les rênes, montrer le cap, fixer des objectifs, nous voilà en train de patiner devant un message qui brouille encore plus les pistes. Comment en pleine crise être dans la joie ? Comment repérer Dieu « au milieu de nous » ? Et pourquoi ne se fait-Il pas reconnaître dans l’évidence de sa puissance ?
Il nous reste dix jours pour sortir du bric-à-brac mondialisé, pour tendre l’oreille, pour aiguiser notre regard : un couple de pauvres gens cherche un gîte, un enfant va naître et avec lui un monde nouveau…

30 novembre 2008

Lechem droumi :
Lechem droumi nou’m biengues troubla la cerbele, lechem droumi(1)…Laisse moi dormir, ne viens pas troubler ma tête…Ainsi fredonnait notre ami le berger, soudainement réveillé en pleine nuit par un léger battement d’ailes. Il avait même ressenti comme un frôlement mélodieux. Habitué au chuintement des oiseaux de nuit, au glapissement du renard en maraude, au jappement du chien inquiété par quelque visiteur nocturne, il avait appris à sommeiller sans baisser la garde de sa vigilance. Décidemment, ce soir, il faisait trop froid, il n’avait pas envie de quitter sa paillasse pour si peu.
Un léger tintement a résonné dans le lointain. C’est la cloche de Noël. Tous ces temps ci, tu as entendu, toi aussi, un frôlement, celui des balles de la crise financière, de la perte du pouvoir d’achat, de la récession à venir. Mais, ce soir, tu as envies de faire une pause. Tu as invité la famille et tu vas « faire la fête » pour bien finir l’année ; tu vas en profiter dans le cas où ça ne durerait pas ! « Lechem minya nou’m biengues coupa la chique… » « Laisse moi manger, ne me coupe pas l’appétit…
Ce soir, tu auras peut-être du mal à « attraper » le sommeil. Une histoire de bergers et de pauvres gens te trotte dans la tête. Il y a 2000 ans, ils avaient accueilli un enfant appelé plus tard le Christ. Lui aussi était né en pleine crise. Son pays était sous occupation, ses habitants croulaient sous les impôts divers ; les indigents, les exclus et les malades étaient légion .Un certain Zachée et d’autres comme lui, avaient prévu un bon parachute doré pour leur retraite. On pensait même que ce Jésus allait rendre la santé et nourrir toute la population car il lui arrivait de faire des miracles. Or il est mort sans même avoir crée une banque, sans éditer un manuel d’économie politique, sans fonder une école d’administration. Il nous a simplement demandé de ne pas nous endormir, de ne pas en rester à la dimension horizontale, de prendre le risque de vivre une vie réellement humaine. Pour cela, il nous a laissé le seul trésor qui ne se dévalue jamais : l’Amour exigeant mais tellement tonifiant de Dieu pour notre humanité.
Le berger, lui non plus, n’a pas pu s’endormir. Il a pris sa musette et son bâton. Il est sorti comme l’avaient fait ses collègues avant lui. Un frôlement d’ailes d’anges les a guidés vers le Dieu tout aimant comme un enfant et ensemble ils ont entonné « Lous aulhes lous permés(1)… Les bergers les premiers ont quitté leur enclos...» Allez, debout, quitte la table de tes prétextes éculés, viens toi aussi à la crèche, tu y trouveras bouts de paille et brins de bonheur durable…

(1) Cantique béarnais : orthographe non certifiée.

03 novembre 2008

Habemus Episcopum.
Voilà deux semaines qu’un évêque a été, enfin, nommé pour le diocèse de Bayonne, Lescar et Oloron. Alors qu’en penses tu ?
J’entends les commérages. « Il a une bonne tête…. il est jeune…souriant…il porte soutane… il paraît que cette communauté St Martin dont il se réclame n’est pas fanatique du Concile Vatican II…il amènera des prêtres…je préfère des prêtres en soutane que pas de prêtres du tout… il vient remettre de l’ordre dans un diocèse qui a trop fait parler de lui…on a sablé le champagne dans certains presbytères…des légions de séminaristes seront présents à son ordination, ils sont en train d’amidonner dentelles et barrettes… »
J’écoute les commentaires dits avisés. « Une fois de plus les organismes officiels de l’Eglise de France sont court-circuités par des réseaux parallèles… Va-t-il rouvrir le séminaire et accueillir une catégorie de jeunes bien typés venant de partout et de nulle part…à long terme, c’est la mort programmée du clergé diocésain, inséré dans une culture et en symbiose avec elle…il est le type même du nouveau clergé plus attaché à sa communauté qu’à son Eglise d’origine…ces prêtres là ont un message à porter quels que soient le lieu et le temps qui le recevront… leur apostolat consiste à développer un certain piétisme soluble en toute circonstance et sur tous les continents…. »
Alors, qu’est ce tu en penses ?
- D’abord, je plains sincèrement le nouvel évêque. Il entre dans un diocèse en état de délabrement avancé. Contrairement à ce que disent les discours officiels, le Béarn et le Pays Basque ne se caractérisent pas par une « culture religieuse encore bien vivante ». La culture ou plutôt les cultures sont coupées de la Foi. Ce qui reste est bien souvent un sous bassement religieux commun à toutes les civilisations humaines, quelque peu teinté de Christianisme. La feuille donnée aujourd’hui, 2 novembre, pour être lue dans tous les cimetières, n’aurait comporté que des poèmes choisis et de beaux textes émouvants, cela n’aurait pas dérangé la majorité des personnes présentes cet après midi autour des pierres tombales. Ce constat est certainement sévère. Je prends cependant le risque de le porter jusqu’à preuve du contraire.
- Ensuite, je pense que notre prénommé Marc sera « ordonné » évêque et que cela peut changer un homme. Il sera placé dans une toute autre position que celle d’un vicaire général ou celle d’un responsable de communauté. Il se trouvera confronté à l’alternative suivante : faut-il être un bon gestionnaire du peuple de Dieu ou un témoin de l’Absolu. Les deux ne s’excluant pas forcément. Ou bien, il attend tout du peuple qui lui est confié et il succombe à la dispersion des appels ou à l’inertie de la masse. Ou bien il attend tout de son charisme personnel et ne suscite que feu de paille provisoire et déception durable.
Alors, malgré commérages et commentaires, je lui accorde un à priori favorable. Et puisqu’ « avec nous il est chrétien », j’attends simplement de lui qu’il rappelle et qu’il accomplisse lui-même le commandement unique : « Aime Dieu et ton prochain.. »… y compris les prêtres diocésains. La combinaison des deux préceptes de la première Alliance par le fondateur de la deuxième évite tous les sectarismes et toutes les platitudes.
-. Enfin, je lui souhaite de rencontrer, d’écouter, d’encourager et d’instituer dans des ministères appropriés ces pères et mères chrétiens qui dans notre société et dans notre Eglise tiennent à bout de bras et de ténacité la transmission de la Foi et la permanence de la prière. Ils ne sont pas nombreux, ils sont encore assez jeunes, ils sont les pierres d’angle de l’Eglise de demain.

02 novembre 2008

Sophie : Femme de proue

La vie de Sophie qui vient de s’éteindre suffirait amplement de commentaire à cette page d’évangile (Mt 25,31ss). Je me contenterai de rappeler une évidence : Qui que nous soyons, nous sommes tous des héritiers ! Dans la mesure où nous prenons de l’âge nous réalisons mieux le sens de cette phrase : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et même si tu crois avoir acquis par toi-même beaucoup de choses, qui t’a donné la faculté d’apprendre, la capacité d’innover, la volonté de progresser ? »
Sophie a fait partie de cette génération de femmes qui a connu l’un des plus grands bouleversements de la vie rurale, y compris dans ce que l’on appelle la condition féminine. L’avantage qu’elles avaient sur les hommes et qu’elles ont encore, réside dans cette relation tout à fait spéciale qu’une femme entretient avec la vie. Celle qui couve la vie en elle fait l’expérience de la durée, de la patience, des lentes germinations, des fécondes maturations. Ces femmes là ont traversé l’un des siècles les plus mouvementés, sans jamais casser le fil de la vie dont elles avaient pris le relais et qu’elles passeraient à d’autres. Elles ont transmis un avoir faire et surtout un savoir être. Combien de tâches ingrates et ignorées ont- elles effectuées pour « tenir » une maison afin que chacun s’y sente bien, pour réunir une famille dispersée, raccommoder les uns avec les autres, écouter les chagrins, partager les joies, mettre en valeur les capacités de chacun, redonner confiance à ceux qui avaient échoué…Un savoir être…
Elles ont eu du mal à s’habituer aux ruptures qui paraissent aujourd’hui être la condition de toute entreprise humaine. Malgré leur souffrance, elles ont eu la sagesse de considérer que si certaines cassures étaient inévitables, elles ne remettaient pas tout en cause et provoquaient parfois un sursaut d’humanité.
Où trouvaient-elles la clef cachée du trésor inépuisable de leur vie ? Elles la trouvaient ici dans cette chapelle, dans le face à face avec le Seigneur, dans la rencontre de l’Eucharistie. Et c’est peut-être l’un des paradoxes de notre temps qui ne cesse de mettre en valeur le passé, les recettes d’autrefois, les matériaux anciens, le retour a une vie authentique, qui multiplie les formations pour « inventer » ce que nos grands-mères connaissaient par l’expérience et la tradition, et qui n’a que dédain et suspicion pour cet héritage essentiel de la Foi.
C’est en elle, que Sophie et ses compagnes puisaient la force d’aller de l’avant sans jamais rompre le lien de la vie qu’elles transmettraient non seulement avec les moyens de l’assumer mais surtout avec ces repères qui avaient fait leurs preuves et qui leur donnaient des raisons d’espérer.
Seigneur, notre Dieu nous qui sommes les héritiers de cette génération permet que nous ayons la joie de transmettre l’essentiel de ce qui a fait notre vie et que nous puissions greffer nos jeunes successeurs sur le rameau du Christ. Alors nous serons sûrs d’avoir porté du fruit et un fruit qui demeure…

03 octobre 2008

Germaine
Elle a milité durant toute sa jeunesse dans les mouvements d’Eglise. Elle a voyagé dans les pays d’Orient. Elle a mis ses compétences au service de communautés de Jérusalem et d’évêchés français. Elle a animé des groupes bibliques. Bref, elle est sortie de son enclos religieux originel. Elle profite de sa retraite pour prier davantage et pour participer encore à quelques conseils de sa paroisse. Au cours de l’un d’entre eux, où il était question des obsèques, une de ses amies s’étonne : « Comment cela ne vous fait rien d’envisager vos funérailles sans une célébration de l’Eucharistie ? »
Réponse de Germaine : « D’abord je n’en mourai pas…puisque ce sera déjà fait. Et ensuite, j’espère bien que je célébrerai la grande Eucharistie, l’Action de grâce permanente avec tous mes frères du ciel et en communion avec mes amis qui se réuniront le dimanche suivant autour de l’autel! »
Quand le bon sens rejoint une saine théologie…

23 septembre 2008

Un patron bizarre !

