22 février 2007

Jésus président !
Je t’imagine sur un plateau de télévision, debout, derrière un pupitre transparent, faisant face à une sélection de citoyens français. Ils ont appris que tu faisais des miracles. Alors ils te demandent d’augmenter les salaires, et les retraites, de résoudre les problèmes que posent la santé, les hôpitaux,les vieux, les jeunes, les transports, les banlieues, les prisons, le commerce, les impôts, les pauvres, les riches, l’énergie, l’industrie,l’agriculture, la recherche, la pêche, l’école, l’université, la faune sauvage, les familles, les homos, les hétéros, les chasseurs, les délinquants, les intégristes, les extrémistes, les tire au flanc, les dopés, les drogués, les assistés, les sur-bookés, les stressés et j’en passe…
Le présentateur jubile : les compteurs de l’audimat explosent. Perfide, il te demande de chiffrer tes promesses puis, il impose une petite coupure publicitaire. Les annonceurs se frottent les mains. Les ridés n’avaient rien demandé, et voilà le collagène qui lisse l’écran. L’émission reprend.
Tu prends la parole : « Il est écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. Tu te prosterneras devant Lui et c’est Lui seul que tu adoreras. L’homme ne vit pas seulement de pain. Et moi je vous le dis : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux…Donnez et vous recevrez une mesure bien pleine comme celle dont vous servez pour autrui. A celui qui te prend ton manteau, laisse prendre ta tunique. Donne à quiconque te demande et ne réclame pas à celui qui te vole… A celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre. Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent… ».
Sifflets, hurlements, début d’échauffourée, évacuation des locaux, Tu sors par une porte dérobée évitant le lynchage. Le lendemain, la presse écrite rend compte des réactions de ceux et celles qui font l’opinion publique. Tous les bavards et tous les baveux sont d’accord : « Ce discours ne répond en rien aux graves préoccupations des électeurs, il décrédibilise les responsables politiques et la noble mission des média publics qui sont faits pour éclairer les consciences et non pour les plonger dans un obscurantisme médiéval. Sa légèreté et son inconsistance constituent une insulte à la nation toute entière ». Les intellectuels auto proclamés demandent que l’auteur présente ses excuses dans les journaux télévisés.
Les jours suivants, à 20h, tu parais à l’écran et tu racontes, comme tu sais si bien le faire, l’histoire suivante : « Une femme qui, en rêve, faisait les magasins, découvrit Dieu lui-même derrière le comptoir le mieux achalandé.
- Que vendez-vous donc lui demanda-t-elle ?
- Tout ce que ton cœur désire, lui répondit Dieu.
-Je veux acheter la paix, l’amour, le bonheur, la tranquillité, la santé, la sagesse…
Dieu sourit alors et lui dit :
- Je crois que tu te trompes de fournisseur, nous ne vendons pas les fruits, mais uniquement les semences.
- Et combien coûtent-elles ?
- Un petit temps de silence que tu m’offriras tous les jours pour écouter ce que te dira mon Esprit ! » (D’après un conte de P.de Mello)
Et voilà pourquoi, encore une fois, Jésus, tu ne seras pas élu président…

jeancasanave blogspot.com

20 février 2007

« Le Maître du désir »

C’est le titre donné à un ouvrage de commentaires sur l’Evangile de Jean par son auteur, Eloi Leclerc (1). Le blog précédent sur la Samaritaine permet justement d’apprécier le pédagogue exceptionnel que fut Jésus et comment Celui qui savait « ce qu’il y a dans le cœur de l’homme » a su transformer le besoin en désir. C’était le besoin qui poussait la femme à venir puiser d l’eau. Mais par une succession de symboles (eau du puits, eau vive, seau pour puiser, eau qui désaltère) qui chacun exprime un aspect de la Torah pour des juifs, Jésus amène son interlocutrice à manifester sa soif de vie éternelle.
Quand l’homme en reste à la satisfaction de ses besoins il ne peut que s’étourdir dans la recherche du plus : Plus d’avoir, plus de pouvoir, plus de sensations. La publicité joue sur ce registre en créant des besoins dont la satisfaction apparaît nécessaire et impérative. Une société régie par l’économie ne peut qu’empiler les besoins et tromper ses esclaves consentants.
Le désir nous place dans le registre du choisi et non plus du subi. Il déplace et dépasse le besoin. Au besoin de manger on répond par l’alimentation ou par la bouffe avalées en « stabulation libre » dans les cafétéria. Au désir de rencontrer par le partage du pain, on répond par un repas préparé ou improvisé mais, surtout,désiré. Dans le premier cas, l’aliment est essentiel soit dans sa quantité soit dans sa qualité. Dans le second, le menu n’est qu’une bonne occasion d’échanges enrichissants et d’autres nourritures.
L’expérience commune du besoin et du désir, c’est que leur quête n’en finit jamais. Dans cette course infinie le besoin divise, épuise ou écoeure. Dans le cas du désir ce qui est partagé ou consommé ne diminue pas mais au contraire s’accroît au fur et à mesure que l’on en use.
Un jour ou l’autre cet être insatiable d’infini qu’est l’homme se demande d’où lui vient ce manque infini que traduisent les besoins ou les désirs. N’y a-t-il pas là chez lui comme une marque originelle de son créateur ? Marque originelle qu’il peut transformer en enfermement (et dans ce mot il y a l’enfer) définitif ou en ouverture vers l’Autre. Alors l’alimentation n’est plus consommation, elle n’est même plus repas, elle est Eucharistie. Le besoin de manger pour subsister devient désir de la Vie.
« Supposons que tu veuilles remplir une sorte de poche et que tu saches les grandes dimensions de ce qu’on va te donner, tu élargis cette poche…Tu sais l’importance de ce que tu vas y mettre, et tu vois que la poche est trop resserrée : en l’élargissant, tu augmentes sa capacité. C’est ainsi que Dieu, en faisant attendre, élargit le désir ; en faisant désirer, il élargit l’âme ; en l’élargissant il augmente sa capacité de recevoir. » St Augustin.

