23 mai 2007

Variété et Unité

Nous vivons sous le signe de la variété et de la diversité. Nous sommes toujours étonnés d’apprendre par les scientifiques que ce que désignons par un mot comme « mouche » désigne des centaines d’espèces. Le promeneur du dimanche ne peut que s’extasier devant la variété infinie des plantes et des fleurs qui s’acharnent à pousser sur les bas côtés de nos routes réduits souvent à l’état de poubelles. Dans une de ces plus célèbres pages la Bible nous raconte l’histoire de ces hommes de Babel qui voulurent construire une tour pour atteindre le ciel et rivaliser avec Dieu. Pour travailler plus efficacement, ils inventèrent une langue unique. Dieu qui a voulu une création diverse et variée brouilla la langue et les hommes retrouvèrent leurs parlers antérieurs. Cette variété originelle peut malheureusement conduire les hommes à la division. D’ailleurs, toujours dans la Bible, ne voit-on pas que la première division, source de toutes les autres, s’est opérée lorsque l’homme n’a pas supporté sa différence avec Dieu et qu’il a voulu s’égaler à Lui. ? Et la puissance tentatrice ne s’appelle-t-elle pas le « diable » c'est-à-dire le « diviseur » ?
Chacun voulant affirmer son identité ou son « ego » comme on le dit aujourd’hui, le fait souvent en exagérant tellement ce qui le distingue des autres qu’il finit par s’opposer à eux. Les campagnes électorales nous donnent un bel exemple de ces affrontements où se mêlent non seulement la proposition d’idées contradictoires mais aussi l’affirmation tranchée de l’étiquette du parti ou l’originalité toujours « géniale » du candidat. Or à la fin de chaque campagne, nous avons droit à l’éternel discours sur l’importance de préserver l’unité nationale. Personne n’est dupe. Chacun sait que les couteaux n’ont pas disparu. Ils sortiront des tiroirs à la moindre occasion. Mais les institutions sont là pour justement faire en sorte que la société ne soit pas immobilisée ou ruinée par les oppositions. La tâche du politique consistant la plupart du temps à éviter les trop grands dégâts de la division.
Quand Jésus nous demande « Soyez un comme mon Père et moi nous sommes un » il nous place devant un objectif tout autre. Il ne s’agit plus d’enrayer les méfaits de la division, mais d’inverser complètement la tendance. Sachant qu’Il nous a offert le pardon et que son Esprit nous habite, celui-ci nous décentre de nous-mêmes pour nous tourner vers Dieu et vers autrui. Nous n’avons plus besoin de nous opposer à l’autre pour nous affirmer, il nous suffit de l’aimer. Ainsi la variété du genre humain et nos différences individuelles deviennent complémentarité et richesses ajoutées.
Babel signe l’échec de l’homme quand il veut atteindre l’Unité par une simple unification. La Pentecôte atteint l’Unité quand en respectant la variété des langues et des cultures, elle parvient à faire entendre un seul et même message ; « Soyez un comme mon Père et Moi nous sommes UN ».

18 mai 2007

Dernière heure.