Il pénalise ceux qui se lèvent tôt et favorise les nonchalants. Il s’agit du viticulteur du chapitre 20 de St Matthieu. L’histoire ne dit pas si, l’année suivante, il a encore trouvé des ouvriers pour s’échiner dès le lever du jour ou si toute cette affaire n’a pas trouvé son épilogue devant les instances prud’homales.
Ce récit n’a rien de la narration d’un fait divers authentique. C’est une parabole, un récit allégorique inventé pour nous surprendre puisqu’il nous parle d’une réalité qui nous échappera toujours : le Royaume de Dieu.
L’Eglise est cette portion de l’humanité qui justement est censée vivre par anticipation le Royaume de Dieu et témoigner de Lui. Or, lorsqu’une partie de cette Eglise perd ses trois curés et une religieuse et qu’ils ne sont remplacés que par un seul prêtre, la tentation est forte de regarder vers la société civile. Comment s’y sont pris les gendarmes, la banque postale, l’éducation nationale, Groupama ? Ils ont « redéployé le dispositif », « ajusté les postes », « adapté leurs prestations », laissé une marge de manœuvre en cas de manifestation et surtout persuadé tout un chacun que tout irait pour le mieux dans un rural considéré, respecté et même choyé. Pour le dire plus simplement, on a supprimé des postes, ventilé le personnel et éliminé les secteurs non rentables. Pouvons-nous appliquer à nos paroisses les règles du « management » en vigueur dans les services civils ? Il serait de toutes les façons difficile de diminuer un personnel déjà exsangue, quant à ne garder que le rentable, encore faudrait-il le définir. Si nous en parlons au grand Patron, au maître de la vigne, nous risquons là aussi quelques déconvenues !
Avant de parler restructuration et organisation, un préalable s’impose : se plonger dans la prière et la réflexion et mettre à l’ordre du jour trois questions :
Qu’est-ce que l’Eglise ?
Qu’est-ce qu’un baptisé ?
Qu’est-ce qu’un prêtre ?
Profitons de cet évangile des ouvriers de la vigne pour nous rappeler quel est le travail du prêtre. J’ai connu un sacristain dévoué qui, à l’annonce de trois ou quatre enterrements dans la semaine ne manquait jamais de s’exclamer : « Quel travail pour vous, Monsieur le Curé, cette semaine » ! Sous entendu : « Le reste du temps, on ne sait pas trop ce que vous faites » ! Le travail du prêtre se résume-t-il au temps passé en tenue liturgique ?

Premier service rendu par le prêtre pour sa communauté : Se laisser configurer au Christ Pasteur. Ce n’est pas parce qu’il a reçu il y a 20 ou 30 ans une ordination que la grâce agit magiquement. Elle est affaire d’amour et celui-ci s’entretient. « Pierre m’aimes-tu ? Oui, tu sais que je t’aime ! » Il se nourrit de l’étude de la Parole, de la prière, des formations indispensables. Un prêtre qui n’irait jamais voir ce qui se passe hors de sa paroisse risque la sclérose.
Deuxième service : Il est l’animateur de la communauté. Il ne l’est pas tout seul. Des baptisés partagent avec lui la mission. Mais c’est lui qui donne les orientations, qui forme ou fait former les laïcs, qui fait le point avec eux, qui veille à la cohésion de l’ensemble. Travail continu de formation et de vigilance. « Venez avec moi à l’écart… »
Troisième service : Il se rend disponible pour l’accompagnement spirituel. Les chrétiens aujourd’hui se trouvent affrontés à des décisions de plus en plus difficiles tant sur le plan familial, que professionnel, moral ou social. Ils éprouvent le besoin d’avoir un vis-à-vis, non pour s’en remettre à son choix mais pour confronter leur réflexion à celle du prêtre. « Quel est celui qui avant d’aller au combat ne réfléchit pas pour savoir… »
Quatrième service : Il se doit aussi de répondre aux sollicitations de la société civile ou aux invitations amicales. C’est dans ces moments là qu’il peut mieux sentir les préoccupations des hommes d’aujourd’hui car c’est à des hommes et des femmes bien situés dans leur espace et dans leur temps que la Bonne Nouvelle est annoncée. « Ils étaient comme des brebis sans pasteur… »
Cinquième service : Il célèbre. Il célèbre l’Eucharistie et les sacrements, toujours avec l’assemblée, corps « mystique » du Christ et non virtuel. Mais qu’est-ce qu’une célébration liturgique? Une représentation théâtrale ? Une séquence de cinéma ? Quand le prêtre dit « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », quand les fidèles reçoivent ces paroles font-ils de la figuration ? Accomplissent-ils une commémoration ? Ne s’engagent-ils pas à devenir ce crucifié qui surplombe l’autel et qui livre sa vie ? Cela vaut bien une bonne demi-heure de préparation et plus encore pour s’en remettre…Une Eucharistie ne se commande pas, ne se fabrique pas en série, ne se livre pas à domicile, n’est pas l’objet d’une ordonnance, ni d’une envie passagère. Elle fait l’unité de la communauté, elle n’est pas là pour la fractionner en petites chapelles.
Sixième service : Le prêtre prie pour la communauté et pour toute l’Eglise l’office divin. C’est ainsi qu’il témoigne de l’unité avec l’Eglise toute entière et avec son évêque.
Enfin pour atteindre un chiffre biblique, le septième service que rend le prêtre à sa communauté, c’est celui d’accepter de se laisser critiquer. C’est souvent le seul sujet sur lequel se fait l’unanimité d’un groupe et cela dans toutes les institutions. Mais plus sérieusement, un prêtre qui ne ferait l’objet que de louanges générales et qui donnerait satisfaction à tous aurait quelques soucis à se faire. Serait-il encore le prêtre de Celui qui a été refusé et jeté hors de la Ville ?
Devant l’extension de la superficie de la vigne il ne suffira pas d’en appeler à une meilleure rentabilité des ouvriers, il faudra que les ceps se prennent par les sarments…

21 septembre 2008

Que sert à l’homme de gagner l’univers…..
Follement réjouissant le futur de nos sociétés décrit par Jacques Attali dans sa « Brève Histoire de l’avenir » ! Une chose paraît certaine : nous n’en avons pas pour longtemps en continuant sur notre lancée. Après avoir traité d’obscurantistes ceux qui osaient dire que nous allions vers un épuisement des ressources, des experts en tous genres ont découvert un principe simple : dans un monde fini, le progrès (tel que nous l’entendons dans nos sociétés occidentales) ne peut pas être infini.
On ne compte plus les articles qui préconisent les économies d’énergies, surveillent le dégel des pôles, s’alarment sur les déforestations. Précaution, sobriété, frugalité, autonomie alimentaire, économie solidaire, agriculture vivrière ne font plus sourire ceux qui proclamaient que pour fournir à chacun une part de dessert, il suffisait d’augmenter le gâteau.
Pour plagier l’Evangile, on pourrait dire : « Que sert à l’homme de gagner du temps, s’il ne le prend plus pour parler avec ses proches ; que sert à l’homme de réussir une ascension professionnelle fulgurante, s’il ne connaît plus ses enfants. Que sert à l’homme de communiquer avec le monde entier, s’il ne connaît pas son premier voisin etc.… »
J’entends encore les slogans de la dernière campagne présidentielle : « Travailler plus pour gagner plus ! » Mais s’il faut passer sa vie à la gagner, que restera-t-il pour la vivre ? L’autre programme mettait en avant la « loi du gagnant /gagnant ». Ce serait-il pas plus juste et plus réaliste de consentir à ce que certains perdent un peu pour que tous y gagnent? Mais qui oserait promouvoir une loi du perdant/gagnant ?
Ne faisons pas de l’Evangile un manuel d’économie politique mais une occasion de questionnement. Où est l’essentiel pour l’être humain ? Dans l’accumulation des outils ou dans le sens qu’il donne au travail ? Dans l’augmentation des loisirs ou dans la façon de les vivre ? Qui demain sera l’homme moderne? Qui profitera le mieux de son travail? Quel est celui qui réussira ? Celui qui sera riche de sens et de valeurs. Ce sens et ses valeurs ne se trouvent ni dans les caisses du Crédit Agricole, ni dans les laboratoires des technologies avancées mais au plus profond de chaque être, un lieu qu’il peut nommer son « âme ».
Lisez quand même l'ouvrage jusqu’au bout. Il nous promet une terre de rêve… si nous osons faire un « acte de foi » dans l’avenir ! Pas très scientifique tout cela, Monsieur Attali !
Jacques Attali « Une brève histoire de l’avenir » Fayard 2007

10 septembre 2008

Jean Paul, Paola et Cassandre (8 mois)

( J’ai repris mes blogs sur « jeancasanave.blogspot.com » Voici l’homélie du dernier mariage célébré)

