10 février 2016



Sébastien Ihidoy.

Dans chaque Basque sommeille un rêve d’Amérique. En fait, c’est en Sibérie que partit Sébastien quand, jeune prêtre, il rejoignit une équipe de volontaires de la mission de France. La Sibérie, c’est ainsi que les prêtres en attente de nomination désignaient, en plaisantant, le Vic Bilh béarnais, redouté comme réfractaire à l’évangile et tellement éloigné de Bayonne. C’était l’époque où les paysans essayaient d’implanter le fameux maïs américain plus généreux mais plus gourmand en eau et en systèmes d’irrigation que les autres productions. Il fallait pour cela opérer une véritable révolution des esprits et les militants de l’action catholique, accompagnés par ces prêtres, y participèrent et prirent amplement leurs responsabilités. Pour relever le défi de l’évangélisation de cet âge nouveau qui s’ouvrait pour les campagnes, ces prêtres s’investirent sans compter y compris dans l’aide au travail journalier où la sueur et la peine partagée prolongeaient l’homélie et la catéchèse. Encore récemment, lors d’obsèques que je célébrais dans cette région, on me rappelait la place prise par l’abbé Ihidoy dans cette proximité recherchée avec ceux qui s’étaient éloignés de l’Eglise. Pas d’évangélisation sans proximité et solidarité éprouvées. La nouvelle évangélisation actuelle n’échappera pas à ce temps de l’incarnation nécessaire.
Quittons les coteaux ondulés de Lembeye où a pris naissance la légende Ihidoyenne pour affronter la cité des remparts.

C’est à Navarrenx que l’Europe est venue à lui. Après avoir patiemment labouré les six villages de sa paroisse, établi une relation personnelle avec beaucoup de ses paroissiens, étonné bien des jeunes par ses exploits sur le fronton, animé une rubrique sur une radio cantonale, notre curé pensait peut-être récolter paisiblement le fruit de ses multiples contacts personnels dans lesquels il excellait. « Moi, je te rassemble des jeunes ruraux, me dit-il un jour; toi tu te charges de les accompagner dans la réflexion » ainsi est née grâce à lui, l’Ifocap-Adour qui a aidé à l’éclosion d’acteurs et responsables actuels de cette petite région.
Oui, c’est bien l’Europe qui est venue frapper à sa porte sous la forme de ces cohortes de pèlerins de St Jacques qui trouvèrent chez lui, tous les soirs, gîte, soupe et cœur ouvert.  Son presbytère, qui était loin d’être conforme aux normes d’hébergement en vigueur,  est devenu au fil des ans la référence spirituelle que l’on sait. Cet accueil sans visa lui valut quelques surprises désagréables mais n’altéra jamais sa capacité extraordinaire de toujours mettre en valeur l’hôte du moment. Laurence Lacour et d’autres après elle, en ont largement témoigné. Chacun ressortait de chez lui avec le sentiment d’être unique et de compter réellement dans l’histoire des hommes. Pas d’évangélisation sans un respect immodéré pour tout homme et pour toute femme.

La vie paroissiale, la priorité donnée au laïcat, le partage des joies et des peines familiales, la réponse aux innombrables mails des anciens pèlerins ont été le quotidien du curé de Mauléon et de la Soule qui était encore pour lui une terre nouvelle, inconnue mais très vite adoptée. « C’était le type même du prêtre diocésain, sans ignorer toutefois son côté franc-tireur par rapport aux institutions qu’il jugeait trop cléricales. » me disait l’un de ses confrères.

Terme du voyage, retour au pays : Cambo. Le souci de répondre aux attentes de nos contemporains l’ont amené dans ses dernières missions à creuser et à travailler l’apport de certains penseurs actuels et de faire profiter de sa réflexion et de sa sagesse ses paroissiens ainsi que les auditeurs de la radio Lapourdi qui attendaient ses chroniques. « As-tu lu tel article de M. Serres, de J. Cl Guillebaud ? J’ai envie de les résumer à la radio : qu’est-ce-que tu en penses ? » Et nous philosophions un moment au téléphone. Sa parole n’était pas un simple écho répétitif de ses lectures  ou de ses recherches. Elle s’enracinait dans la riche expérience de ces rencontres chaleureuses qui avaient allumé dans l’existence de chacun une sorte de buisson ardent où Dieu se rendait présent. « La vie de tous les jours suffit comme support à ma prière » disait-il. Pas d’évangélisation sans analyse lucide des idées dominantes d’une société. Pas d’évangélisation sans ce cœur à cœur  brûlant avec Dieu et avec nos frères.

Un Basque ne plie pas, il rompt. C’était la devise de son confrère Bernardin Dunate, c’était secrètement la sienne. Sa mort brutale alimentera encore le souvenir de son regard ouvert et de son sourire heureux. Permettez-moi de formuler un souhait à l’adresse au moins de mes compatriotes de Navarrenx : Vous savez combien sont nombreux dans notre canton ceux qui tressent des couronnes sur les têtes de Sébastien et de Bernardin, et ils le méritent bien. Mais ne serait-ce pas mieux de resserrer aussi les liens avec Celui qui était la source de leur Foi et de leur passion ? J’ai envie de leur dire : « Ne leur volez pas leur sacerdoce en admirant l’homme qu’ils étaient et en négligeant Dieu qu’ils adoraient! » 

Sébastien, tu ne nous serreras plus la main en broyant nos phalanges sensibles. Maintenant, serre-nous plutôt sur ton cœur qui bat de nouveau, branché pour toujours sur celui du Père. Comme tu le disais souvent : « Voilà l’homme ! »Jendia, Jendé !!  



"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.