28 juin 2006

Dominique.
Dominique, 43 ans, ingénieur chimiste, excellent musicien et chef de chœur vient d’être ordonné prêtre. Quand il avait 20 ans, étudiant à Pau, j’étais aumônier de l’Université. Pris dans la ferveur d’une cathédrale bondée, au moment où il se prosterne face contre terre, je mesure ce qui me rapproche de lui et en même temps ce qui nous sépare. Entre lui et moi, il y a le même appel, le même Seigneur. Entre lui et moi il y a un monde… un monde qui a disparu.
La société pour laquelle j’étais ordonné à l’époque où lui-même avait 4 ans, n’a rien à voir avec celle que nous connaissons. Sans m’attarder sur les déboires ou les dérives qui affectent ce ministère aujourd’hui (voir deux chroniques précédentes), je pense avec beaucoup de mes confrères et de nombreux chrétiens que les conditions à l’accès de la prêtrise ne peuvent plus demeurer en l’état. Les évolutions sociales, psychologiques, économiques et culturelles de notre société et par le fait même des individus qui la composent, ne permettent plus de maintenir un seul modèle d’engagement dont faut, cependant, reconnaître l’extraordinaire fécondité et la grande cohérence. Aujourd’hui, en particulier en milieu rural, beaucoup de prêtres s’épuisent à répondre à un culte qui ne correspond plus à la Foi de communautés chrétiennes vivantes. Certains, pour survivre, deviennent les managers hyper organisés d’équipes ou de commissions et se réveillent, un beau jour, en se demandant s’ils sont encore de « bons pasteurs ». Le modèle unique ne peut plus exister, d’ailleurs il n’attire plus.
Ne pourrait-on pas essayer d’autres solutions ? J’en préconise une qui pourrait s’appliquer progressivement. Garder le modèle actuel pour les futurs prêtres qui le désirent mais en leur demandant de le vivre à la manière des religieux, rassemblés autour de leur Evêque et en les formant en conséquence. Ils pourraient vivre un sacerdoce mobile, spécialisé dans la nouvelle évangélisation, comme l’étaient autrefois les « missionnaires diocésains ». Quant aux communautés chrétiennes résidentielles, elles pourraient être confiées à des pères de familles qui ne soient plus sujets à ces fameuses pulsions dont on entend parler, ayant convenablement élevé leurs enfants et jouissant de l’estime de leur entourage et de leur milieu professionnel. Qui vous dit, qu’un petit enfant voyant son grand père revêtir l’aube n’aurait pas envie d’en faire autant lorsque son tour arrivera ? Il y a encore dans tous les centres diocésains de formation permanente des personnes qui donneraient volontiers quelques années de leur vie à l’Eglise. Il ne faudrait pas attendre que ce maillon disparaisse de la chaîne apostolique.
Pour l’instant la seule réponse que nous entendons à cette question des ministères est celle-ci : « Il faut prier l’Esprit Saint, il donnera les vocations dont nous avons besoin! » Et moi qui croyais que l’Esprit Saint donnait la lucidité du discernement, le courage de la décision risquée et même l’humilité de reconnaître que l’on s’est trompé et qu’il faut chercher encore….

27 juin 2006

Tempête apaisée
Version triviale, théologiquement non contrôlée.
On me racontait dans mon enfance qu’un vieux paysan avait l’habitude de sacrifier au culte de Bacchus toutes les fins de semaine. Et tous les dimanches soirs, on le voyait revenir en titubant dans les rues du village. Certains en l’apercevant se moquaient gentiment : « Il a chargé de travers ! ». C’était l’expression employée lorsqu’une charrette remplie de foin avait tendance à pencher dangereusement sur un côté. Après quelques mètres de navigation incertaine, notre brave homme s’exclamait : « A moi les murs, la terre m’abandonne ! » On attendait paraît-il ce moment, comme dans un théâtre, la tirade qu’il ne faut pas rater.
Contemplant le spectacle médiatico-politique donné depuis quelques jours dans notre cher pays, je pense que nous ne pouvons même plus nous accrocher aux murs. Ils n’existent plus. Alors en ces temps de tempête, il ne reste plus qu’une chose à faire. Ne plus boire, c'est-à-dire éteindre la télévision et crier très fort : « A moi le ciel, la terre m’abandonne ! ». Je suis sûr que Celui qui ne dormait que d’un œil sur un coussin au fond de la barque se réveillera prestement.