Paola et Jean-Paul.
J’avais envoyé un mail à Cassandre le jour de son baptême, vous vous en souvenez. Ce que vous ne savez pas, c’est qu’elle m’a répondu par une longue lettre. Elle ne m’en voudra pas, je l’espère, de la rendre publique aujourd’hui. Voici ce qu’elle me disait :
Tu vas bientôt marier papa et maman. Ils en avaient l’intention avant que je ne voie le jour. Mais j’ai l’impression que ma venue dans ce monde les a fortifiés dans cette idée. Jusque là ils faisaient beaucoup de projets en l’air, ils se disaient sûr de leur amour et confiants dans leur avenir. La vie leur paraissait aérienne, légère et souriante. Quand ils m’ont ouverts les bras ou quand ils m’ont eu sur les bras, il me semble avoir un peu perturbé leur vie. Ils ont tout d’un coup compris que la vie était d’abord un cadeau qui venait d’ailleurs, un cadeau merveilleux mais fragile, que l’avenir réservait peut-être des surprises, qu’ils ne maîtrisaient pas tout, que j’aurai pu être en moins bonne santé et beaucoup d’autres idées auxquelles ils n’avaient pas pensé se sont bousculées dans leur tête. Alors ils se sont dits qu’eux aussi étaient l’un pour l’autre un cadeau merveilleux mais fragile, qu’ils avaient besoin de compter l’un sur l’autre pour s’aider à s’aimer et que j’avais aussi besoin de compter sur eux. Mais si leur vie et leur amour étaient comme moi un cadeau merveilleux et fragile, ils devaient aussi en remercier la Source et compter sur Celui qui donnait ce cadeau. C’est donc un peu à cause de moi qu’avec d’autres couples ils se sont préparés à ce grand jour.
Je suis encore bien petite mais j’imagine tous ceux qui les entoureront ce jour là et je sais à quoi ils vont penser.
Les plus jeunes se diront que ma maman est bien jolie dans sa robe de mariée et qu’ils vont bien s’amuser quand ils sortiront de l’Eglise où d’habitude ils s’ennuient un peu. Mais ne t’inquiète pas pour une fois qu’ils sont là se tiendront bien.
Quelques uns se demanderont pourquoi des jeunes comme mon papa et ma maman veulent encore se marier à l’Eglise au lieu de rester libres comme l’air. Ils ont un peu oublié qu’un cadeau précieux a besoin qu’on l’entoure de précautions, d’un écrin d’acier et de rubans solides. Les chrétiens appellent cela un sacrement.
Il y aura aussi les autres, ceux de la génération de papi et mami. Ils seront très émus parce qu’ils se diront : il y a trente ans nous étions à leur place. La vie a déjà fait son chemin. Est-ce que le jeune couple que nous étions se reconnaîtrait dans celui que nous formons maintenant ? C’est une question un peu embêtante. Alors ils préfèreront revenir à leurs soucis habituels. Mais, demain peut-être, ils auront envie de se remarier une fois de plus.
Il y aura les anciens comme toi. Eux resteront calmes, ils en ont vu d’autres. Des couples mal partis et qui se sont relevés, des mariages flamboyants qui sont partis en fumée. Ils ont retenu l’essentiel. L’accessoire, le décorum, la fête, le menu ne les inquiètent pas. Ils savent qu’un amour c’est comme un feu dans une cheminée. Il faut l’entretenir tous les jours et pas seulement quand on est bien habillé ou quand on fête un anniversaire.
Alors tu diras à mes parents que je suis très heureuse de compter sur eux mais aussi qu’ils peuvent compter sur moi. Dis leur que je les aime beaucoup mais que ça ne me suffira pas longtemps : il faudra aussi que j’aime des frères et des sœurs et que je puisse inviter des amis chez moi, même s’il faut pousser les meubles. Tu leur diras que lorsqu’ils ont eu une dispute ou quelque chose de très important à se dire, ils ne sont pas obligés de me prendre à partie. J’ai à vivre ma vie, moi. On m’a dit qu’il existe des couples qui se sont donnés une règle : chaque mois ils mangent ensemble tous les deux pour ne parler que d’eux, ce qu’ils deviennent et comment ils se voient évoluer. Il me semble que c’est une bonne habitude. Tu leur diras aussi de ne pas me gaver de tous les gadgets, de jeux vidéo et des dernières marques de chaussures ou d’argent de poche. Je sais que trop souvent on nous donne tout cela pour compenser l’absence de choses bien plus importantes. S’il m’arrive de faire un caprice pour obtenir quelque chose dis leur de ne pas céder même s’ils ont mal au cœur. Je sais qu’eux aussi ne se payent pas tous leur caprices. Qu’on ne peut pas tout avoir. Choisir c’est refuser d’avoir tout, mais c’est, aussi, rester et devenir libre. C’est ce à quoi ils s’engagent dans le mariage. Qu’ils m’apprennent aussi qu’on ne grandit pas sans effort, même si parfois je pleure un peu. Surtout qu’ils me donnent tout leur amour, c’est le seul héritage que je garderai d’eux et que je transmettrai à d’autres. Rien ne remplacera pour moi leur amour.
Enfin, tu leur diras que je suis leur enfant mais aussi et surtout, celui du Bon Dieu. J’aimerais bien le connaître et l’aimer puisqu’on lui doit tout et que cette vie est le début de la vie avec LUI. J’ai entendu qu’il nous a montré le chemin du bonheur. Ce bonheur, c’est de faire celui des autres. J’espère qu’ils me montreront comment eux aussi se rendront ainsi heureux l’un par l’autre dans le mariage.
J’ai une dernière réclamation à te faire : si je vois que mes parents portent trop de soucis, qu’ils rentrent trop tard du travail, qu’ils sont trop silencieux à table, qu’ils s’embrassent sans se regarder, je t’inviterai chez eux et au milieu du repas je dirai que j’ai des devoirs en retard et je te laisserai avec eux. Si tu ne peux pas venir, j’inviterai leurs témoins de mariage et là, c’est sûr, ils comprendront qu’il faut changer quelque chose.
N.B. En relisant ma lettre, je m’aperçois qu’à plusieurs reprises j’ai écrit « Tu leur diras ceci ou cela… ». Après réflexion je me demande si certains ne vont pas te prendre pour un vieux radoteur d’un autre âge. Alors dis leur ce que tu veux, mais sache que tout cela je le pense très fort. Papa et maman sont de la génération du développement durable, moi je serai de la génération de l’amour durable.
Signé :Cassandre.

01 septembre 2008

Brave Martin

Une église comble, une atmosphère de tristesse et d’accablement, c’est la dernière messe que tu célèbres en tant que curé de la paroisse depuis vingt ans. Affaibli par la maladie qui te mine depuis des années, atteint par l’âge auquel un prêtre doit présenter la démission de ses responsabilités, tu cherches un équilibre chancelant en t’appuyant discrètement sur l’autel. Ainsi tu ajustes ton joug et tu tires ta charrue jusqu’au bout. « Bos suetus aratro » disait-on de l’Aigle de Meaux, sermonneur des grands princes. La formule pourrait bien s’appliquer au gardien des voûtes romanes de La-Terre-Sauvée.
Remerciements, émotion, éloges concluent la cérémonie d’adieux. L’incompréhension et le ressentiment refont vite surface. Voilà un canton entier qui perd ses deux prêtres en même temps. Un seul curé fera face désormais à la charge de deux cantons soit une quarantaine de villages. La révolte gronde chez quelques paroissiens. L’évêché est en ligne de mire. « Qui nous enterrera ? » se demandent les non pratiquants pour lesquels la mission du prêtre se concentre essentiellement sur la mort des hommes …et la survie de Dieu !
Je me pose quelques questions ?
Comment des membres assidus de communautés chrétiennes peuvent-ils être à ce point inconscients pour s’étonner de la disparition de prêtres qui ont dépassé l’âge de leurs grands parents? Depuis quand confient-ils à ceux-ci la charge de leur famille ?
Au lieu de se tourner vers les responsables, pourquoi ne comptent-ils pas le nombre de prêtres que ces paroisses ont fournis à l’Eglise diocésaine durant les trente dernières années ? Le total est éloquent !
Comment cette situation que tous les évêques savaient inéluctable a-t-elle pu dégénérer à ce point ? (voir un de mes blogs antérieurs sur le sujet)?
Il reste que l’Eglise n’est pas une entreprise comme les autres. Un changement de DRH ne suffit pas à résoudre les problèmes. L’Eglise nous est aussi donnée d’en haut. Or il se trouve qu’on ne prie plus ou très peu, seul ou en communauté. Il nous faudra bien reprendre le chemin de nos chapelles de campagne ou de nos oratoires désertés pour ré entendre la question du Christ « Pour vous qui suis-je ? » sans oublier la suite : « Tu es Pierre…Tu es toi aussi Fils de Dieu ; tires en toutes les conséquences ! ». Alors peut-être nos lèvres malhabiles retrouveront les mots d’Etty Ellisun pour ajouter : « Seigneur que puis-je faire pour Toi ? » ?
Brave Martin, tu te retireras dans une maison de retraite. Un autre prendra la barre de l’embarcation secouée par les flots. Trouvera-t-il douze hommes et douze femmes pour regarder au loin, s’agripper aux rames et souquer ferme ? Condition nécessaire pour que le Seigneur apaise les flots et les cœurs et pour que quelques audacieux se remettent à marcher sur les eaux !

25 août 2008

Plage.

Un jeune couple débarque sur le sable. Trois garçons : deux bruns et un blondinet. Chacun se prépare avec entrain et bonne humeur à affronter la houle qui balaie la sable. Brusquement la torpeur estivale se déchire. Des cris stridents, des hurlements, des trépignements. Le petit garçon blond refuse d’enfiler les brassières nécessaires à sa mise à l’eau. C’est une furie, qui mord, projette du sable, veut s’échapper vers les vagues, résiste à toute menace.
Le jeune papa finit par maîtriser le fauve et immobilise les poignets du garçonnet dans ses mains. Rien n’y fait. Redoublement de cris, de spasmes, de hoquets. Apparemment l’enfant n’est pas le sien. Désemparé, il téléphone à la maman du gamin pour qu’elle lui demande d’obtempérer. Refus de l’enfant de prendre l’écouteur. Le père ne relâche pas son emprise et parle calmement au bambin. Au bout d’une bonne demie heure un château de sable élève timidement ses tours sur la plage, l’enfant est libre de ses mouvements et a retrouvé une parole normale. Quand l’édifice est terminé, le papa propose une baignade avec brassières : acceptation sans conditions. Le petit blond rejoint ses amis et va barboter dans de grands éclats de rire et des cris de joie enfantine.
Victoire de la pédagogie ? Certainement. Mais cette pédagogie s’est déroulée en trois temps. Un : Affirmation de l’autorité par la répression de l’indiscipline. Deux : sortie de la crise par la valorisation de l’enfant sur un autre objectif dont on applique les règles. Trois : proposition nouvelle sans revenir sur le refus initial. Et, enfin, savoir que rien n’est acquis et qu’il faudra sans cesse recommencer.
Qui, à l’échelle d’un Etat, aura le bon sens, la ténacité, la patience et le savoir faire de ce père de famille quand les règles sont bafouées ?

11 juillet 2008

St Benoît à Belloc.

Le père Abbé a pris des risques en m’invitant à prendre la parole car il ne m’a pas précisé le genre littéraire à adopter. Homélie ou sermon ? Certainement ni l’un, ni l’autre…plutôt une action de grâces. Je connais mal votre fondateur. Je l’avoue. Alors, pour rafraîchir un peu ma mémoire, j’ai cliqué sur Google et j’ai demandé : Règle de St Benoît. Surprise ou signe du ciel : que vois-je apparaître sur l’écran en première position, une présentation de la Règle proposée par les moines… de Belloc avec, s’il vous plaît, illustrations à l’appui. Le site débute même par une interview passionnante entre Benoît et notre ancien prieur. Ils se bombardent de citations latines et Benoît un peu déstabilisé a parfois du mal à se remettre des questions percutantes de son lointain disciple. Refusant par politesse et surtout par prudence d’entrer dans ces querelles familiales, j’ai ouvert un autre site qui m’a offert ce que je cherchais : les motifs pour lesquels St Benoît avait été en 1972 proclamé patron de l’Europe. Je vous cite le Pape Paul VI :
« C’est lui principalement et ses fils qui, avec la croix, le livre et la charrue, apporteront le progrès chrétien aux populations s’étendant de la Méditerranée à la Scandinavie, de l’Irlande aux plaines de Pologne.
Avec la croix…il cimenta cette unité spirituelle de l’Europe grâce à laquelle des peuples de langues, de races et de cultures diverses prirent conscience de constituer l’insigne peuple de Dieu…
Avec le livre…c’est à dire avec la culture…Saint Benoît a sauvé la tradition classique des anciens en la transmettant intacte à la postérité et en restaurant le culte du savoir…
Avec la charrue, c'est-à-dire avec l’agriculture et d’autres initiatives analogues, il réussit à transformer des terres désertiques et incultes en champs très fertiles et en gracieux jardins. En unissant la prière au travail matériel, selon son mot fameux « Ora et Labora » il ennoblit et éleva le travail de l’homme. »

Frères et sœurs, ici, à Belloc, St Benoît s’est fait laboureur et éleveur au point qu’il était devenu, pour une génération d’agriculteurs de ce département, le type du paysan ancré dans ses traditions et ouvert sur la modernité. Aujourd’hui, il a transmis son savoir faire et peut se contenter de vanter et de commercialiser son produit vedette. Mais Benoît travaille toujours. Il affine et sale son fromage, il calligraphie, il tisse, il soigne et soulage ses frères, il défriche, il plante, il offre même une vitrine forestière.
Ici, à une certaine époque, le Patriarche des moines s’est fait prédicateur de paroisses à la manière des missions des campagnes. Actuellement, son zèle missionnaire plus recentré ne s’est cependant pas refroidi. Il continue de méditer et de transmettre la Parole de Dieu aux groupes qui montent jusqu’à lui.
Depuis sa fondation le monastère avait ouvert l’ancêtre du « gîte rural ». Hôtelier attentionné il gratifiait ses invités de plusieurs couverts tandis que ses moines se contentaient d’un plat en étain. De nos jours, c’est l’Europe qui se donne rendez-vous autour de sa table et retrouve, ainsi, sa mémoire chrétienne.
Ici, encore, l’ermite de Subiaco a beaucoup étudié, il a dirigé une école, il a classé d’innombrables documents, ouvert sa bibliothèque aux savants comme aux novices. Le voilà, à présent, libraire et organisateur de conférences, grâce aux grands témoins auxquels il donne rendez-vous périodiquement.
Ici, surtout, comme il l’a toujours fait, l’Abbé du Mont Cassin prie et célèbre. Il prie en plusieurs langues. Ces langues ne se revendiquent pas, ne s’excluent pas, ne s’imposent pas. Elles se posent naturellement sur la Parole parce qu’elles sont prière et beauté. Benoît chante, il chante avec sa soeur Scholastique en mélodies simples et variées. C’est la création toute entière qu’il associe à sa louange par la propagation des ondes de sa cloche, les couleurs chatoyantes des fleurs délicatement disposées et par la clarté de la verrière ouverte sur le ciel.

