27 décembre 2005

Noël, éloge de la fragilité, du décalé, de la pauvreté.

Michel Serres de passage à Pau à l’occasion du salon du livre commente une enquête récente qui indique que la recherche scientifique, en panne dans les pays occidentaux, prospère dans les continents en développement comme l’Asie. Il en conclut que la richesse assoupit les peuples tandis que la pauvreté les stimule. On savait depuis toujours que la pénurie donnait des idées.
Depuis longtemps déjà Albert Jacquard, démontre que l’évolution du vivant n’a pas été le fait des êtres les plus robustes, totalement adaptés à leur milieu. Au contraire, les « handicapés », c'est-à-dire ceux qui ont eu le plus à s’adapter, ont le mieux supporté les changements climatiques, économiques ou culturels.

Noël fête un enfant.
Quoi de plus imprévisible qu’un enfant dans un monde où tout est programmé !
Quoi de plus gratuit quand tout est calculé !
Quoi de plus pauvre quand l’opulence éclabousse !
Quoi de plus gai quand tous se prennent au sérieux !
Quoi de plus risqué quand tout est assuré !
Quoi de plus fragile quand dominent les plus forts !

Dans le monde des dieux auxquels les hommes se fiaient jusqu’alors, notre Dieu est apparu sous la forme d’un enfant fragile, d’un intrus, d’un perturbateur, d’une question, de celui auquel on ne s’attendait pas.

Dans une société qui n’adore que la jouissance de l’instant présent cet enfant nous rappelle que Dieu est Parole d’avenir, geste risqué, pulsion de vie qui défie toutes sortes de morts, regard neuf qui transforme nos vieilles rides en sourires.
Le 24 12 05

Feu

FEU

Tous les matins, avant de prier l’office et de faire silence devant mon Dieu, je ranime mon feu. Et je ne puis pas m’empêcher de penser à ce curieux épisode qui va bouleverser le monde des religions pour toujours, celui du buisson ardent (Ex 3.)


Même Moïse éduqué parmi les magiciens égyptiens ne peut retenir son étonnement devant cet arbuste qui ne se consume pas et « il s’approche pour mieux voir ». Heureusement le texte nous avait averti qu’il s’agissait d’une flamme de feu représentant l’ange de Dieu.
Nous saurons plus tard, lors de la traversée du désert, qu’une nuée de feu éclairera la route du peuple durant la nuit et le protégera de l’ardeur du soleil pendant le jour. Le feu sera l’une des composantes des manifestations de Dieu tout au long de l’histoire de l’Alliance.
Mais le feu sera aussi le signe de la colère divine et ce feu là consumera. Le feu de la Géhenne, l’ancêtre de notre enfer, lui aussi consumera et vouera à la mort définitive les réprouvés.
Ainsi le Feu est-il symbole de la présence de Dieu et symbole de son absence.
Tout symbole est ambivalent, c’est pourquoi il doit s’inscrire dans un contexte de paroles ou d’actions.
Les langues de feu de la Pentecôte n’ont, pas plus que la flamme du Sinaï, consumé personne. Serait ce que le combustible du buisson ardent n’était pas le bois mais déjà l’Amour ? …L’amour, feu qui brûle et qui illumine non pour détruire mais pour transformer.



Par dépit ou par défi des voitures flambent… Fureur des hommes ? Colère de Dieu ? Des bougies s’allument sur des lieux de mémoire, des façades s’illuminent pour Noël…Espérance tenace ou brillance aussi artificielle que fugace ?
J’ajoute une bûche à mon foyer car il consume et il consomme…
Le 17 12 05

22 décembre 2005

Vrai Noël et belle année

Je vous adresse ces voeux que je formule à moi-même dans ces temps de ruptures et parfois de panique :

" Ne pas céder à l’agitation. C’est par elle que les médiocres se rendent indispensables. N’accomplir qu’une tâche par jour, mais le mieux possible. Pour cela, aller à l’essentiel jusqu’au fond et jusqu’au bout.

Consentir parfois au vide, aimer le silence, souffrir de l’oubli, rester malgré tout disponible à l’Inattendu.

Laisser Dieu sanctifier en soi ce qui peut l’être. C’est le seul horizon à atteindre. Et pour permettre le dévoilement de sa lumière, prier dans la patience et l’aride fidélité.

