31 octobre 2020

Jours de plomb

 

Dans un article précédent consacré à la liberté d’expression, j’avais laissé entendre que le processus d’idolâtrie  d’une déviation religieuse d’une part et de la liberté divinisée d’autre part, allait nous entraîner dans la « pire des violences, la violence sacrée ». Malheureusement nous y sommes. L’égorgement de trois de nos compatriotes qui avaient le tort de prier en paix dans une église ressort de cette folie sacralisée. L’horreur de la décapitation du professeur Paty avait bouleversé les consciences des citoyens meurtris. Le triple assassinat de catholiques innocents à l’intérieur d’une église brise l’âme d’un peuple tout entier.


Nous aurons droit, comme il se doit, au déluge des commentaires habituels, aux postures des politiques bien étudiées, à une cérémonie d’unité nationale commandée, peut-être à quelque manifestation de compassion et de réprobation. Mais qui affichera à bout de bras « Je suis catholique » ou « Je suis sacristain » comme on avait scandé « Je suis Charlie » ou « Je suis prof » ? Ne céderons-nous pas à l’envie de renvoyer dos à dos deux religions soupçonnées, l’une comme l’autre, d’être des foyers d’obscurantisme et de fanatisme ? Combien de Français qui se sont sentis attaqués dans la personne du professeur seront-ils blessés par le meurtre de ces trois croyants qui voulaient simplement prier le Dieu de tous ? Combien de ceux qui disent ne pas croire et ne pas se sentir concernés, se souviendront que ces « valeurs de la République » auxquelles ils sont attachés ont des racines chrétiennes ? Et que l’héritage des « Lumières », lui-même, n’aurait pas existé sans le terreau du christianisme ? Une occasion est offerte à chacun, en ces jours sombres, de faire la vérité sur sa Foi ou sur son incroyance sans se dérober derrière le paravent de valeurs célébrées quand elles nous arrangent et délaissées quand elles nous gênent.


Les mesures coercitives ne suffiront pas à endiguer cette misère culturelle qui est la mère de toutes ces violences. C’est pourquoi, il est plus que jamais nécessaire de réinventer un service national universel au cours duquel toute la jeunesse française, issue de l’immigration ou non, apprendra par la théorie et par la pratique les règles fondamentales de la vie commune en France. Et pourquoi, à l’issue de ce service, ne pas exiger que chacun renouvelle en toute conscience une demande personnelle de nationalité ?


Alors, peut-être, les oreilles et les cœurs s’ouvriront-ils un jour à ces « Béatitudes » qui résonneront douloureusement dans les églises de notre pays le jour de tous les Saints! « Heureux les artisans de paix ! »

 

 Jean Casanave
Le roman inachevé du bœuf de la crèche, chez Médiaspaul

25 octobre 2020

Le retour des idolâtres

 

 « Alexamenos adore son Dieu », ainsi est formulée la légende du célèbre graffiti romain datant du 3ème siècle qui représente un chrétien priant devant un crucifié affublé d’une tête d’âne. L’art de la caricature ne date donc  pas d’aujourd’hui, touche toutes les religions et produit encore son effet 18 siècles après.


Nous sommes tous légitimement horrifiés de constater que la décapitation a fait son retour dans notre cher pays qui se croyait à l’abri d’une telle barbarie. Cet acte inqualifiable a suscité un tsunami de commentaires qui a trouvé son épilogue dans le discours prononcé à la Sorbonne par le Président de la République. Soit dit en passant, cette célébration de la laïcité absolue dans la maison de Robert de Sorbon, ecclésiastique et théologien, laissait songeur !! Mais n’est-ce pas la France !


Il restera aussi de cet évènement tragique, le matraquage télévisuel organisé autour d’une équation simple : islamisme= religion ; religion=obscurantisme et fanatisme ; donc l’ennemi c’est la religion et, sous-entendu, y compris la religion chrétienne! Voilà à quoi se résumait la plupart des interventions.  Or, ce qui est le fond du problème, c’est justement l’absence de religion c’est-à-dire de la recherche de ce qu’est véritablement Dieu. Cette quête du vrai Dieu qu’aucun croyant véritable ne peut réduire à une appellation, une formule, une image. La Bible tout entière n’est qu’une réfutation sans cesse renouvelée de tous les prétendus dieux. Enfermer Dieu dans un mot, une définition, un signe quelconque est un acte idolâtre.