Ici, enfin, Benoît, en frère des hommes, souffre en son humanité et meurt entre les bras de ses frères et de Marie sa Mère. Seul, son nom, gravé sous les grands chênes retient la trace son passage sur cette terre. Détrompons nous, il n’est jamais bien loin. Il est toujours là dans le chœur, mais comme en surplomb.
Chers frères, gardez une âme paysanne taillée en grands éclats dans le tronc du silence et doucement polie par la suavité des collines arrondies. Si les citadins, qui se mêlent largement aux voisins de l’abbaye accourent chez vous, c’est pour y trouver cette authenticité de l’homme ami de la terre et des humains, et qui s’est risqué à côtoyer les rives du ciel.
Si par malheur, un jour, le messager de mauvaise augure venait m’annoncer que l’Eglise de Bayonne, Lescar et Oloron avait disparu, je lui demanderais : Qui réside encore à Belloc ? S’il me répondait que deux ou trois moines, deux ou trois sœurs, s’accrochaient encore à la Croix, au livre ou la charrue, alors, rien ne serait perdu.

Au nom de tous les prêtres et de tous les chrétiens qui en ce beau lieu cherchent souffle et sens, retrouvent solitude du cœur et simplicité de vie, bénéficient du pardon et de la paix, entendent la Parole, s’approchent de la Présence… Loués soient Benoît de Nurcie et tous ses fils, nos frères.
Signe religieux ostentatoire
Vous avez pu remarquer ces jours ci un objet non identifié sur toutes les chaînes de TV et dans les reportages de tous les journaux. Une sorte de bracelet informe, une guirlande de boutons dépareillés tressée de bouts de ficelle réunis par un débris de croix, et le tout, entourant le poignet d’une femme. Tout ce que la République compte de prestigieuses autorités de droite comme de gauche se pressait pour serrer la main qui prolongeait ce poignet. Je m’étonne que pas un président de chaîne de télévision publique, pas un permanent patenté de ligue de-défense-des-vertus-bafouées-de la République n’ait rappelé à Ingrid Bétancourt que cet objet pouvait traumatiser une partie des citoyens de notre pays. Car cet objet, elle l’avait clairement identifié, c’était un chapelet. Mais ne rabaissons pas le débat au niveau des indispositions passagères dont nous, les français, avons le secret.
Cette femme pendant six années a été totalement dépouillée de tout ce qui faisait sa personnalité. Sénatrice, militante politique, belle femme pétillante d’énergie, bonne famille, diplômée, deux fois mère, deux fois épouse, deux nationalités, tout la conduisait vers un brillant avenir.
Au bout de six ans, abandonnée à la jungle et à des brutes, il ne restait d’elle qu’une ombre blanchâtre, affiche pantelante battue par les vents. Il lui a fallu déchirer tous ses titres, tous ses atouts, toutes les peaux qui exprimaient sa personnalité pour n’être plus qu’un objet d’échange, de dérision, de mépris, à peine identifié. Il lui a fallu renoncer à tout y compris le respect d’elle-même, de sa féminité.
Au terme de cette dépossession de soi, elle aurait pu découvrir l’animal tapi en chacun de nous. L’animal encore hargneux, blessé à mort qui se cache et qui attend la fin. Elle aurait pu - et elle l’a certainement fait- découvrir la force de l’esprit humain qui dans sa capacité de mise à distance lui permet de garder ce que nul ne saurait lui ravir, sa liberté intérieure. Elle aurait pu se murer dans un soliloque distant, se draper dans les habits de l’héroïne stoïcienne et vouer désormais un culte à sa propre effigie.
Rien de tout cela. Sa déchéance humaine lui a mieux révélé une présence qui déjà l’habitait et qui désormais la possède entièrement. Ce n’est ni la bestialité, ni la déification qui donnent à l’être humain sa marque propre. C’est sa capacité à se laisser saisir par l’Esprit. C’est dans sa relation à Dieu, pierre angulaire de sa liberté intérieure qu’Ingrid Bétancourt a trouvé la source inviolable de sa résistance au mal. Même si elle n’avait pas survécu à leurs sévices, ses bourreaux n’auraient pu se prévaloir de l’avoir anéantie.
Je comprends pourquoi elle ne se sépare pas de ce chapelet. Il lui ressemble. Aux yeux de tous, c’est un objet de pacotille, dérisoire comme l’était sa vie dans la forêt perdue. Il est devenu un signe indéfectible, incassable, comme l’est aujourd’hui la Foi qui l’anime, sans nulle ostentation.
Je comprends mieux aussi la parole de Jésus qui débutait l’évangile du dimanche suivant sa libération : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que Tu as caché aux sages et aux savants, Tu l’as révélé aux touts petits. » Il y a des petits qui le sont toujours restés et d’autres qui le deviennent. Quand les circonstances de la vie nous enlèvent les masques et les rôles, nous arrachent les peaux imperméables qui nous protégent des autres et du monde, quand la vie se dérobe, quand l’humiliation nous écorche, quand notre propre identité s’effrite, alors Dieu seul s’approche…. Et ces touts petits deviennent grands, grands vivants. Merci Madame Bétancourt.

30 juin 2008

Extraits de mon discours de réception à l'Académie de Béarn

Mesdames et Messieurs.

Puisqu’à travers ma réception dans cette vénérable institution vous voulez honorer les prêtres diocésains, j’allais dire fantassins, je voudrais rendre hommage à trois personnages qui ont durablement marqué mon enfance et la société rurale en général, dont la plupart d’entre nous, nous sommes issus : Je veux parler de l’Instituteur, du Maire et du Curé de nos campagnes. Ils ont formé longtemps une sorte de Trinité qui n’était pas toujours unie « dans une même charité » comme le précise la liturgie, mais dont les fonctions se savaient indispensables les unes aux autres.
Au commencement, mais il y a de nombreux commencements dans l’Histoire, au commencement était le moine. Il savait lire et apprenait à lire les Ecritures : Il faisait office d’enseignant. Il assurait l’office sacré, en cela il était prêtre. Enfin il veillait au Bien Commun de ceux qui cultivaient ses terres. Il était déjà maire. Ces trois fonctions devaient faire en sorte que « la cité terrestre » soit la photocopie de la « Cité du ciel ». Quand les temps furent plus calmes et que les laboureurs s’émancipèrent de la tutelle du monastère et du château, le prêtre se détacha du couvent et se fit curé de campagne. L’enseignement et la gestion des affaires passèrent en d’autres mains. Et c’est ainsi qu’après bien des crises de croissance, de difficiles cohabitations, parfois même d’excommunications réciproques, nous avons les uns et les autres bénéficié de ces trois références, tels les trois tuteurs indispensables aux jeunes arbres plantés en des terrains trop exposés.
Notre maître d’école voulait par la connaissance faire de nous des êtres libres et responsables. La maxime du jour qui, chaque matin, s’affichait sur le tableau noir, devait orienter tous les travaux et donnait aux connaissances acquises leur finalité dernière. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Un jour la leçon de morale s’effaça et la connaissance rétrécie à la seule science désormais triompha. Nous avons connu la période de son apogée, j’allais dire de son impérialisme. Il a fallu du temps pour comprendre que la science était certes nécessaire mais non suffisante à tracer un chemin d’humanité.
Notre instituteur nous a appris à lire à écrire et à parler une langue commune. L’acquisition de ces outils devait servir la vérité. Le message transmis ne pouvait souffrir la moindre altération, c’est pourquoi le mensonge était banni et puni. « Le menteur est l’ennemi de la Vérité ». Quand la communication est devenue science à part entière et que l’information a confiné à l’intoxication mentale, nous nous sommes prosternés devant le mensonge rendu adorable et désirable par la déesse publicité.
Le régent, ainsi nommé dans notre langue régionale, nous a appris à compter et à réciter les tables à l’endroit et à l’envers. Auparavant, il nous avait fait répéter que l’on pouvait toujours compter sur la parole d’un homme. « Parole donnée ne se reprend jamais ». Il n’y a pas longtemps, les chiffres se sont emballés et l’économie triomphante a dû plier le genou devant la finance dont on dit, sans pudeur, qu’elle ne prend ses ordres nulle part tout en profitant bien à quelques uns. La parole donnée est devenue vague promesse et la promesse oscille au gré des fluctuations de la bourse.

Pendant ce temps que faisait Monsieur le Maire ?
Il veillait à l’égalité. Le professeur des écoles, comme on l’appelle aujourd’hui, s’était fait le champion de la liberté car, pensait-il, la connaissance dispensée nous libérait de l’ignorance, source de toutes les servitudes. Mais encore fallait-il apprendre que la liberté individuelle quand elle n’était pas régulée par celle d’autrui, pouvait dégénérer en ces banales tyrannies quotidiennes qui pourrissent la vie commune. Chargé, justement, de la commune et des biens communaux, le maire maintenait cette étroite solidarité des êtres dans l’espace et dans le temps de cette petite portion de la patrie. Curieuse époque, pas si lointaine, où la nomination du desservant de la paroisse figurait dans les soucis du conseil municipal : « Les habitants de Jasses, quoique républicains, réclament un prêtre » stipulait un compte rendu du secrétaire de mairie de la dite commune entre les deux guerres. L’enfant, ayant atteint un niveau d’instruction supérieur à celui des anciens, comprenait néanmoins qu’il leur devait tout et que la participation de chacun à l’œuvre commune fondait leur égale dignité. C’est pourquoi les fêtes patriotiques ou locales réunissaient enfants, jeunes et adultes dans un même geste symbolique et le dépôt du premier bulletin de vote dans l’urne, constituait, avec le service national, l’un des rites majeurs de l’initiation à la vie citoyenne. Liberté et égalité chèrement conquises dans les droits mais aussi dans les devoirs.