Ils sont sincères ces jeunes qui ont perdu l’un des leurs de façon brutale et qui essaient d’exprimer parfois maladroitement leur désarroi lors de ses obsèques. Nous savons que très vite « la vie reprendra le dessus » avec son insouciance et sa légèreté… Jusqu’au prochain… Les plus âgés, eux, jouent les « habitués » et pourtant ils n’ont aucune envie de lâcher prise. Alors, ils fuient eux aussi le problème en affirmant sentencieusement : « C’est la vie ! » sans mesurer une seconde la contradiction flagrante entre ces mots et la situation qu’ils sont sensés décrire : la mort. Ils s’en sortent par le bavardage qui dans ces circonstances atteint le sommet de l’inconsistance. Mais, enfin, tant qu’on parle, on se rassure, on ne pense pas à sa propre fin. Le silence fait peur parce qu’il ressemble justement à la mort. Pourtant Jacques Brel disait dans une interview que « la pensée de la mort était une bonne hygiène de vie ».
Les scientifiques sont formels, la mort est nécessaire à la vie, ne serait-ce que pour une question d’espace et de ressources. L’immortalité signerait paradoxalement la fin de toute vie !
Ceci dit pour la plupart des mortels la mort est absurde. Qu’elle soit nécessaire n’enlève rien à son absurdité. Il n’y a aucun sens à mourir jeune mais pas plus à mourir âgé, si la vie, elle, n’a pas de sens. La vie ? Une bulle d’air surgie du hasard qui vient briller l’espace d’un instant sur un océan de néant. Elle gonfle, elle éclate et disparaît. Rien avant, rien après, et pas grand-chose pendant ; en tout cas, pas de quoi regretter éternellement.
Pourtant depuis que l’home existe il ne se résout pas à ce non sens. Il a le pressentiment que tout ne s’arrête pas parce qu’un muscle, le cœur, ne fonctionne plus, ou qu’un organe, le cerveau, ne répond plus. Il soupçonne que la vie humaine ne se réduit pas aux conditions de son développement. Et c’est pourquoi, il a toujours pris soin d’enterrer ses morts, de ne pas les abandonner comme le font les animaux, de les positionner dans un certain sens, de les entourer d’objets, de compagnons, de nourriture. Ces rites marquent d’ailleurs le passage de l’animalité à l’humanité.
Si les êtres humains de tous les temps ont agi ainsi c’est qu’ils se sont consciemment ou non posé les questions suivantes : La vie aurait-elle pu apparaître si son seul but était de ne plus vivre ? Des êtres auraient-ils pu s’extraire du néant dans le seul but de ne pas être ? Enfin, s’il n’y a rien avant et rien après d’où peut venir en nous cette idée saugrenue d’une autre vie ? C’est parce que la vie posait question, qu’ils se sont demandés si la question n’avait pas un sens ?
Mais quel sens ?
« Ma vie aura le sens que je lui donnerai, parce que j’en suis le maître. C’est moi qui décide où se trouve mon bonheur, celui des autres et comment on y parvient ». L’ennui de cette thèse, c’est que si « je suis maître de moi comme de l’univers », mon voisin peut en dire autant et c’est ainsi que naît la violence.
« Ma vie, je fais l’expérience qu’elle m’a été donnée, qu’il y a un avant moi et qu’il y aura un après moi. Je n’en suis donc pas le propriétaire exclusif et je ne peux seul lui donner un sens. Alors je me retrouve dans la position des chercheurs de sens ou des chercheurs de Dieu. Du coup, cette histoire de résurrection et vie éternelle rapportée par les Evangiles, je me dois d’y accorder quelque attention. Un prophète de Palestine vient nous dire que Dieu s’intéresse à nos vies comme un Père. De même que chacune de nos vies est issue d’un acte d’amour entre un homme et une femme, de même l’univers est né de son Amour et n’a de sens qu’en réponse à cet Amour. Alors la mort est peut être nécessaire, non seulement comme condition de la vie des autres, mais comme condition de communion totale à cet Amour. Ma vie, ta vie, n’est peut- être pas une simple bulle qui éclate et qui s’évanouit mais le signe vivant et consentant d’un amour qui se reçoit, qui se partage, qui se donne et qui redonne Vie.

14 mai 2007

Fraternité, Egalité, Liberté.