Alors, tu pourras offrir aux anciens chagrinés, le baume de ta sérénité ; aux jeunes inquiets, le calme de ton espérance ; et à tous une parole qui soit présence.
"

09 décembre 2005

La LOI (à propos du décalogue)



Reconnaître d’abord qu’elle est le premier pas vers toute possibilité de société. Sans une loi édictée par la communauté humaine c’est le règne du puissant, du plus fort qui s’instaure. Une mauvaise loi vaut mieux que l’absence de loi. La loi de la guerre pour ignoble qu’elle soit, vaut mieux que la violence généralisée et incontrôlée. La rudesse d’un match de rugby n’a rien à voir avec l’affrontement de deux bandes rivales. Ici la violence est sous contrôle d’une règle et d’un arbitre. Nous avons à retrouver le sens de la loi qui a pour corollaire de celui des droits et des devoirs.

Quand on est placé devant un principe, se demander toujours en vue de quel bien ce principe a-t-il été édicté ? Il arrive qu’une loi prévue dans un cadre social bien défini ou pour un moment historique précis ait aujourd’hui des effets pervers. Il peut aussi arriver qu’une loi soit détournée de son objet et produise plus de mal que de bien. L’amour des parents est indispensable au développement de l’enfant. L’amour trop possessif l’étouffe et le détruit.

Se souvenir que la Loi est avant tout un pédagogue et que celui-ci doit disparaître lorsque notre conscience est suffisamment formée. L’éducateur donne des règles jusqu’à ce que l’enfant les intègre et puisse s’en passer. En effet la loi ne peut pas prévoir tous les cas, elle est toujours en retard d’une loi. On légifère toujours après coup. En outre une grande partie de nos relations inter-personnelles ne tombent pas sous le coup de la Loi mais de la confiance réciproque. Attendre tout de la loi c’est rendre inutile la responsabilité et à terme c’est nier la l’acte libre.
La loi exalte l’égalité, mais elle réussit tout au plus à égaliser les individus. La liberté est vide sans une certaine considération de la personne. La loi proclame la liberté mais ne peut pas contraindre le clochard à entrer dans un abri. La loi réclame la fraternité mais celle-ci ne se décrète pas.

La Foi et la Loi. C’est la loi qui découle de la Foi et non le contraire. Toujours se rappeler que les deux présentations
Paroles et Parole de Dieu.


Pourquoi les jeunes parents passent-ils un temps fou à vouloir faire parler leur enfant ? A force de pantomimes et de contorsions, quel n’est pas leur bonheur lorsqu’ils croient entendre un timide « maman » ou « papa » ! Ils seront d’ailleurs moins empressés d’écouter leur rejeton lorsque celui-ci opposera un « non » catégorique à toute proposition émanant de leur volonté de lui faire du bien ! S’ils manifestent tant d’acharnement à transmettre la parole c’est que, confusément, ils savent qu’elle dévoile le signe de l’humanité.

- La parole est le signe de la faculté humaine de se mettre à distance de l’objet, de le représenter et non plus de le présenter ou de le désigner. Le chien rapporte l’objet que l’homme a lancé ; l’enfant pourra un jour dire : «J’ai posé la bâton à tel endroit, tu pourras le reprendre si tu le veux »
La parole est le point de départ de toute connaissance et par là de toute science.
« Dieu dit : Tu donneras un nom à tous les animaux… » Gn 1

- Quand je parle, au-delà même de ce que j’ai à dire, j’affirme la présence d’un « je ». Quand je répète ce que l’autre vient de dire, je n’ajoute rien au discours mais je pose mon « je » comme irréductible à tout autre.
Cette parole est l’origine du sens de la personne humaine, de sa radicale unicité, de sa liberté, de son identité.
« Je t’ai gravé sur la paume de mes mains.. » Is 43,4

- Quand j’adresse la parole à un autre, je le reconnais comme un interlocuteur, comme un parlant comme moi, comme un sujet, un autre « je ». Je peux dialoguer avec lui, me comparer à lui, l’imiter, le repousser, le contredire.
C’est le point de départ de la relation, de la communion mais aussi du conflit, de la violence. C’est le début de toute vie sociale.
« Celle là est l’os de mes os, la chair de ma chair.. »Gn 2

- Quand je réponds à l’autre, je me considère comme responsable de ma parole. Je demande qu’on fasse confiance en ce que je dis, surtout dans des matières importantes. « Tu as ma parole ! » « C’est un homme de parole »
Ici commence toute vie morale. Une vie en société ne peut perdurer que sur un pacte de confiance élémentaire. Le jour où ce pacte s’effrite, le jour où l’on est obligé d’apprendre à un enfant à se méfier systématiquement des adultes qu’il approche, où le client doit soupçonner le commerçant, où le présumé innocent doit se protéger de la justice, ce jour là annonce le deuil de toute société humaine.
« Qu’as –tu fais de ton frère ? » Etre responsable de moi implique que je sois responsable de celui qui se confie à moi.