Pendant ce temps que faisait le curé ?
Pontifex, faiseur de ponts, il offrait au Créateur, chaque matin, sur la légère patène le lourd travail de la terre, des bêtes et des humains, ces mille relations de parenté ou de voisinage, ce pain quotidien parfois bien rassis d’une vie rude et besogneuse, pour qu’il soit consacré en pain eucharistique, remède de tous les maux et gage d’éternité. Il ne lui restait plus, au long du jour, qu’à traduire en acte ce qu’il avait célébré dès l’aube. Et c’est pourquoi, le curé s’essayait à bâtir ou restaurer les ponts abîmés et vermoulus de la communauté villageoise. Il était souvent le garant de la Fraternité, cette Charité républicaine qui devait fleurir normalement sur les rameaux de la Liberté et de l’Egalité. Chacun sait bien que cette fraternité ne se décrète pas, même par une Constitution. Spécialiste des maux de l’âme, on dirait aujourd’hui, du mal être, il visitait les malades, consolait les affligés, il soulageait à sa façon la misère. Il ne se privait pas cependant de quelques rappels à l’ordre tonitruants rappelant les accents des prophètes de la première Alliance. Au-delà de son statut « d’utilité publique », lui et son église, restaient les témoins éloquents du mystère de l’être humain, de celui de l’origine du monde et de sa destinée.

Mesdames et Messieurs, j’ai parlé au passé mais ce passé est en moi bouillonnant d’espérance. Il me plaît d’imaginer les propos que tiendra, dans cette Académie, un de mes successeurs, issu et pétri de la civilisation urbaine et plurielle actuelle. A quel type d’homme ou de femme, à quelle réalité sociale, politique, associative, assignera-t-il le rôle de tuteur ou de pivot de l’humanité qu’il aura connue et assumée ? Des jeunes qui s’identifient à des modèles parfois inaccessibles pour eux, nous prouvent, s’il en était besoin, que leur désir de grandir et de se développer reste intact aujourd’hui encore. Entre leurs idoles trop lointaines et leur grisaille quotidienne, ils trouveront bien ces passeurs de sens, ces semeurs de rêves et d’énergie dont ils ont besoin. J’imagine encore que mon successeur demandera à l’Académie de Béarn, comme je le fais aujourd’hui, de veiller à ce que l’équilibre des grands idéaux républicains soient préservés. Il ne serait pas souhaitable, en effet, que le déclin ou la disparition de l’un d’entre eux, ne provoque un de ces dangereux appels d’air dans lequel viendrait s’engouffrer telle ou telle idée pernicieuse en quête d’hégémonie.
Je souhaite que longtemps encore, tout enfant de France et de Navarre, des villes ou des champs, reçoive de sa famille les trois trésors inestimables de la sécurité, de la simplicité, de la générosité;
Qu’il poursuive sans cesse les trois objectifs de tout enseignement reçu: le Vrai, le Juste et le Beau ;
Qu’il puisse bénéficier, d’une façon ou d’une autre, des trois grâces théologales de la Foi, de l’Espérance et de la Charité ;
Et qu’il apprenne, enfin, à honorer les trois vertus républicaines dans l’ordre que je suggère Fraternité, Liberté, Egalité.

13 juin 2008

Liberté en pantalon.
Lors du décès d’Yves Saint Laurent, certains media ont annoncé que ce grand couturier français avait « libéré la femme » en lui faisant adopter le pantalon et le smoking. Imaginez la stupéfaction des philosophes anciens et modernes qui ont rongé leurs crayons sur la question du déterminisme et des libertés ; des théologiens qui ont fait de la haute voltige entre la liberté et la grâce et tous ces héros de l’ombre qui ont donné leur vie pour libérer leur patrie. Expliquez leur qu’il suffisait d’une paire de ciseaux et d’une aiguille pour atteindre le même résultat ! Courons apporter la bonne nouvelle aux femmes afghanes, tchétchènes, bengali, tamouls, et autres consoeurs qui toutes portent le pantalon libérateur depuis des siècles. Saluons la libération du vocabulaire du corset étouffant de ce qu’on appelle le sens des mots.

12 juin 2008

Quai 2
Au petit matin du 3 Juin, les lambeaux du circuit de Pau encombrent encore l’avenue de la gare. Nous traversons les courants d’air du quai 2 et nous nous installons sur une banquette, encore tout émoustillés par la rencontre entre une écrivain et ses lecteurs. Et d’emblée les sujets de la veille nous rattrapent : « Dieu le grand absent…et le mal dont on ne peut L’innocenter totalement…pas plus qu’on ne peut dédouaner l’homme du malheur provoqué…mais la Bible, dans la Genèse, n’aurait-elle pas raison d’introduire un autre partenaire qui vient « serpenter » entre le créateur et son « image » ...pourquoi le mystère du Bien n’interpelle-t-il pas autant que celui du mal ?...pourtant la vie n’en finit pas de narguer la mort et l’enfant de jouer dans les ruines de sa maison… »
Derrière nous, trois personnes ont pris place. Le train a du retard. Elles attendent silencieuses. Platon, Augustin, Blondel, Serres, Girard, Dagens, Guillebaud, Onfray, tourbillonnent dans les volutes de la première cigarette matinale. Il est 7h45. Les six pavillons ouverts au-dessus des trois dos inconnus n’en croient pas leurs tympans : quels sont ces deux cinglés qui, sur le café du matin, s’encombrent encore de questions aussi oiseuses qu’inutiles et de réponses à jamais provisoires ? A moins que les cerveaux qui coiffent les six oreilles, ragaillardis par ces fleurs de pensées matinales, n’en fassent leur miel de la journée. Mystère, là aussi insondable, de l’être humain.
Et nous, comme si les trains ne passaient que pour nous saluer, comme si le froid faisait un détour pour nous épargner, comme si la pluie n’intéressait que les autres, nous discutions comme si les deux étudiants que nous avions été n’avaient jamais cessé de l’être. Magie du quai 2 quand Sylvie Germain reprend le train pour de nouvelles pages.

28 mai 2008

Palme d’or
Deux journalistes d’une radio, envoyés spéciaux aux futilités mondaines, commentent les montées et descentes des marches de Cannes lors de la remise de la Palme d’Or. Les prouesses verbales dont ils font preuve pour capter l’attention du français moyen sur l’éventuel sourire, forcément ravageur, naissant sur l’extrême gauche de la commissure des lèvres de telle diva, m’obligent à une rude introspection du genre humain. Au fond, la plupart du temps, pourquoi parle-t-on ? Premièrement, pour se prouver que l’on existe. Celui qui se croit perdu dans un univers hostile parle tout seul et à haute voix ; ainsi il se rassure sur son existence. Deuxièmement, pour nous persuader nous-mêmes que ce que nous disons relève d’une importance capitale et que l’évènement que nous relatons va changer la face du monde. C’est pourquoi, comme le disait un ancien confrère lorsqu’il corrigeait des copies : « Quand je doute, j’affirme et quand je ne sais rien, je donne des détails ». J’ajouterai : « Et plus je raconte de banalités, plus j’aligne les superlatifs ». Troisièmement, pour instiller chez les autres l’intime conviction que notre fonction répond à une nécessité vitale du bon fonctionnement de la planète. La preuve en est que certains font profession de décrypter les analyses de leurs compères. Il a dit : « Je suis libéral » ? Non pas du tout il a dit qu’il était libéral. Il est clair que, soit, nous sommes des imbéciles, soit, les premiers rapporteurs s’étaient mal exprimés Je sens déjà que vous aviez envie de m’envoyer un commentaire rageur et que vous hésitez à appuyer sur « répondre à » pour ne pas grossir les rangs des experts en décryptage.
A la suite de ces constatations de fin de dimanche pluvieux, maussade, et pour tout dire exécrable, étonnez vous que les propos de ces journalistes m’aient immédiatement fait penser à l’impérieuse utilité de certains discours politiques. Je concède au moins un avantage aux auteurs de ceux-ci, celui de fournir des sujets divers et variés à leurs amis des médias.
Quarante ans après 68, époque où les uns comme les autres, vous en souvenez, avaient tout compris et tout prévu (!), le slogan reste le même :« Politiques et journalistes, même combat ! Parlez, il en restera toujours quelque chose…au moins l’envie de se taire ».
jeancasanave.blogspot.com

26 mai 2008

Pâquerettes.
« A vivre au ras des pâquerettes, on finit par beugler », c’est ainsi que j’ai introduit, avec un sourire un peu forcé, une célébration de fête de village. Silence étonné de l’assistance. Je venais d’entendre quelques sons gutturaux émanant d’une tablée de jeunes qui manifestement terminaient, en plein air, une nuit de beuverie et saluaient mon arrivée la bouche pleine. L’imbécillité se veut éloquente mais, quand elle a bu, il lui manque les mots.
Et pour commenter mes propos, je citais une mère de famille qui quelques jours auparavant avait apostrophé ses grands jeunes en leur disant: « Si nous continuons à vivre ainsi nous allons finir comme des bêtes. Nous travaillons beaucoup, nous entamons de nouveaux projets, nos activités se multiplient et nous n’arrêtons jamais pour donner un sens à tout cela, pour vivre gratuitement avec les autres de bons moments de fraternité et, ajoutait-elle, pour remercier Dieu.» Travailler, manger, se reproduire, se reposer, c’est à peu de choses près le programme du règne animal.
Après cette mise en condition, je remerciais les quelques jeunes du comité d’avoir voulu donner une autre dimension à la fête du village, une autre table, pour que ceux qui le désiraient puissent se retrouver sur l’essentiel, sur quelques valeurs communes qui fondent notre vivre ensemble. Au fin fond de la campagne béarnaise, nous mettions en pratique ce que nos grands prophètes républicains réclament pour notre société, c’est à dire quelques repères aptes à redonner du sens au travail, du plaisir à la vie familiale, du goût pour l’avenir et de l’espoir pour le genre humain. Ai- je été entendu ? Je l’ignore ; au moins, on m’a écouté.