Or, le débat suscité par l’assassinat du professeur Paty n’est que confrontation de deux idolâtries. Celle d’un Islam dévoyé et celle de la liberté d’expression élevée au rang d’une divinité intouchable. Le fait que ses dévots se permettent de demander l’éradication de leurs adversaires au nom de cette même liberté est pour le moins paradoxal. Les sophistes ne sont pas morts !
Il faudra bien un jour que quelques courageux élèvent la voix pour affirmer que cette liberté comme toutes les autres réalités de ce monde a une limite. Quand la caricature provoque l’amalgame, quand elle blesse toute une catégorie de citoyens, elle devient la caricature de la liberté d’expression. Quand comprendrons-nous que la liberté débridée peut tuer la fraternité, si nous ne mettons pas celle-ci au même rang que les deux autres emblèmes de la République ?


Voilà l’impasse dans laquelle veulent nous fourvoyer les nouveaux idolâtres. En divinisant des réalités humaines, ils ouvrent la voie de la pire des violences, la violence sacrée. En outre, ils disqualifient par avance et obstruent le chemin de la recherche du Dieu transcendant qui est au-delà de tout ce qu’on peut nommer…

 

 Jean Casanave
Le roman inachevé du bœuf de la crèche, chez Médiaspaul

03 octobre 2020

Plaintes et désolation

 


Ils étaient quelques chrétiens réunis autour de la mémoire de leur Seigneur et de leurs disparus quand, une fois de plus, la conversation porta sur leurs difficultés à se situer dans leurs paroisses respectives alors qu’ils en avaient été les chevilles ouvrières dans leur jeunesse. Les uns assumaient leur désertion pour incompatibilité avec le prêtre desservant, les autres en appelaient à la compréhension et à la fidélité malgré tout, d’autres encore, silencieux, faisaient le dos rond.

- « Et toi qu’en penses-tu ? »

 
Les lectures de l’office des heures nous proposaient ces derniers temps des extraits des prophètes Jérémie et du livre dit des «  Lamentations » Le ton et le discours étaient les mêmes : le peuple est divisé, les ennemis en profitent, les chefs sont des incapables, toutes les expressions de notre foi sont abandonnées, la joie d’être ensemble et croyants a disparu.
En effet, une jeune génération de chrétiens, et parmi elle, de jeunes  prêtres, s’est levée dans l’Eglise de notre pays. Elle revendique un traditionalisme new look ; elle a pour elle l’enthousiasme et l’avenir, ce qui manquait cruellement à la précédente qui s’était assoupie dans la routine et le défaitisme. Pour celle-ci : « La société française n’avait que faire de la foi, tous les efforts déployés après le Concile pour rendre l’Eglise « proche des gens » avaient échoué. La crise du coronavirus ajoutée aux scandales de la pédophilie avaient achevé la démolition de la maison déjà branlante ».

Au dire des autres : « Nous en sommes arrivés là, parce que nous avons abandonné la vraie foi, la vraie liturgie, la vraie théologie. Restaurons le sacerdoce hiérarchique abreuvé à la source d’une bonne doctrine et habile en moyens de communication. Les hommes et les femmes de bonne volonté de notre pays se reconnaîtront dans cette démarche approuvée par Dieu puisque des jeunes s’engagent dans nos rangs ». Et, à grands renforts de prêtres  et de communautés issus de continents lointains,  l’œuvre de restauration est en marche.

-    « A-t-on encore  le droit de penser quand on demande de croire?»

On disait à son époque que le Concile Vatican II avait surtout mis en valeur les évêques et les laïcs, tous membres du peuple de Dieu. En effet, les textes conciliaires avaient bien inscrit l’épiscopat dans la tradition apostolique et affirmé l’importance de la collégialité. Entre les laïcs et l’évêque le prêtre était le parent pauvre du Concile. De quel côté se situait-il ? Les frontières n’étaient pas nettes ; étaient-elles nécessaires ?
Les temps nouveaux qui sont les nôtres ne seraient-ils pas ceux de la revanche des prêtres ?
On entend de plus en plus des expressions anciennes qui demanderaient plus d’explications que d’affirmations brutales. « Je parle et j’agis « in persona Christi » »… et le baptisé n’en fait-il pas autant ? Le prêtre est « alter Christus » (un autre Christ) ! Le baptisé en serait-il dispensé ? J’agis en tant que « Christ Tête du corps » ! Mais qu’est-ce qu’une tête sans corps ? Il ne s’agit pas de nier le rôle indispensable du prêtre comme signe du « Christ-Tête » mais il ne faudrait pas confondre le signe et la réalité.
Nous assistons donc en quelque sorte au retour, parfois fracassant, du prêtre au premier rang de la communauté.

