23 mars 2007

Labours

La ronde des tracteurs a commencé. Après quelques mois d’inactivité les socs reprennent du service. Avec une obstination inlassable et une régularité implacable, ils vont ouvrir, fendre et renverser la chair de la terre. Les herses, les disques, les broyeurs effaceront ensuite la plaie ouverte des sillons pour offrir au semeur les meilleures promesses des récoltes futures. Malgré l’apparente inégalité des forces, ce travail reste un combat. L’apport précieux de la mécanique et même de l’informatique (puisque certains travaux sont guidés et dirigés par GPS) exige un savoir- faire et une compétence de plus en plus sophistiqués. Mais au-delà du geste, ce travail a valeur pédagogique.
Depuis longtemps déjà,- depuis la méthode « assimil » du savoir sans peine - on a laissé croire que le travail scolaire n’exigeait plus d’effort. La première vertu de tout apprentissage serait d’être « ludique », comme si la culture des esprits n’obéissait pas aux mêmes règles que celle des champs. Désolé ! La noria des tracteurs n’a rien d’un manège enfantin. Laisser croire que l’usage de l’ordinateur dispensera de l’acharnement du chercheur est une mauvaise plaisanterie. Certains responsables politiques semblent sur ce sujet retrouver un peu de bon sens. Décréter des pourcentages de bacheliers ou d’universitaires relève d’une grave duperie. C’est oublier que les printemps précoces ne sont jamais à l’abri de gelées tardives et que la sueur d’aujourd’hui fertilise le génie de demain. Allez, les jeunes ! Quittez cinq minutes vos écrans des yeux, vous en apprendrez tout autant en cliquant sur les champs.
Labor, labour, labeur : même combat, même travail !

Que passe la charrue
Sur nos landes rebelles,
Sur nos terres en friches !
La Parole ira s’y planter,
Promesse pour le pauvre,
Et pauvreté offerte au riche.

Au feu tout le bois mort,
Que la flamme s’étende
Aux chardons aux épines !
Et leurs cendres pourront servir
A féconder la terre
Où la Parole prend racine.

Que tombe sur nos sols
De poussière et de roche
Une pluie généreuse !
On verra les feuilles pointer
Et les bourgeons éclore
De la Parole qui nous creuse.

Advienne le soleil
Et vers lui que s’élance
La poussée de la sève !
La Parole nourrit son fruit
D’amour et de justice
Dans la louange qui l’achève.

La liturgie des heures T 2 Pg 11

09 mars 2007

OGM ou OCM.(organisme culturellement modifié)

Les organismes génétiquement modifiés se sont invités dans la campagne présidentielle en cours. Une des plus puissantes coopératives agricoles européennes basée dans notre département relance le débat. L’un des arguments le plus souvent repris par les anti-OGM consiste à dire que si l’on autorise ces nouvelles cultures l’alimentation mondiale sera soumise au bon vouloir de deux firmes productrices des semences appropriées et ces deux géants américains posséderont l’arme absolue et la main mise sur l’avenir de la planète. A plus forte raison, rétorquent les tenants de la libéralisation des OGM, « laissez-nous, nous, français et européens, produire nos propres semences et contrôler les productions » et nous équilibrerons la situation. La demande se fait d’autant plus pressante que l’usage des céréales dans la fabrication des biocarburants redonnerait quelques perspectives à des productions en panne d’avenir. Frilosité des uns ? Frivolité des autres ?
En attendant personne ne se préoccupe d’un organisme qui se modifie de plus en plus soit par la génétique soit par la culture, je veux parler de l’être humain. Nous savons qu’en matière humaine nature et culture s’interpénètrent au point que l’on a du mal à distinguer ce qui ressort de l’une ou de l’autre. Travail, sexualité, loisirs, communications, famille, transports, alimentation, éducation ou non éducation, medias, musiques, drogues, est-ce-que tous ces paramètres ne sont pas en train de fabriquer un être humain culturellement modifié dont on a du mal à entrevoir les futurs contours ? Retourne-t-il vers une bestialité largement dépassée ou se hissera-t-il vers une plus grande humanité ? Il semble qu’en la matière tout le monde ait baissé les bras en disant qu’on ne peut pas endiguer de telles mutations et que les valeurs qui nous ont accompagnés jusqu’ici sont inopérantes pour l’aujourd’hui. Certains peuples cependant veillent jalousement sur leurs cultures et leur mode de vie. Ils savent qu’il y a des moments où les hommes ont besoin de raisons de vivre et de mourir. Ils savent même que l’homme ne vit pas seulement de pain transgénique ou pas. Ne pourrait-on pas inoculer dans les jeunes pousses humaines quelques gènes qui ont fait leurs preuves dans l’ascension du « phénomène humain » ?