11 mai 2008

Esprit.
« Fait preuve de mauvais esprit », « contribue au bon esprit de sa classe », telles étaient les appréciations qui fleurissaient parfois en marge de nos bulletins de notes. Nos maîtres d’école étaient satisfaits quand ils étaient parvenus à « faire régner un bon esprit » dans leur école. Ils savaient qu’à la faveur de ce « bon climat» certains écoliers pouvaient révéler des aptitudes insoupçonnées. Mais ils avaient, également, appris de l’expérience qu’il suffisait de deux ou trois énergumènes pour perturber cette météo fragile : rires sous cape, railleries sournoises, moqueries blessantes, bruits insolites, autant de coups de canifs qui venaient déchirer « l’esprit » commun. Croyaient-ils, ces professeurs, que deux esprits, celui du Bien et celui du Mal, se livraient bataille dans le champ clos de la classe pour prendre possession tour à tour du pouvoir ? Non. Ils voyaient bien que le mauvais génie des uns n’était que le détournement et le mauvais usage du bon génie des autres. Sinon, ils n’auraient jamais espéré une quelconque amélioration dans la trajectoire de certains enfants.
Ces souvenirs remontent de ma mémoire en cette fête de la Pentecôte. Qu’appelons-nous « Esprit Saint » ? De par notre création l’Esprit de Dieu nous anime. A l’origine « l’Esprit planait sur les eaux » de la Genèse et le souffle du Seigneur pénétrait la vie de l’être humain pour le faire devenir « image de Dieu » nous dit la Bible. Toute l’histoire du peuple de Dieu témoigne de la présence de cet Esprit divin qui culmine dans la Parole et les actes des prophètes.
Malheureusement ces dons que Dieu nous fait (dont on nous dit qu’ils sont au nombre plénier de 7) pour devenir des hommes selon son désir, nous les dévoyons de leur finalité, comme l’élève qui fait montre de « mauvais esprit ». Connaissance, intelligence, esprit filial, conseil, sagesse, force, respect de Dieu deviennent entre nos mains possessives autant d’atouts et d’outils pour contrarier notre vocation humaine et détériorer la création jusqu’à provoquer leur dégradation. L’énergie divine que Dieu avait infusée en nous se retourne contre Lui et, donc, contre nous.
Il faut que Celui qui possède l’Esprit du Père dans son intégralité, Celui qui fait triompher la Bonté de l’Esprit vienne nous la partager. C’est l’expérience de la Pentecôte ; expérience qui ne se réduit pas à une histoire entre Dieu et moi. Si c’est bien l’Esprit de Dieu dans sa plénitude retrouvée qui inonde ma vie, alors c’est l’humanité entière, et tout l’univers que j’accueille dans l’Esprit. Je me dois de rester ouvert à toutes les « langues-cultures » des hommes, à la plainte étouffée de la terre qui gémit « dans les douleurs de l’enfantement », comme à ses bouffées de joie.

04 mai 2008

Nicodème.


Nicodème, quelle ne fut pas ta déception lorsque tu appris que ce Jésus qui avait fait naître en toi une folle espérance après votre rencontre nocturne, était mort, et, qui plus est, avait été crucifié comme un vaurien ! Totalement désemparé, tu voulus lui témoigner une dernière fois ta reconnaissance, et, accompagné de Joseph d’Arimathie, tu allas demander à Pilate la permission de l’ensevelir correctement.
Toi qui étais Rabbi, maître en Israël, tu étais hanté par la question du Royaume de Dieu, de l’au-delà du temps, de la mort. Tu connaissais parfaitement l’histoire de ton peuple. Depuis la sortie d’Egypte et le retour d’Exil, cette histoire n’avait été que résistance contre toute oppression, perpétuelle insurrection de la Vie.
Certains de tes compatriotes pensaient que les morts séjournaient dans un monde larvaire totalement coupé de Dieu. Mais depuis deux ou trois siècles l’aventure des martyrs d’Israël, les prophéties de Daniel redonnaient une certaine actualité au message du prophète Isaïe qui avait annoncé, autrefois, une nouvelle création.
Tu n’ignorais pas, non plus, que les philosophes grecs très influents à ton époque, croyaient en l’immortalité, mais de l’âme seulement, et que d’autres courants spirituels parlaient de réincarnation et de communication des esprits.
Cette histoire de renaissance te tracassait. Jésus t’avait parlé de l’Esprit qui renouvelait toutes choses. Tu savais aussi qu’il avait rendu la vue aux aveugles, qu’il avait redressé les courbés, relevé les paralysés et même redonné la vie à son ami Lazare. Son passage au milieu des siens s’était déroulé dans un climat de re-création tel, que sa disparition en avait été plus douloureusement ressentie.
Et tu te demandais : Dieu n’était-il pas capable de nous re-susciter à la vie puisqu’il avait créé le monde à son origine à partir de rien, lorsque l’Esprit déjà planait sur les eaux ? S’il avait fait le monde à partir du néant, Il pouvait bien le refaire à partir de la mort !
Ce formidable élan que Jésus impulsait avait échoué sur la croix. Il fallait te rendre à l’évidence et enterrer avec lui tes espoirs les plus fous.
Quelle ne fut pas ta surprise, Nicodème,lorsque trois jours après la mise au tombeau, quelques uns des disciples, et non des moindres, te racontèrent qu’ils l’avaient vu vivant, qu’ils l’avaient touché, qu’ils avaient mangé et bu avec lui !
Alors te revint en mémoire qu’à la fin de ta visite, Il t’avait dit qu’Il lui fallait être élevé. Mais alors, cette ascension, ne l’avait-il pas commencée en montant sur la croix ? L’élévation du crucifié devenait le dernier signe de Celui qui devait, non seulement pénétrer la vie, mais encore la mort et le péché de la puissance de l’amour de Dieu et de son pardon.
L’Evangile ne nous dit pas, Nicodème, si tu es devenu croyant. Mais tous ceux et celles qui ont suivi le Christ et qui ont vécu de son Esprit, tous ceux là, ont désigné le jour de leur mort comme celui de leur véritable naissance. En témoignent les anciennes pierres tombales qui ne comportent qu’une date, celle de la naissance au ciel. Maurice Clavel, le philosophe converti de 68, l’avait désiré pour sa sépulture à Vezelay.

21 avril 2008

Cabanoule

Un lieu-dit du Gard, perché au dessus d’Anduze. Le « Capelan du curé » surveille ce petit hameau qui bruisse encore des marches nocturnes et des assemblées secrètes des Huguenots pourchassés qui se réfugiaient dans leur « désert » tout proche. Chênes verts et pins sylvestres unissent leurs maigres forces afin de recouvrir les sentiers forestiers de leur bienveillance ombrageuse.
Pour y parvenir et en partant de l’Occident des Pyrénées, il faut changer de correspondance à Toulouse et Montpellier. Immenses gares grouillantes, pleines à craquer et vides à en pleurer. Des centaines de passagers se croisent sans un mot, sans un sourire, le regard fixe, comme si chacun flottait dans le vide, occupé à trouver son chemin parmi les autres humains inexistants. Ceux-ci pourraient être plus nombreux encore, puisqu’ils n’existent pas. Dans la brasserie quelques jeunes parlent. Les uns portent un uniforme de police, les autres celui des petits caïds des halls d’HLM. Le ton monte, la tension est palpable, le silence alentour se fait lourd de réprobations opposées, le groupe quitte les lieux. Le grand vide tourbillonnant s’installe à nouveau.
Cabanoule. Au terme d’un itinéraire aux noms fleuris, une vieille bâtisse transformée en petit monastère de « La paix Dieu » et onze religieuses cisterciennes. Et, tout à coup, la sensation d’une présence, d’un plein…mais léger, d’un silence… mais habité. Des pas feutrés, des portes qui ne claquent pas, des sourires, des regards vivants… des étudiants qui bûchent leurs examens, des sessionistes sérieux. Dès quatre heures et jusqu’à vingt heures les sentinelles silencieuses et priantes de cette combe sauvage veillent, accueillent, n’imposent rien. Seule la cloche rappelle : « Si tu veux chanter les psaumes… »
L’usager de la gare devenu spectateur de ce monde nouveau se pose alors la question : « La vie, la vraie, qui l’a trouvée ? Ces milliers d’automates planant au dessus d’eux-mêmes et des autres ou ces onze orantes dans leur solitude commune ? »
Et cependant, dans ces gares, dans ces métropoles urbaines, chacun cherche une présence et peut être d’abord la sienne. Une présence qui vienne combler le grand vide, rompre sa solitude immense et intime. C’est le moment de recueillir dans le silence léger les mots furtifs du Libre Passant : « Je suis le chemin… Comme je suis présent à mon Père, je puis être présent à toi…mais, seulement, si tu le veux. »

10 avril 2008

Vingt-Trois :
C’est le nom du cardinal de Paris. Il pose un diagnostic clair de l’Eglise de France. Elle est fatiguée, constate-il. « Mais plus que la lassitude quotidienne qui ne nous effraie pas (il parle des prêtres diocésains), ce qui pèse le plus lourd, c’est le sentiment, plus ou moins fort, d’être entraînés comme dans un tourbillon dont ni le sens ni le but ne sont clairs et de ne pas voir encore se lever la génération de nos successeurs. » Il a raison. Ce qui est lassant et encore plus énervant, ce sont encore ces propos sempiternellement rassurants qui incitent à rester dans le tourbillon et à s’étourdir suffisamment pour se donner au moins bonne conscience : « J’ai fait tout ce que j’ai pu, j’ai ramé comme un forçat sans changer de direction, sans remise en question de la navigation, Dieu s’y retrouvera… »
L’un des ces discours est particulièrement subtil. « De quoi vous plaignez vous les chrétiens ? La société civile, du moins en Occident, a fait siens les principes essentiels de votre religion. On se soucie des malades, on ne laisse pas les chômeurs sans allocations, on aide les mères célibataires, on éduque les enfants, on assiste les vieillards, on muselle les violents, on respecte les opposants. Bref, les droits humains sont une des préoccupations essentielles des citoyens et des gouvernants. L’Eglise a réussi puisque le message évangélique est passé dans les mœurs. Il est donc normal qu’elle se sente moins utile, qu’elle fasse moins recette. Ce qu’elle offrait autrefois sur les autels en exclusivité se retrouve sur tous les étals en sécularisé. ! » Ce genre de raisonnement rappelle l’espoir que faisaient naître les progrès de la science à la fin du 19ème siècle et que certains esprits éclairés formulaient ainsi: « Plus la civilisation se développera, plus vite la religion disparaîtra ! »
C’est oublier qu’une civilisation coupée de ses racines tombe très vite en barbarie. Ce sont bien des jeunes hommes d’un pays civilisé qui ont déployé une banderole insultante dans des tribunes d’un stade. Ce sont, certainement, des gens scolarisés dans l’école de la République qui ont saccagé le carré musulman d’un cimetière militaire. Sans fouiller dans le registre raciste ou haineux, ce sont bien des enfants de gentils parents qui ont continué leurs tours de manège tout près des médecins et pompiers qui s’affairaient à soigner d’autres enfants blessés par un de ces engins emballé : « Vous comprenez ils auraient été traumatisés et... ils avaient payé leur ticket ! » Ce sont même des personnes d’un certain âge qui n’arrêtent plus leur voiture lorsqu’un cortège conduit un frère humain au cimetière ; et encore moins lorsque le monument aux morts a la mauvaise idée de se situer au bord de la route, et que, le 11 novembre, quelques attardés égrènent les « morts pour la France » en souvenir de ceux grâce auxquels nous sommes là. Et que dire encore de ces dates de fêtes religieuses qui n’évoquent plus que départs en vacances, bouchons de la circulation, ripailles des enfants de Dieu. De quoi nous plaignons nous puisque Emmaüs évoquera pour quelques initiés un Abbé coiffé d’un béret et pour les autres le bric à brac du dimanche après midi.
Oui, il est plus que temps Monsieur le cardinal, de prendre au sérieux vos propos. Les prêtres sont lassés, mais les fidèles aussi, de tenir à bout de bras un paquebot surchargé de ravitaillement spirituel dont de trop nombreux passagers n’ont plus le goût. Il est temps de mouiller le bateau dans une crique abritée, de poser les rames, de prendre le temps nécessaire pour nous demander non pas comment perpétuer notre belle civilisation, mais comment l’évangéliser. Alors, « nous et l’Esprit Saint » nous allégerons la barque et, enfin, nous nous occuperons de jeter le filet…et tous les pêcheurs savent qu’il est moins fatiguant de tirer un filet plein à craquer que de passer le temps à laver le pont !