(1) « Le maître du désir » Eloi Leclerc ed DDB

10 février 2007

La sixième heure.

Un puits, une homme fatigué, une femme venant chercher de l’eau, il est midi (la sixième heure) : le décor est campé d’une des scènes les plus connues de l’évangile de Jean.
Tout commence dans la banalité du quotidien si tant est que la vie de tous les jours soit banale ! Par le jeu des demandes et des réponses le besoin tout humain de vivre (l’eau) va se transformer en désir de vie éternelle et, au fur et à mesure de la progression du dialogue, la Samaritaine et Jésus vont se dévoiler mutuellement leur identité la plus profonde. Lui se présente d’abord comme un « homme fatigué » ; très vite il devient le « juif » en délicatesse avec les samaritains ; ce juif serait-il « plus grand que Jacob (plus que l’ancêtre?) » ; n’est-on pas en présence d’un « prophète », peut-être même du « Messie-Christ » ; enfin tout culmine lorsque lui-même déclare « Je le suis », faisant allusion au titre divin JE SUIS.
Ce qui est remarquable, c’est que sous l’effet conjugué des réponses de Jésus, toujours en décalé par rapport aux attentes de la femme et du dévoilement de ses identités successives, la Samaritaine, progressivement, se révèle à elle-même. D’une « femme de Samarie », elle devient « Samaritaine » (et il y a plus qu’une nuance !) ; très vite elle se place sur le domaine d’un désir d’être qui dépasse de très loin le besoin d’avoir de l’eau : elle est la femme aux « cinq maris »,c'est-à-dire aux cinq baals, considérée donc comme idolâtre aux yeux de ce « prophète » ; enfin elle se révèle prête à accueillir le messie pour peu qu’elle le rencontre et à devenir son disciple : « venez voir », dit-elle aux autres habitants ! Nous étions au ras de la margelle (au ras des pâquerettes dirait-on aujourd’hui), au bord d’une histoire conjugale scabreuse pour ceux qui ajoutaient les mauvaises mœurs à la mauvaise foi et nous voilà au sommet de la Rencontre.
Qui n’a jamais fait dans sa vie l’expérience de ces moments exceptionnels où à partir d’un échange banal, la conversion a pris une densité rare parce qu’au-delà de l’intérêt du sujet, elle a permis une découverte réciproque et progressive des personnes concernées.
Alors, quand l’une d’elle est la deuxième personne de la Trinité et qu’elle nous offre rien de moins que la Vie éternelle, le soleil s’arrête en plein midi comme pour Josué !
Ami, as-tu connu la sixième heure ?

06 février 2007

Roma !

En gravissant les 320 marches qui conduisent à la coupole de la Basilique St Pierre, je me demandais ce que pouvait penser le petit patron de pêche du lac de Tibériade, en contemplant cet édifice gigantesque construit en sa mémoire. En bas dans l’allée centrale, on a pris soin de matérialiser les dimensions des plus vastes cathédrales du monde pour bien montrer qu’aucune ne rivalise avec celle-ci. Devant ce concours de vanités mondaines la moutarde doit monter à la moustache de notre impétueux premier apôtre.
Pourtant lorsqu’on débouche au niveau inférieur de la coupole, le sens des vanités s’inverse. Les 800 tonnes de bronze du baldaquin du Bernin ne font pas plus d’effet qu’une légère pergola et les humains qui circulent à ses pieds- y compris les « princes » de l’Eglise- ressemblent à des moucherons électrisés par une frénétique et éphémère agitation.
Heureuse basilique qui porte en elle-même l’image paradoxale de notre condition. « Il le fit à peine moindre qu’un dieu… » souligne le psaume et pourtant « ses jours sont comme l’herbe qui passe… »
Bienheureuse Eglise qui échoue à dire Dieu par une seule de ses dimensions. En effet, Il est à la fois dans la grandeur et la splendeur mais aussi dans la profondeur de l’insignifiante cavité de la tombe de Pierre et, je l’espère, dans la largeur des cœurs des moucherons pensants et croyants qui arpentent la longueur…
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.