09 décembre 2005

Paroles et Parole de Dieu.


Pourquoi les jeunes parents passent-ils un temps fou à vouloir faire parler leur enfant ? A force de pantomimes et de contorsions, quel n’est pas leur bonheur lorsqu’ils croient entendre un timide « maman » ou « papa » ! Ils seront d’ailleurs moins empressés d’écouter leur rejeton lorsque celui-ci opposera un « non » catégorique à toute proposition émanant de leur volonté de lui faire du bien ! S’ils manifestent tant d’acharnement à transmettre la parole c’est que, confusément, ils savent qu’elle dévoile le signe de l’humanité.

- La parole est le signe de la faculté humaine de se mettre à distance de l’objet, de le représenter et non plus de le présenter ou de le désigner. Le chien rapporte l’objet que l’homme a lancé ; l’enfant pourra un jour dire : «J’ai posé la bâton à tel endroit, tu pourras le reprendre si tu le veux »
La parole est le point de départ de toute connaissance et par là de toute science.
« Dieu dit : Tu donneras un nom à tous les animaux… » Gn 1

- Quand je parle, au-delà même de ce que j’ai à dire, j’affirme la présence d’un « je ». Quand je répète ce que l’autre vient de dire, je n’ajoute rien au discours mais je pose mon « je » comme irréductible à tout autre.
Cette parole est l’origine du sens de la personne humaine, de sa radicale unicité, de sa liberté, de son identité.
« Je t’ai gravé sur la paume de mes mains.. » Is 43,4

- Quand j’adresse la parole à un autre, je le reconnais comme un interlocuteur, comme un parlant comme moi, comme un sujet, un autre « je ». Je peux dialoguer avec lui, me comparer à lui, l’imiter, le repousser, le contredire.
C’est le point de départ de la relation, de la communion mais aussi du conflit, de la violence. C’est le début de toute vie sociale.
« Celle là est l’os de mes os, la chair de ma chair.. »Gn 2

- Quand je réponds à l’autre, je me considère comme responsable de ma parole. Je demande qu’on fasse confiance en ce que je dis, surtout dans des matières importantes. « Tu as ma parole ! » « C’est un homme de parole »
Ici commence toute vie morale. Une vie en société ne peut perdurer que sur un pacte de confiance élémentaire. Le jour où ce pacte s’effrite, le jour où l’on est obligé d’apprendre à un enfant à se méfier systématiquement des adultes qu’il approche, où le client doit soupçonner le commerçant, où le présumé innocent doit se protéger de la justice, ce jour là annonce le deuil de toute société humaine.
« Qu’as –tu fais de ton frère ? » Etre responsable de moi implique que je sois responsable de celui qui se confie à moi.

- Quand je parle, je me distingue de tout ce qui ne parle pas. Cela me pose question, je suis une question dans l’univers, je suis une parole-question pour moi-même. Qui suis-je ? Pourquoi suis- je ainsi ?
Du coup je cherche une parole qui me donnerait une réponse à la question : »Qui suis-je, » Par ces mots naît en moi le philosophe.
Et je me tourne d’abord vers la nature. Je déchiffre ses lois mais elles ne rendent pas compte totalement de l’être humain que je suis. La nature elle-même me renvoie la question : d’où vient l’être ? d’où vient la vie ?; elle n’est qu’une parole parmi d’autres.
Puis-je interroger l’Histoire ? Il y a longtemps que j’ai renoncé à croire que son déroulement conduisait fatalement à l’avènement d’un Homme nouveau, libéré de toute servitude. Les lendemains chantent de plus en plus faux et nous promettent une cacophonie finale. L’histoire n’est qu’une parole parmi d’autres…


- Mais si tout est parole pour l’homme, à condition de chercher et d’écouter au-delà de la rumeur des jours, si la terre est parole, si l’être humain est parole, si l’autre est parole, si je suis parole, l’origine de tout n’est-elle pas parole ?
Ici je quitte la philosophie pour entrer dans le monde religieux « Les cieux racontent la gloire de Dieu et le firmament annonce sa gloire Ps 18 » Je vais alors revêtir d’un caractère sacré et divin toute parole dont je ne posséderais pas l’alphabet et dont le sens m’échapperait. L’homme « cette machine à inventer des dieux »

- Parmi ces religions, certaines prétendent se faire l’écho d’une parole venue d’en haut. Ce sont les religions de la révélation, qui ôtent le velum, le voile. Dieu lui-même déchire le voile posé sur nos yeux. Mais pour rester dans le registre de la parole, l’une d’elles ma dit qu’au commencement était le Verbe, la Parole. Dieu lui-même se fait parole pour nous.

Ce Dieu là mettra des temps et des temps pour nous apprendre que sa Parole nous accompagne, qu’elle veut entrer en dialogue, en Alliance avec nous. C’est d’ailleurs pour cela qu’il nous a crées « à son image », c'est-à-dire parlants comme Lui.
Cependant il y aura entre sa Parole et la nôtre un grave mal-entendu parce que notre oreille est mal adaptée à sa Parole. Elle a du mal à admettre qu’elle ne soit qu’image, reflet de la Lumière au lieu d’en être la source. Dieu déroulera l’Histoire et racontera beaucoup d’histoires pour préparer notre oreille à écouter son Verbe, sa Parole venue parmi nous.

Il mettra, enfin, une éternité à nous apprendre à parler comme Lui pour pouvoir entrer en communication avec Lui, en communion avec Lui, en « mangeant sa Parole » Ez 2
Désormais la seule occupation de l’homme devrait être d’apprendre à parler avec les mots de Dieu pour que l’humanité entière, que le monde entier devienne Parole de Dieu.

Voilà pourquoi tous les humains, depuis que l’homme existe, passent tant de temps à apprendre à parler…et plus encore à savoir se taire …

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Certains parlent par expérience.
D'autres, par expérience, ne parlent pas"

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.