01 avril 2008

L’aronde légère
Les trois petites fusées venues en reconnaissance rapprochée à l’heure du printemps se sont transformées en escadrilles de chasse. Garez vous mouches, moustiques et moucherons, alerte à toute la gent ailée. Par temps d’orage vous n’échapperez pas à leur rase motte périlleux ; les jours de grand soleil évitez les balades sur les ondes azurées. Quand les Spitfires sont de sortie tout objectif visé par leur radar se transforme en cible gustative de choix. Virages sur l’aile, vrilles, piqués, vols planés, c’est un festival de l’acrobatie aérienne la plus sophistiquée, dans la catégorie des figures libres et improvisées.
Les inventeurs du futur nous prédisent un avion à ailes modulables qui pourrait rivaliser avec les prouesses de l’oiseau. Icare s’en lèche les plumes de plaisir.
Je lance un défi à tous les « Latécoère » du monde. Qu’ils fabriquent un avion aussi reproductible, aussi peu polluant et aussi gazouillant qu’une hirondelle de printemps et je me fais parachutiste !
Emplissez le ciel joyeuses commères et racontez- nous sans fin vos voyages au long cours dans ces pays chauds qui vous accueillent, sans papiers et sans formalités, pour le seul plaisir de nous faire rêver…
« Le passereau même a trouvé une maison,
et l’hirondelle un nid pour elle
où elle pose ses petits :
tes autels, Seigneur,
mon Roi et mon Dieu… »Psaume 84

20 mars 2008

Passion.
Par deux fois cette semaine nous écouterons le récit de la Passion du Christ. « Triste fin de vie » diront certains en s’inclinant ; « héroïque destin » s’exclameront les autres en claquant du talon. La hâte de conclure cache peut-être le désarroi que provoque l’Evènement.
Il y a des vies qui donnent sens à la mort. « Tout ce qui n’est pas donné est perdu ; tout ce qui est donné n’est jamais perdu » avait l’habitude de dire l’Abbé Pierre.
La courte existence de Jésus a suffi pour que nous comprenions qu’Il était entièrement offert au Père et à ses frères ; que sa vie était Don de Dieu aux hommes. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie à ses amis ». Son dernier souffle signe l’acte final du don total de cette vie qu’Il tenait entièrement du Père. La mort du Christ n’est pas perte de sa vie mais don ultime de Lui même.
Pourtant ce don lui sera confisqué, refusé. C’est pourquoi sa mort sera violente. « Sa vie ne peut pas être Don de Dieu puisque Il a usurpé son titre de Fils. Il a blasphémé, tout le monde l’a entendu. Il mérite la sentence prévue…De plus s’il venait de Dieu, Celui-ci lui aurait épargné la croix ». Tels étaient les arguments imparables de ses ennemis.
Réponse : « Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne »… »Père, pardonne leur… » Jésus affirme, d’abord, sa souveraine liberté face à la mort. « Vous croyez me priver de la vie, c’est moi qui l’offre… » Mais surtout Jésus va au-delà du don. « Vous refusez le don ; alors je vais par delà le don ; je par-donne.
Jésus transfigure la mort. D’une vie perdue, Il fait une vie donnée. D’un don refusé, Il fait un par-don.
Adorons et laissons transfigurer toutes nos morts. Dans le ciel du dimanche des rameaux trois flèches noires ont fendu l’espace: les hirondelles sont de retour, elles ont traversé le long hiver noir et silencieux...

10 mars 2008

Nécessité et Esprit Saint
Le téléphone sonne. C’est un vieux confrère, féru de littérature et de belles lettres : « Jean, j’ai beaucoup aimé la page 147 de tes Eclats de vie. »- Il s’agit d’un article dans lequel je préconise de former des prêtres, à la fois réguliers et mobiles, regroupés autour de l’évêque, partageant sa mission et mis au service de prêtres ou de chefs de communautés, plus résidentiels, qui ne seraient pas tenus aux trois vœux. Et ce confrère ajoute : « Ne te fais de souci, ça vient. L’Esprit Saint y travaille. « Quand les vieux que nous sommes auront disparu des églises et que les caisses seront vides, les décisions s’imposeront d’elles mêmes. Depuis que j’ai compris cela, je suis mieux et, même, je prie mieux ! »
Ce n’est pas la première fois que j’entends cet argument, y compris dans ce qu’on appelle les « instances supérieures ». Devant certaines impatiences pastorales manifestées par les jeunes prêtres que nous étions, les anciens ne se privaient de nous dire : « Tu as raison mais ne changeons rien, ça viendra tout seul. » S’en remettre ainsi à la Loi de la nécessité n’est ce pas avouer que nous avons perdu toute faculté d’anticipation, de réflexion, de prospective, toute capacité d’imagination, d’adaptation, de lecture de ces « fameux signes des temps » chers au Concile Vatican II. Si notre Dieu n’est pas celui du passé mais celui de l’avenir, alors nous allons à Lui, mais à reculons.
En outre, compter sur la nécessité pour solutionner nos difficultés, n’est-ce pas nous exposer à des décisions prises dans l’urgence, alors que les changements de comportement en matière religieuse demandent de lentes maturations et de patientes préparations.
L’astuce théologique ou le flair du croyant (appelé « sensus fidei ») consiste, alors, à baptiser la nécessité du nom de l’Esprit Saint. Il n’est pas rare, en effet, de constater que, dans sa longue histoire, l’Eglise, sous l’effet de réalités temporelles souvent bien éloignées de ses préoccupations spirituelles, a procédé à des changements de cap pastoraux et même à des virages théologiques prononcés. Quelques siècles plus tard, il ne manque jamais de commentateurs avisés pour attribuer à l’action de l’Esprit Saint telle ou telle orientation ou telle ou telle institution fécondes imposées par une conjoncture imparable. C’est le cas du choix de la royauté dans la Bible. Tous les arguments, y compris théologiques, furent déployés pour éviter une telle institution qui assimilait le peuple élu aux païens. Les cuisantes défaites subies par les tribus dispersées plaidèrent en faveur du choix de la royauté qui pouvait à l’avenir rassembler une armée et l’emporter sur les ennemis de toujours. Et, au final, le roi fut considéré comme le « oint », le Christ de Dieu et capitalisa sur sa personne toutes les faveurs divines.
« Quand les caisses seront vides »… « Quand nous toucherons le fond de la piscine… » « Après Jean Paul II …», maintenant « Après Benoît XVI… » Faut-il croire que l’Esprit fait tout pour vider les comptes et tuer les papes ? Ne peut-on pas plutôt espérer qu’il sera encore là lorsqu’il faudra inventer une autre Eglise ou donner un grand coup de pied pour remonter à la surface ?

Je ne crois pas en la Nécessité fondatrice. Je crois en l’Esprit Saint qui, dans l’impérieuse nécessité où nous sommes, suscitera des fidèles chrétiens adaptés au siècle nouveau et des évêques fidèles et des papes fidèles aptes à authentifier et à encadrer la démarche de ces fidèles chrétiens.

05 mars 2008

Aveugle né

Jésus vient guérir notre regard. Il était faussé depuis que Adam soupçonnait Eve de l’avoir induit en tentation : « C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre… ». De même, le péché nous avait appris à mal dire, à maudire. Il faudra, là encore, que Dieu nous réapprenne à parler et Jésus guérira les muets. Nous avons préféré écouter la parole entortillée du Serpent et, du même coup, nous sommes devenus sourds au « bien-dire » de Dieu, à sa bénédiction. « Ecoute Israël… » Il faudra que Jésus ouvre les oreilles et dissipe les malentendus.
Revenons à notre aveugle. « Tu vois le mal partout ! » « Et toi tu ne le vois nulle part : Tu vois le bien partout ». C’est ainsi que se caractérise le pessimisme de l’un, l’optimisme de l’autre. Mais ces tendances peuvent prendre une tournure désastreuse. Nous connaissons tous des personnes dont le regard est à ce point altéré que tout ce qui les atteint ou tout ce qu’elles touchent perd sa rectitude initiale. « Ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? » (Mt 20, 15) .Elles en arrivent à voir dans les gestes les plus courants de la vie quotidienne qui se ne prêtent à aucune ambiguïté, quelque sombre dessein qu’elles ont à déjouer. Elles s’empoisonnent la vie et elles gâchent celle des autres.
« Toi, tu vois le bien partout au point que l’on profite de ta naïveté et que tu te jettes dans la gueule du loup sans même t’en apercevoir ». « Bref, tu n’as aucun discernement et tu fais le jeu de tous ceux qui vivent au dépens des autres dans ce monde de requins. » « Tu t’aveugles volontairement ! » Les extrêmes se rejoignent une fois de plus dans le manque de clairvoyance.

Jésus guérit nos cécités. Comment ? En nous apprenant à voir les choses et les gens à la manière de Dieu. Le Dieu « qui vit que tout cela était bon » ne peut pas regarder sa création d’un « sale œil » au risque de l’empoisonner et d’en faire un enfer. Mais le mal saute aux yeux de Dieu et Celui-ci ne peut pas ne pas le réfuter et le combattre. Miséricorde pour le pécheur et justice pour le péché, un même regard sans double jeu. Voilà qui nous dépasse…

03 mars 2008

Dies irae
Homélie prononcée lors des obsèques d’un de mes voisins, parti tragiquement à 53 ans

A travers moi c’est tout le village, et bien plus encore, qui te dit un dernier au revoir. Nous avions pris l’habitude de te consulter quand nous nous posions des questions sur son histoire et sur l’origine de nos maisons. Sur ce sujet tu étais passionné et intarissable. Tu avais tout lu et surtout tout retenu. Tu aimais ton village.
Tu aimais ta famille. Ton épouse et tes filles étaient ta fierté. Toutes petites, tu les promenais sur ton cheval et tu leur racontais les arbres, les ruisseaux, les ponts, le bois de Laure que tu avais planté, celui de Claire que tu planterais un jour…
Tu aimais ta maison. Tu l’avais amoureusement restaurée en souvenir de tes ancêtres.

Il faut croire que ces fortes passions et que ces solides attaches n’ont pas pu résister à cette vague de fond qui t’a emporté.

