23 décembre 2015

Beau Noël malgré un ciel privé d’étoiles !


Dans l’Evangile de Luc, les anges annoncent aux bergers la naissance d’un « Sauveur, Christ et Seigneur ». Autant dire la venue au monde de Celui qui sera reconnu comme Fils de Dieu après la Résurrection. Les Juifs n’en demandaient pas tant, ils se seraient contentés d’un nouveau Gédéon ou d’un super Judas Macchabée pour renvoyer les Romains chez eux et refaire l’unité du Royaume du grand David. Le contexte historique de la nativité n’avait rien à voir avec le décor bucolique de la crèche de St François d’Assise. Violences, massacres de la part des occupants, factions opposées au sein du peuple élu étaient le pain quotidien des pauvres d’Israël. Les Romains, eux, avaient leurs divins Césars et s’en contentaient de gré ou de force. On attendait un puissant guerrier et on leur annonce un bébé : 

 « Vous le reconnaîtrez à ce signe : vous trouverez un nouveau-né couché dans une mangeoire ».

 On pourrait croire à une plaisanterie !

D’ailleurs, comment ce Dieu promis pouvait-il contenir dans une vie humaine même si l’homme était sensé être la créature qui lui ressemblât le plus ? Des éclairs de divinité éclateront dans la vie de Jésus adulte, ils transperceront sa nature humaine et se manifesteront dans ses paroles (« Aucun homme n’a parlé comme lui ») et dans ses actes
 (« Personne ne peut faire ce que tu fais si Dieu n’est pas
 avec lui »). D’où la question : Qui est-il Celui-là à qui les vents et la mer obéissent ou qui pardonne les péchés ?

Or c’est bien un nouveau-né sans autre précision qui est le seul signe donné.
C’est à croire que Dieu n’est à son aise dans l’humanité de Jésus que lorsqu’il est enfant ou… mourant. Pas de paroles chez le bébé de la crèche sinon des cris ou un charmant babillage, pas de signes accomplis par Lui. Le mourant du Golgotha, quant à lui, parle peu. Il pousse un cri. Il ne descend pas de la Croix comme il y est invité. Donc pas de miracle. Et pourtant le soldat s’exclame : « Celui là est Fils de Dieu » !

La stature de Jésus adulte pouvait porter à confusion et laisser croire à ses auditeurs et à ses disciples que son pouvoir émanait de Lui (« Il parlait comme un homme qui a autorité »). Alors les éclats de sa divinité qui traversent sa vie étaient nécessaires pour nous rappeler qu’il était habité tout entier par le Père. Le texte laisse penser que Dieu se manifeste sans effort dans l’enfant et dans le mourant parce que chez l’un comme chez l’autre il n’y a pas d’équivoque : ils sont sans puissance, fragiles, dépendant entièrement de l’amour qui les entoure, aux antipodes de l’idée d’un Dieu tout puissant qui traîne encore dans nos têtes et cela d’autant plus que le contexte de ce Noël 2015 ressemble fort à celui de Bethléem. Comme on aimerait un Dieu qui montre les dents, qui sonne le réveil d’une chrétienté endormie et qui organise la riposte de ses fidèles outragés !

Rien de tout cela. Un simple enfant sans défense à la merci d’un barbare coup d’épée. Mais en même temps le signe de l’irrésistible force de la vie qui germe dans la moindre des anfractuosités, qui se glisse dans les fractures de l’histoire, qui fait jaillir une musique nouvelle après les marches funèbres, qui donne au quotidien répétitif et terni l’éclat du renouveau.
Un Dieu qui entre dans nos limites humaines, qui se soumet à la Loi immémoriale de la lutte pour la survie, la loi de la mort infligée aux autres pour défendre sa vie. Cette loi de la nature, Jésus l’accepte et l’inverse. Avec Lui elle devient « surnaturelle », elle est désormais la loi de la vie et de la mort offertes en témoignage d’une Vie Autre. « Ma vie nul ne la prend… ». Nous avons le choix entre la survie acquise au prix de toutes les terreurs et de toutes les morts et la Vie  en plénitude accueillie dans le don et le pardon.

Dans les combats de ce monde,  le chrétien ne connaîtra jamais le triomphe du combattant victorieux. Jamais les puissants de ce monde ne lui accorderont une place attitrée et une voix reconnue dans les débats importants qui engagent l’Histoire. Celle de Bethléem, elle, se renouvelle. Le disciple du Christ devra se contenter d’une crèche au fond de l’annexe. Malgré cette marginalisation officielle, personne ne pourra lui voler la joie du veilleur qui sous les ruines et les décombres des explosions de cette terre scrutera patiemment le léger fendillement de l’humus qui annonce une nouvelle pousse, le désir enfoui sous des tonnes d’apparences de tant de ceux qui l’entourent et qui n’attendent que la visite d’un ange  pour laisser échapper leur soupir le plus profond, leur soif non étanchée d’une vie nouvelle.

Beau Noël aux veilleurs des nuits privées d’étoiles (1)
                                                          
      

(1) Allusion au titre de Thomas Merton : « La nuit privée d’étoiles »

1 commentaire:

ann33 a dit…

Texte superbe et comme toujours nous sommes interpellés par cette nuit sans étoiles mais non sans espoir ......
Merci à Jean

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.