19 juin 2006

Foot et Fête Dieu :
Ce mois de Juin nous gratifie de deux fêtes inégalement médiatisées : celle du mondial du foot et celle du Saint sacrement, autrefois appelée Fête Dieu.
Les plus anciens se souviendront de ces processions hautes en couleurs qui traversaient villes et villages. Petites filles et garçonnets, dans un ordonnancement parfait et revêtus de leurs plus beaux atours, jetaient des pétales de roses devant l’ostensoir doré au rythme du claquoir. Les adolescents se chargeaient de porter des lanternes décorées aux bougies capricieuses ; les jeunes filles soutenaient la prière par des chants interminables ; les jeunes gens mesuraient leur force en soulevant le plus haut possible les bannières des anciennes confréries ou des saints vénérés. Tout ce beau monde défilait le plus naturellement du monde dans les rues jonchées de verdure. Chaque maison rivalisait d’imagination pour décorer sa façade : draps étendus parsemés de fleurs, statues de la Vierge et crucifix bien astiqués prenaient l’air sur les fenêtres. Ceux et celles qui ne pouvaient pas marcher se tenaient sur les pas de portes et se signaient au passage du dais surmonté de plumeaux et solidement tenu par d’honorables pères de familles. Les récalcitrants s’éclipsaient ce matin là dans leur champ ou leur potager ; les anticléricaux et les athées de service gardaient ostensiblement le béret sur la tête ou le mégot aux lèvres en marmonnant leur désapprobation rentrée.
La fête Dieu a retrouvé l’intimité de l’église, les signes ostensibles de la Foi se font rares. La liturgie de la messe n’attire plus les foules. Ce n’est pas nouveau. Nous sommes fatigués de ce Dieu qu’on ne voit pas et de ce Moïse ombrageux avaient dit les hébreux à Aaron, fais nous donc un Dieu à notre portée, fabrique nous une image de lui, une idole. Ne sommes nous pas en train de vivre l’épisode du veau d’or à l’échelle mondiale. L’Eglise ne fait plus recette mais le sentiment religieux n’est pas mort ; il a changé de terrain.
Rien de plus religieux et liturgique que la préparation des championnats. Les joueurs font retraite dans de fastueux hôtels et conditionnent leur mental pendant que leurs supporteurs revêtent leurs corps, leur peau ou leurs cheveux des couleurs de leur camp comme autant de couleurs liturgiques. Les rues allemandes, les vitrines des magasins se mettent à l’unisson de leurs champions. Les défilés s’improvisent derrière les pancartes déployées ; les chants fusent dans les attroupements et utilisent parfois les mélodies de vieux cantiques démodés. Ce matin, un arbitre annonçait qu’il allait « officier » avec tel collègue. Après la préparation initiatique, vient la liturgie du match. Au son de la cloche réduite au sifflet les rites de communion et d’exclusion vont se succéder : hymne nationaux, poignées de mains ou échange de fanions, recueillement solitaire du joueur ou cri collectif de l’équipe resserrée dans un cercle magique. Rite de purification, l’excommunication par simple carton rouge, sans jugement ni appel. A chaque but marqué, encore la communion : après que le butteur ait envoyé un petit signe au ciel les joueurs s’étreignent dans un violent baiser de paix. Pendant ce temps l’assistance participe, chante, gesticule, ondule une ola, hurle ou se tait dans un silence « religieux ». Enfin la bénédiction finale se donne dans la tribune officielle où chaque président y va de son accolade, de sa tape amicale, de son signe de satisfaction. La liturgie s’achèvera dans le grand défilé des « idoles » revenues au pays comme l’on faisait déjà chez les mésopotamiens lorsque le peuple suivait le « Tselem » l’image du dieu honoré.
Toutes les religions ont leurs rites de communion, d’exclusion et de purification. Selon ce critère la religion se porte bien et le « mondial » est bien une religion devenue planétaire. Elle le restera tant qu’elle sera bien payée. Certains, déjà, ne se découvrent plus au passage des idoles et ne cachent pas leurs réticences pour ce nouvel « opium du peuple ». Pour ne pas sombrer dans un pessimisme nocif, il ne leur reste plus qu’à adorer le « Saint Sacrement » c'est-à-dire à entrer plus avant dans le Mystère, le dévoilement du sens du monde et du sens de Dieu.

10 juin 2006

Marc Bloch
Christian Desplat, historien, professeur émérite de l’université de Pau et des Pays de l’Adour, me fait parvenir quelques citations de Marc Bloch, lui aussi historien, poilu de 14, volontaire en 40 et qui découvre qu’il est juif lorsque Vichy l’expulse de la Sorbonne.
Sur l’histoire de France : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais rien à l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims, ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération »…Commentaire de Raymond Aron : « Oui, mais combien de Français, alors, comprennent encore l’histoire de France ! »
A propos de l’Europe : « Les valeurs traditionnelles de l’Europe. Certaines de ces valeurs, communes à tous, sont le résultat d’un héritage de vingt siècles de Christianisme. Elles ont leur centre dans l’affirmation fondamentale de la dignité infinie de la personne humaine, ce qui entraîne, pour chacun la liberté de croire, de penser, d’écrire, de s’associer et l’égal respect de chaque personne, quelle que soit sa classe ou race » (été 41)
Marc Bloch fut torturé et fusillé sans avoir livré le nom de ses camarades de Résistance.
Et Christian Desplat d’ajouter : « Comment ne pas éprouver honte et chagrin, en lisant ces lignes aujourd’hui ; qu’avons-nous fait e notre héritage ? »

Ceux et celles qui veulent rafraîchir leur mémoire et en même temps lui donner de l’ampleur et de la hauteur peuvent lire de Jean Boissonnat « Dieu et l’Europe » DDB 2005
« Dieu a fait l’Europe ; l’Europe a défait Dieu ; Dieu n’est pas Européen » dit-il dans son avant-propos.