Claracq en Béarn.

Certains personnages et parmi eux quelques élus, sont passés maîtres dans l’art de se trouver au bon moment et au meilleur endroit lorsqu’un appareil photographique pointe le bout de son objectif. Pendant qu’ils sont en train de vous serrer la main, de débiter deux ou trois banalités, de vous féliciter de votre action « tout à fait remarquable », leur regard est déjà ailleurs. Il piste les déplacements de la personnalité qui est au centre de la manifestation, guette le moment où les journalistes vont se contorsionner pour immortaliser la scène et en moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire, celui qui semblait si préoccupé par votre santé ou vos mérites se retrouve à côté du héros du jour, arborant un sourire de circonstance, non sans avoir auparavant ajusté sa cravate et boutonné sa veste. Aucun embouteillage, aucun ralentissement de la foule ne décourage ce génie du contournement, cet expert de l’infiltration. Et c’est ainsi que, « par le plus grand des hasards », il se retrouvera le lendemain en position d’être remarqué par les lecteurs et les électeurs. Les uns approuveront ce dévouement frénétique à la cause publique, d’autres déploreront le fait que l’image et le tapage dispensent le plus souvent de la réflexion soutenue et de l’action cohérente. Il faut croire que l’investiture de l’élection déclenche chez certains une bouffée narcissique telle, que l’absence de leur portrait trois jours consécutifs dans les gazettes locales, les plongent dans une déprimante solitude ou dans un sentiment de profonde inutilité.
Rassurez- vous, il n’en est rien. Ce n’est pas l’ego qui est en cause mais la mise en application d’une redoutable stratégie médiatico-politique. En fait, personne n’est dupe et chacun joue un rôle connu par tous. Imaginez le vide abyssal de nos pages locales ou nationales si, toujours les mêmes, ne se dévouaient pas pour couper les rubans, pour présider une table rarement ronde, pour porter une gerbe, pour glisser le bon mot dès le début du discours parce que les journalistes ne seront plus là à la fin, et pour fixer l’objectif en faisant semblant de signer une convention de plus la haute importance ! Personne n’est dupe. L’être humain a besoin de célébrations rituelles, de liturgies ordonnancées, de victimes sacrifiées y compris par le numérique, d’officiants apportant leurs offrandes ou leurs médailles et d’une assemblée, qui l’espace d’un moment communie ou du moins fait semblant. Il arrive cependant ce qui arrive à toutes les liturgies. Soit elles sombrent dans une sinistre comédie, soit la grâce les traverse et les soulève. Vous vivez alors un grand moment parce que, cette fois là, les hommes sont vrais et ce qu’ils disent aussi. Cette fois là, il n’est plus question de victimes, d’officiants, de thuriféraires…Les photographes passent inaperçus. Les obsédés de flashes sont absents. Les présents se suffisent amplement et leur présence est telle qu’elle se dispense de son image. Cet instant là est unique. Quelques uns l’ont vécu un samedi 24 février dans la commune de Claracq ? Trop unique et trop vrai pour être relaté dans les premières pages locales.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.