 


Comment les chrétiens appréhendent-ils ce changement de cap ?

Souvent positivement lorsqu’on entend ceux qui appartiennent à des communautés déjà vivantes et situées surtout dans les grandes métropoles. Souvent négativement dans les campagnes affectées par le vieillissement des fidèles, une paganisation des rites encore pratiqués et le fantôme de la figure tutélaire du curé omnipotent du village.

Pourquoi cette méfiance et cette résistance  chez les vieux gaulois de la France profonde ?
- D’abord, parce que toute remise en question engagée à la hussarde sur le mode autoritaire est perçue comme une agression et une désapprobation. Au contraire, toute réforme demande du tact, de la patience et beaucoup d’explications et c’est ainsi que la raison vient au secours de la Foi. Malheureusement, il semblerait de nos jours que le croire exclue le comprendre.

- Ensuite, parce que cette nouvelle pastorale fait fi d’une dimension essentielle. L’Eglise est une institution humaine. Avant de  vouloir la réformer ou la restaurer, il faut d’abord respecter les personnes qui la font vivre, apprendre à aimer l’histoire du territoire qui est le leur et adapter la réforme au « terrain ». Ce n’est pas parce qu’une manière de faire remporte quelques succès dans un agglomérat de populations citadines sans racines et sans histoire qu’elle est applicable ailleurs. La culture locale oblige. La tâche est particulièrement difficile pour ceux et celles qui viennent d’autres horizons. Nos anciens missionnaires en savent long sur ce sujet.

Comment sortir de ces difficultés?

-    Fuir ? « A qui irions- nous Seigneur… »
-    Attendre que la vieille génération disparaisse et reconstituer une Eglise conforme à la vérité telle que définie  par les nostalgiques d’une société aussi magnifiée qu’imaginée. Cette perspective est vouée à l’échec car le monde sur lequel pourrait se greffer cette Eglise n’existe plus, pas plus d’ailleurs que celui du Concile. Or l’Eglise ne peut vivre en dehors du monde tel qu’il est, à moins de vouloir  bâtir une société en parallèle avec celle de la majorité des citoyens et épouser les structures mentales des mouvements islamistes qui entendent refonder le monde sur leurs valeurs exclusives.
-    Entrer en résistance par rapport à ce qui apparaît comme une nouveauté  et qui n’est qu’une réminiscence d’un sacré plaqué sur une réalité déconnectée de toute transcendance. Cette attitude ne peut qu’épuiser inutilement les forces ou aboutir à un schisme.
- Au lieu de vouloir restaurer de l’ancien pour les uns ou opposer un refus stérile pour les autres, il s’agit, plutôt, d’entrer ensemble dans la recherche de ce monde tel que la crise actuelle nous oblige  à le repenser. Et cela en nous appuyant sur les principes posés par notre Pape François  dans Laudato Si et en étroite collaboration avec tous ceux qui essaient de vivre dans un nouveau rapport avec la nature et les autres. Nous n’avons pas le droit de manquer ce rendez-vous et l’Eglise nourrie de sa tradition judéo-chrétienne a encore  de quoi étonner le monde et « emballer » la jeunesse. En matière de respect de la création et de la vie, d’accueil de l’autre dans sa différence, de sobriété volontaire, d’exercice de la limite et de la modération,  d’accompagnement des plus pauvres, des malades et des plus fragiles, de recherche de la sagesse et du silence, de la gratuité de la prière et du geste fraternel, elle peut largement puiser dans ses réserves. Mais, encore une fois, non pour transformer la terre en un couvent de bénédictins mais pour inventer un monde qui soit le moins mauvais possible  et ouvert sur un autre monde à venir.

Au lieu d’entendre le claquement de portes qui se ferment, il serait bon de percevoir le doux murmure de l’Esprit qui entre dans la pièce commune.


"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.