05 juin 2006

Benjamin
Il a 17 ans, des cheveux bouclés, un faux air angélique. Il était justement le benjamin d’une belle cohorte de 24 adultes qui demandaient à être confirmés par leur évêque. Chacun était un monde à lui tout seul et ces mondes se côtoyaient et ces mondes se retrouvaient au sein d’un vaste peuple, l’Eglise, sous les voûtes séculaires de la cathédrale.
Intense émotion quand ils se sont tous présentés pour recevoir l’Onction. Ils étaient là les Mèdes, les Parthes, les Elamites, les Arabes et les Romains qui assistaient à la première Pentecôte, chacun venant de son monde. En effet, Benjamin et les autres, de par leur jeunesse, leurs fréquentations, leur parcours parfois scabreux, souvent insolite, se situent déjà sur une toute autre planète que la mienne. Leur culture n’a pas grand-chose à voir avec celle de ceux qui les accompagnaient. Pourtant, à cette heure là, chacun comprenait dans sa langue qu’un lien puissant nous unissait, un même Esprit. Nous savions que nous avions même Père, même Frère et même Esprit.
Dans une société totalement éclatée, cette confirmation relevait presque du service public. Oui, les pouvoirs publics devraient se préoccuper, en tout cas ne pas négliger, cet héritage spirituel qui est le nôtre et qui peut constituer le seul lieu de rencontre de générations et de mondes différents et éloignés. Mettre un même sens ou le même Esprit dans les mots « Père » ou « Frère » est déjà une victoire sur la barbarie. Benjamin n’oublie jamais ce que tu as reçu, n’oublie jamais que tu es reçu…

02 juin 2006

Marie Thérèse Lacombe.
L’épouse du regretté Raymond Lacombe qui a été le responsable le plus emblématique du monde paysan de la fin du dernier siècle est venu rencontrer quelques groupes de personnes actives dans le Béarn, à l’invitation de l’Ifocap-Adour.
En présentant le livre dans lequel elle a recueilli les principaux écrits et discours de son mari, elle a délivré un message tellement décalé par rapport à la société qui est la nôtre qu’il en paraissait révolutionnaire !
Elle a simplement rappelé la noblesse du métier de « paysan ». Celui qui vit du « pays », qui fait le « pays », et qui compose avec lui. Autrement dit, c’est moi qui l’ajoute, l’agriculture engendre aussi une culture. Le paysan produit les vivres dont les autres ont besoin mais il produit aussi une façon de vivre qu’il est indispensable de préserver et de promouvoir dans le contexte de la civilisation actuelle qui a perdu ses racines. De même qu’il existe une exception culturelle française, pourquoi n’existerait-il pas une exception « agriculturale » ? Nul gouvernement ne peut se désintéresser de son agriculture et de son indépendance alimentaire. A trop réclamer que les produits agricoles soient payés au juste prix, on risque de banaliser cette activité unique dans la société. « Pas de pays sans paysan » c’était le slogan inventé par Raymond Lacombe, c’était son titre de noblesse, c’est le titre de l’ouvrage, édité aux éditions du Rouergue.
En rappelant l’exemple de son époux, Marie Thérèse Lacombe a également insisté sur la valeur de l’engagement. On consacre beaucoup d’énergie à analyser sans fin les problèmes qui se posent aujourd’hui à toutes les catégories sociales mais une fois le constat réalisé, on désigne les responsables de la situation (l’Etat, l’Europe, la mondialisation…) et on attend…De même, il est fréquent aujourd’hui de voir se mobiliser beaucoup de gens tant que leurs problèmes personnels sont en jeu. Une fois la revendication ponctuelle et individuelle satisfaite l’engagement ne dure pas, malgré l’engouement pour tout ce qui est « durable ». Raymond Lacombe refusait l’attentisme, il prônait l’action, la prise de responsabilité au plus petit échelon. C’est ainsi que lui-même est resté 42 ans maire de Camboulazet. C’est là et dans sa propre exploitation qu’il vérifiait la crédibilité de ses engagements nationaux.
Enfin, parmi bien d’autres messages importants, nous avons retenu que les convictions de Raymond Lacombe remontaient à sa formation dans la Jeunesse Agricole Catholique. Il avait compris depuis cette époque là que tout homme, le plus modeste comme le plus important, était digne du même respect et de la même attention. Voilà pourquoi cet homme était resté « libre à l’égard de tous » et si proche de tous. Merci Marie Thérèse.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.