22 octobre 2019

La fabuleuse histoire d’un petit bout de bois



Autour du village des monstres aux crocs d’acier, pilotés par des nains perchés dans leurs cabines, avalent jour et nuit des champs entiers de maïs en quelques rotations. Presqu’instinctivement, je regarde un objet religieusement conservé et auquel je voue une véritable vénération. Un petit morceau de bois pointu taillé dans un buis, délicatement sculpté à la pointe d’un couteau, adapté au poignet par une simple cordelette. C’est le « pounchoû » (1) qui m’était dévolu lorsque, enfant, j’étais admis à prendre place autour du tas de maïs assis sur un tabouret au milieu du groupe des voisins qui se réunissaient pour « dépouiller » la récolte, c’est-à-dire détacher l’épi de son enveloppe (la peroque).


Cet outil (made à case !) condensait toutes les qualités exigées aujourd’hui par le rigoureux cahier des charges d’une entreprise normalisée. Rapport qualité/prix : imbattable ! Bilan énergétique :quelques « coups » de vin rouge et un panier de châtaignes chaudes appelées « las iroles » ! Impact écologique : sans comparaison car zéro déchet ! Prix de revient du produit final, peut-être, toutes proportions gardées, supérieur à celui craché par les batteuses dans les bennes des tracteurs qui font la noria jusqu’au site de stockage ! Par contre, aucune compensation pour la pénibilité du travail humain, aucune assurance ou très peu et pas plus de retraite au terme d’innombrables trimestres accumulés…Cet instrument de haute technologie avancée, suspendu toujours à son clou, garde le souvenir de ce « maïs du pays » dont on pouvait sans peine compter les grains sur les épis et dont quelques uns, pour la joie des enfants, finissaient dans la cendre chaude du foyer et éclataient en magnifiques « petàlhs »( traduit en bon français par « pop corn »).

Quand le maïs dit « américain » a envahi nos plaines, sa monoculture s’est imposée, les surfaces cultivées se sont agrandies, les machines auto tractées ont remplacé les bêtes de somme, le paysan est devenu un entrepreneur, les organisations professionnelles se sont multipliées, ainsi que tous les sous-traitants de « l’or jaune ». Au beau milieu de cette expansion triomphale quelques « chevelus », un peu rêveurs, firent leur apparition dans des hameaux perdus et furent accueillis au mieux par des sourires condescendants mais souvent par des propos méprisants. La condition économique et professionnelle des agriculteurs évolua grandement. Par contre, le nombre d’exploitations diminua drastiquement ainsi que leur représentation  dans les instances territoriales. Le « pounchoû »  finit ses jours dans la poche d’une vieille veste du grand-père oubliée dans l’étable vide.

Et voilà qu’aujourd’hui, l’Europe aidant, la rotation des cultures et leur diversification peignent nos champs  de couleurs que l’on avait oubliées. De jeunes paysans, bardés de diplômes, conscients de l’impasse dans laquelle s’est engagée une agriculture uniquement soucieuse de rentabilité, mettent tout leur savoir au service de la plante et de la terre. Ainsi, la technique se met au service de la raison et non l’inverse, au profit d’une meilleure qualité de vie du producteur et d’une confiance retrouvée dans notre alimentation. Les sourires dédaigneux ont laissé place à une curiosité sympathique et mêmes les grandes puissances agro alimentaires n’hésitent pas à verdir leurs étiquettes et à se garder pures de tout excès.

L’enfant au « pounchoû» » ne regrette pas d’avoir vieilli. Il constate que le temps d’une existence, il a connu une paysannerie nourrie de l’expérience des siècles qui se contentait d’une autosuffisance précaire mais était devenue incapable de nourrir une nation en majorité citadine. Il ne se permet pas de jeter la pierre à ceux qui ont pris le relais en assurant la quantité nécessaire de pain pour une population de plus en plus nombreuse et mieux nourrie. Enfin, il se réjouit de voir toutes ces recherches et parfois même ces errements aboutir à une culture soucieuse avant tout de l’avenir de la terre et de l’humanité. Vieillir a parfois des privilèges. En particulier celui de ne pas désespérer trop tôt des excès en tous genres et celui de faire confiance en l’Esprit du Créateur qui peut toujours inspirer les fils de la terre !


(1) Appelé aussi « espéroquetto » ou « broque », les spécialistes de la langue béarnaise corrigeront l’orthographe approximative.




1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci de réhabiliter ce petit bout de bois que j'ai aussi utilisé en son temps.

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.