- Quand je parle, je me distingue de tout ce qui ne parle pas. Cela me pose question, je suis une question dans l’univers, je suis une parole-question pour moi-même. Qui suis-je ? Pourquoi suis- je ainsi ?
Du coup je cherche une parole qui me donnerait une réponse à la question : »Qui suis-je, » Par ces mots naît en moi le philosophe.
Et je me tourne d’abord vers la nature. Je déchiffre ses lois mais elles ne rendent pas compte totalement de l’être humain que je suis. La nature elle-même me renvoie la question : d’où vient l’être ? d’où vient la vie ?; elle n’est qu’une parole parmi d’autres.
Puis-je interroger l’Histoire ? Il y a longtemps que j’ai renoncé à croire que son déroulement conduisait fatalement à l’avènement d’un Homme nouveau, libéré de toute servitude. Les lendemains chantent de plus en plus faux et nous promettent une cacophonie finale. L’histoire n’est qu’une parole parmi d’autres…


- Mais si tout est parole pour l’homme, à condition de chercher et d’écouter au-delà de la rumeur des jours, si la terre est parole, si l’être humain est parole, si l’autre est parole, si je suis parole, l’origine de tout n’est-elle pas parole ?
Ici je quitte la philosophie pour entrer dans le monde religieux « Les cieux racontent la gloire de Dieu et le firmament annonce sa gloire Ps 18 » Je vais alors revêtir d’un caractère sacré et divin toute parole dont je ne posséderais pas l’alphabet et dont le sens m’échapperait. L’homme « cette machine à inventer des dieux »

- Parmi ces religions, certaines prétendent se faire l’écho d’une parole venue d’en haut. Ce sont les religions de la révélation, qui ôtent le velum, le voile. Dieu lui-même déchire le voile posé sur nos yeux. Mais pour rester dans le registre de la parole, l’une d’elles ma dit qu’au commencement était le Verbe, la Parole. Dieu lui-même se fait parole pour nous.

Ce Dieu là mettra des temps et des temps pour nous apprendre que sa Parole nous accompagne, qu’elle veut entrer en dialogue, en Alliance avec nous. C’est d’ailleurs pour cela qu’il nous a crées « à son image », c'est-à-dire parlants comme Lui.
Cependant il y aura entre sa Parole et la nôtre un grave mal-entendu parce que notre oreille est mal adaptée à sa Parole. Elle a du mal à admettre qu’elle ne soit qu’image, reflet de la Lumière au lieu d’en être la source. Dieu déroulera l’Histoire et racontera beaucoup d’histoires pour préparer notre oreille à écouter son Verbe, sa Parole venue parmi nous.

Il mettra, enfin, une éternité à nous apprendre à parler comme Lui pour pouvoir entrer en communication avec Lui, en communion avec Lui, en « mangeant sa Parole » Ez 2
Désormais la seule occupation de l’homme devrait être d’apprendre à parler avec les mots de Dieu pour que l’humanité entière, que le monde entier devienne Parole de Dieu.

Voilà pourquoi tous les humains, depuis que l’homme existe, passent tant de temps à apprendre à parler…et plus encore à savoir se taire …

06 décembre 2005

Quand repassent les grues…

Comme les rameurs des antiques galères scandaient de la voix le rythme de leur gigantesque effort, elles annoncent leur passage par ces cris gutturaux qui les distinguent de tous les autres migrateurs. Pas un misérable bipède collé à la glèbe qui ne résiste, alors, à regarder vers le haut. Chacun scrute l'azur infini, jusqu'à ce que l'œil vise en plein ciel le triangle magique qui vous réconcilie avec la géométrie dans l'espace.
Et il en est ainsi depuis les origines. Nos ancêtres lointains ont dû se poser bien des questions au sujet des retours inversés et périodiques de ces crieurs publics annonciateurs des frimas ou des printemps. A l'époque où l'avenir se dévoilait dans les viscères des oiseaux, ils en avaient peut-être conclu que ces bruyants cerfs-volants étaient dépêchés par les dieux pour ouvrir la porte des saisons. Cette hypothèse avait l'avantage de nourrir plus de rêves, qu'une plate théorie du déterminisme de l'instinct. Il reste cependant, au terrien ravi, d’envier ces grandes dames qui peuvent deux fois l’an s’offrir si beau voyage. Il y a des jours où il aimerait, comme elles, passer à tire d’ailes par dessus ses montagnes de tracas, ses océans de doutes et ses déserts d’amour.
Il n'empêche, que le nez en l'air et l'œil rivé sur le firmament, le bipède ébahi se demande encore, aujourd’hui, qui est le chorégraphe génial de ce ballet biannuel et à qui est adressé cet "hymne de l'univers". Relier et relire les signes du ciel et ceux de la terre, n'est ce pas l'expérience fondatrice des religions ? Merci, Mesdames les grues, de nous redonner le goût d'un certain infini !
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.