Avec le drapeau et l’hymne national, la devise républicaine a repris quelques couleurs durant la dernière campagne présidentielle.
A force de la répéter comme une évidence, on en oublierait presque qu’elle constitue une avancée majeure dans la définition d’une société. Rien de moins naturel que l’égalité. Le contraire saute aux yeux. Nous sommes inégaux par notre constitution physique, par notre héritage psychologique, par notre environnement social etc… Il n’y a pas si longtemps, que l’aîné dans les familles paysannes, se voyait octroyer l’héritage de la ferme au détriment parfois de ses frères et sœurs. On a eu beau transformer ces inégalités en « différences », il n’en reste pas moins qu’elles sont vécues comme telles par ceux et celles qui les subissent. D’ailleurs n’a-t-on inventé un arsenal de lois dites « sociales » pour rétablir un semblant d’égalité. Mais le principe reste. Nous sommes égaux devant la loi et cela est un progrès considérable. Le riche truand est passible de la justice, tout comme le pauvre voleur. Mais toute médaille a son revers. Si l’égalité était seule inscrite sur le fronton de nos mairies, le risque serait grand de tomber dans un égalitarisme aussi injuste que réducteur.
La République ne s’est pas trompée en ajoutant la liberté, c'est-à-dire la possibilité pour chaque individu de faire des choix et d’en répondre devant autrui et devant la loi. Car ma liberté s’arrête quand elle devient contrainte ou nuisance pour l’autre. Rien de moins naturel que la liberté ! Nous vivons sous la contrainte et la nécessité. Il nous faut manger ou respirer pour vivre, nous n’avons pas le choix. Nous savons par ailleurs que nombre de sociétés supportent assez bien qu’il y ait des personnes plus libres que d’autres. Le berceau démocratique grec comportait divers modèles quant à la liberté individuelle ! Il n’empêche : l’égalité et la liberté dans la foulée des « Lumières » et de la Révolution sont devenues des droits de l’Homme que nous voudrions universels.
Reste la fraternité, la petite soubrette de la triade. Elle n’est pas un droit mais plutôt un devoir. Elle n’est pas issue du siècle des Lumières mais elle prend sa source beaucoup plus en amont dans la tradition Judéo Chrétienne. Voilà, peut être, les raisons pour lesquelles on en parle moins. N’a-t-on pas d’ailleurs assez reproché aux chrétiens d’être peu regardant sur la Justice, l’égalité et les libertés, pourvu que soit sauve la fraternité ? Suffit-il pour autant de la considérer comme un simple saupoudrage, une pincée d’humanité, un zeste de générosité, qui améliorerait le goût des deux autres vertus ?
Je suis convaincu du contraire. C’est la fraternité qui fonde l’égalité et la liberté. C’est la fraternité que l’on doit proclamer en tête comme le socle indispensable de ses deux sœurs. Comment considérer autrui comme mon égal, comment reconnaître sa liberté comme un droit, si auparavant, je ne le reconnais pas comme un frère. La loi peut m’imposer de respecter l’égalité et la liberté, mais qui peut inspirer cette loi si ce n’est l’appel à la fraternité ! Ignorer, refuser, dénigrer la source chrétienne de notre culture républicaine, c’est vider notre République de son esprit, c’est rabaisser notre devise au rang d’un vulgaire mode d’emploi pour bricoleur de société.

06 mai 2007

Mains de campagne

Il y a d’abord les mains de la campagne tout court. Mains des vieux paysans, lourdes de travail, incrustées de peine, creusées de sillons profonds, déformées par l’effort, blessées par les intempéries, mutilées parfois par l’ingratitude des outils ; mains un peu gauches à trouver une position lorsqu’elles ne sont pas occupées à la tâche. Mains, vigoureuses mais plus fines, de leurs fils, déjà adaptées au clavier de l’ordinateur et aux touches du portable. Bénies entre toutes, ces mains calleuses et laborieuses qui donnent le pain des hommes et partagent celui de Dieu.
Il y a, aussi, les mains de la campagne électorale. Agitées et fébriles quand elles cherchent à toucher celle du potentiel président de la République, qui, à son tour, offre main droite et main gauche, regrettant de n’en avoir que deux à sa disposition. Bras de candidats qui se tendent et se balancent, les mains largement ouvertes en signe de communion : « Nous nous sommes compris, vous pouvez compter sur moi ». Bras en croix et poings serrés, rictus de l’effort pour dire la détermination : « On les aura ». Mains de l’Internationale, poing levé de la « lutte finale » et interminable. Mains nouées ensemble qui, l’espace d’un soir, savourent l’euphorie de l’union retrouvée. Enfin les mains « du jour de gloire est arrivé », lancées presque à la verticale, tendues vers la France virtuelle qui plane au-dessus de l’élu, consacré grand prêtre et intercesseur entre la patrie et son peuple.
Reste l’attitude du boudeur de service, abstentionniste professionnel, qui garde les mains propres, enfoncées dans les poches. Demain, il lui faudra bien, comme les autres, serrer la main de son voisin…et donc se compromettre un peu…
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.