Nous disons souvent que l’être humain est insaisissable, qu’il est un mystère. C’est le moment de nous en souvenir. L’homme est mystère parce qu’il est fait à la fois de visible et d’invisible, de certitudes éphémères et de doutes profonds, de sourires de façade et de tristesses intimes ; il est fidèle sur certains points, inconstant sur d’autres. L’homme est mystère parce qu’il est la seule créature finie et limitée qui soit habitée par des désirs infinis et illimités. Frères et sœurs nous sommes ainsi faits.
Les croyants savent qu’un jour ou l’autre ce mystère de l’homme rencontre un autre mystère, celui de Dieu, dont nous ne finirons jamais d’explorer la largeur et la profondeur. Un Dieu infini qui se fait proche de nous ; juste qui se fait miséricordieux ; rejeté, bafoué, méprisé qui se fait pardon. Un Dieu qui accepte la mort pour mieux nous donner la vie. Mystère de Dieu qui, en Lui, unifie ce qui pour nous n’est que source de contradiction et de dislocation.
C’est pour cela que j’ai choisi l’Evangile qui était celui de lundi matin et qui, vous le devinez, résonnait très fort après l’annonce de la funeste nouvelle :
« Soyez miséricordieux comme le Père est miséricordieux…
Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés
Ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés
Pardonnez et vous serez pardonnés… » Luc 6,36

26 février 2008

Re « Femme de Samarie »

Il y a plus de 50 ans que j’entends ou que je lis l’histoire de la Samaritaine dans le chapitre 4 de St Jean. Un homme a soif, s'approche du puits. Il demande à boire à une femme en outrepassant les interdits du pur et de l’impur qui réglaient les relations entre juifs et samaritains soupçonnés d’être les idolâtres des cinq baals ou maris.
Et voilà qu’au bord du puits la conversation s’engage et s’approfondit au point qu’au terme du chapitre la Samaritaine découvre, en elle, une soif d’infini et devant elle, une source inépuisable qu’elle appelle le Messie.
Il a fallu que j’attende jusqu’à ce jour pour me rendre compte que finalement l’homme qui avait soif n’a pas bu …du moins le texte n’en dit rien.
N’est ce pas l’expérience que nous faisons lorsque nous partageons un repas entre amis et que le dialogue se fait si riche, la rencontre si intense qu’à la fin nous avons totalement oublié, non pas de manger, mais ce que nous avons avalé ?
Dans une société consommatrice dont le premier commandement s’énonce ainsi : « Tout, Tout de suite et Tout le temps », où le seul but de l’existence consiste à se gaver de bruit, d’images, de portable, d’Internet, de musique, il est bon de relire ce texte. Jésus ne se jette pas sur cette eau qui pourrait combler sa soif. Il entame un dialogue. Il fait preuve, d’abord, d’un certain respect pour cette femme (elle n'est pas un simple porteur d'eau), et, surtout, de retenue face à son besoin immédiat.
C’est tout le sens du carême. Avant d’assouvir tes envies, prends le temps de réfléchir, demande toi où est l’essentiel, ce qui te fais grandir ou ce qui te rendras esclave.
On aurait pu penser que cette lumineuse leçon de catéchisme avait ouvert l’appétit de Jésus. Les disciples en étaient persuadés qui l’invitent à casser la croûte. Même pas… « J‘ai une nourriture que nous ne connaissez pas »

19 février 2008

Polémique
. Il se passe décidemment des choses étranges dans mon pays !
Les gazettes et les radios s’en donnent à cœur joie. Le président de la République leur a donné un os à ronger que l’on croyait râpé jusqu’à la moelle par la loi de 1905, blanchi et enterré sous un siècle de vieilles rancunes et de faux débats: « Dieu est-il soluble dans la République ? ». C’est dans ces termes hautement « lyophilisés » que certains titres résument les propos présidentiels tenus lors d’une visite à Rome ou devant le comité représentatif des institutions juives de France.
Lorsque le Révérend Père Régis Debray affirme l’importance du fait religieux dans l’histoire des sociétés, jusqu’à en conseiller l’étude dans les écoles ; lorsque les docteurs de la Loi, -les philosophes en vogue- affirment la nécessité de transcendants pour maintenir une cohésion sociale, aucune ligue, aucun comité de pensées éclairées ne s’insurge contre cette prise de position outrageusement discriminatoire vis-à-vis de ceux qui refusent toute référence transcendantale ou religieuse ! Tout se passe comme si chacun avait le droit de penser que les religions ont joué un rôle primordial dans le développement des civilisations mais il y aurait, en démocratie, des lieux où il est interdit d’en parler et des personnes qui sont priées de se taire.
Par contre quand un journaliste de RTL affirme dans une émission matinale qu’un tiers des prêtres du diocèse de Bayonne est homosexuel, qu’un autre tiers vit maritalement et qu’enfin le dernier tiers vit dans l'abstinence, il est évident que la laïcité n’est pas bafouée, que ce journaliste n’a tenu que des propos privés et que l’information des Français est rigoureusement respectée. Pour preuve, aucune association de défense des minorités insultées n’a levé le petit doigt ni ouvert la bouche pour assigner en justice pour diffamation, ce professionnel de la rumeur assassine.
Les deux évènements ne sont pas similaires, j’en conviens. Mais leur coïncidence m’a troublé.
Cette retenue que l’on est en droit de demander au Chef de l’Etat, pourrait-on aussi l’exiger de ceux et celles qui se complaisent à se faire les dents sur de vieux os durcis ? Retenez-vous icônes saintes du petit écran, grands prêtres des ondes longues et parfois très courtes, thuriféraires des nouvelles certitudes éphémères et nous nous retiendrons… de mordre ou de gémir.

04 février 2008

Heureux !
Cette semaine : que des bonnes nouvelles. Le colosse financier se découvre des pieds d’argile et boite bas ; la bourse percée de flèches perfides se dégonfle ; le pouvoir d’achat ne remonte pas ; la cote du président s’effondre ; les taxis sont dans la rue ; d’ailleurs où devraient-ils être ?
Et voilà que l’Evangile, qui clôture cette faste semaine, nous déclare « Heureux ». Ce sont les béatitudes de Matthieu. On reconnaît bien l’incorrigible naïveté du prophète de Nazareth !
« Heureux !» Ce terme sonne faux dans une église. On a tellement dit que les chrétiens sentaient le renfermé, suintaient l’ennui, transpiraient la tristesse que nous nous y sommes habitués. Or notre Dieu veut notre bonheur ! Les textes de la première Alliance en témoignent. 24 fois les mots « bonheur » et « heureux » reviennent dans le Deutéronome, 46 fois dans les Psaumes. Le premier d’entre eux débute par « Heureux l’homme… »
De quel bonheur s’agit-il ? Tout simplement de celui que nous goûtons quand, dans un groupe d’amis, nous vivons ces moments bénis où l’atmosphère se fait légère, où la connivence s’installe, où la prévenance devance toute attente. Ce bonheur humain se résume en quatre mots « vivre ensemble en frères ». Et quand « vivre ensemble en frère » devient la raison d’être de chacune de nos vies, alors nous apprécions notre bonheur en faisant celui des autres. Coup double !
Mais pour « vivre en frères » encore faut-il avoir un même Père. Or chacun sait combien il est difficile au sein d’une même famille, entre frères et sœurs de même sang, de vivre « en frères ». Alors comment y parvenir entre personnes que tout oppose? Cela tient du miracle.
Une enquête récente nous apprend que pour la première fois depuis longtemps, la baisse de la pratique religieuse est enrayée. Devinez où ? Là où on s’y attendrait le moins. Dans les banlieues de grandes villes. Là, le dimanche, des hommes et des femmes de toutes couleurs, de toutes origines célèbrent l’Eucharistie dans des communautés joyeuses, bigarrées, accueillantes et contagieuses. Il leur arrive souvent de partager, au cours du repas qui prolonge la célébration, les spécialités de leur pays d’origine. Ces personnes récemment implantées en France, éloignées de leur famille reconstituent dans la Foi au même Père une famille nouvelle. Si le miracle s’accomplit dans la grisaille des tours et des barres en béton, pourquoi pas chez nous ?
Nous sommes frères parce que reconnus et aimés par le même Père. Quand Jésus proclame ses béatitudes, il ne dit pas autre chose. Tu es pauvre, tu es insulté, méprisé, injurié, victime d’injustice, tu as un Père et rien ne peut te séparer de l’amour de ce Père. Et cela change tout ! Ta vie peut reprendre sens, tu peux affronter tes limites et celles des autres, tu peux être au sommet de ta forme comme au fond du trou, tu as un Père. Cette richesse est inestimable et nul ne peut te la ravir. Alors tu pourras retrouver ta sérénité et « cerise sur le gâteau » tu connaîtras la joie !
« Demeurez en mon Amour…comme moi je demeure en son Amour
Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous …Jn 15,11

17 janvier 2008

Politique de civilisation
C’est donc le titre d’un ouvrage d’Edgar Morin repris dans un discours présidentiel. Qui pourrait s’opposer à ce souci de mettre l’homme au centre de la politique comme l’a rappelé le sociologue célèbre ? Il y a déjà quelques années que les débats les plus divers s’achèvent par cette conclusion imparable : « Il faut remettre l’homme au centre du dispositif ! ». En général tout le monde approuve, d’autant que personne ne se risque à poser la question : « Mais quel homme exactement? ». C’était bien l’avenir radieux de l’homme que souhaitait la dialectique historique marxiste ! C’est son bien-être que prétend apporter le libéralisme. C’est sa sécurité que défend l’arsenal de la législation sociale. L’ennui, c’est que l’être humain ne réduit ni à son travail, ni à son salaire, ni à ses avantages sociaux. Il est tout cela et plus encore. Il est tout cela et tout autre !
Certains audacieux prétendent même qu’au-delà des régimes politiques variés et des cultures différentes, le fonds religieux de l’homme peut contribuer à lui donner un sens de la vie et de la mort qu’il puisse partager avec tous ses congénères. Cette référence religieuse aurait même, affirment-ils, présidé à l’origine des grandes civilisations. A partir de ce constat, un mouvement d’opinion s’est crée pour reconnaître la place du fait religieux comme composante essentielle de l’histoire d’une nation.
Faire barrage à l’économisme pur et dur, endiguer les méfaits du culte de l’argent roi, barrer la route à la marchandisation de l’être humain, voilà un programme qui recueille les suffrages unanimes de tous ceux qui gardent encore un zeste de sensibilité humaniste. Mais trop n’en faut ! Mettre en évidence le fondement religieux du respect de la personne humaine du début jusqu’à la fin de sa vie, rappeler qu’un enfant à besoin d’un père et d’une mère et d’un environnement affectif stable, dire que le pardon peut exister, qu’une société a besoin de temps communs de partage et de convivialité…relève de l’outrage à citoyen français éclairé! Voilà, pour le coup, tous ceux qui voulaient « remettre l’homme au centre du dispositif », voler au secours de la laïcité trahie, subodorer les relents d’un nouveau cléricalisme et se scandaliser qu’un président de la République française rappelle au Vatican qu’un pays a besoin de repères communs que la religion peut contribuer à établir.
Je préfèrerais que tous ces défenseurs d’une société cadenassée aiguisent leurs griffes et profèrent leurs anathèmes à l’encontre de ceux qui veulent réhabiliter une « politique de civilisation » et qui par ailleurs s’acharnent à démolir celle-ci ou ce qu’il en reste. Libérer le travail le dimanche sous prétexte de « gagner plus », laisser entendre que les couples homosexuels pourront devenir parents sous prétexte d’égalité, passer devant notaire pour divorcer sous prétexte de désengorger les tribunaux, n’est ce pas considérer l’être humain soit un outil de travail soit comme un bien mobilier ou immobilier ! Vous avez dit : « Civilisation » Monsieur le Président ? Il faut revoir soit la copie soit les travaux dirigés.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.