19 octobre 2015

Un adolescent d’aujourd’hui. (1)

Ayant connu les soubresauts juvéniles de 68, lors de mes années estudiantines vécues dans l’Université « rouge » de Toulouse, j’avais oublié que chaque génération avait besoin de faire sa crise d’adolescence.
La nouvelle génération d’adultes, parvenue « aux commandes » de notre société et de nos institutions, a grandi dans un monde qui avait perdu sa boussole morale et religieuse mais qui, par contre, s’était donné un dieu aussi séduisant qu’implacable : le progrès. Un progrès divinisé qui, par définition, n’admettait aucune limite et dont la domination technocratique a provoqué une bonne part des désastres écologiques actuels, comme le fait remarquer l’encyclique 
« Laudato Si.» (N° 108).
Conséquence de ce bouleversement sans précédent: le Dieu des commencements à l’origine de la création et le Dieu de la fin, celui du « ciel », avaient perdu toute utilité et cela d’autant plus que le paradis devait advenir sans eux, « ici et  maintenant ».
Or la génération actuelle a appris, à ses dépens, que le fameux progrès est en train d’épuiser la planète et que les dérèglements climatiques n’attendront pas des milliers d’années pour peindre en noir la planète bleue. La « maison commune » brûle et les dégâts sont déjà irréparables ! Quant au vide moral et social qui accompagne les avancées de notre société, il ne peut qu’accentuer le vertige qui saisit nos jeunes contemporains.
Il faut se rendre à l’évidence : le progrès n’est pas un dieu qui procure nécessairement le bonheur des hommes. Et ces jeunes constatent, que dans un monde où tout est marchandisé et financiarisé, ce progrès n’est pas entre les mains des sages mais dans celles du marché et des marchands. Et même si les sages  en avaient la maîtrise, ceux-ci n’en resteraient pas moins des hommes faillibles.
Pour une majorité d’entre eux, il n’y a plus d’issue à ce monde, ni avant, ni après ; ils savent désormais, que le paradis sur terre n’existera plus. Aussi, quand ils pensent à la vie, à la mort, au bonheur,  ils sont complètement perdus et ne peuvent se fier qu’au scintillement fugitif de leurs idoles éphémères.
Alors, de façon paradoxale et inattendue, une partie d’entre eux appelle Dieu au secours. 
Et Dieu revient un peu partout dans le monde, malheureusement sous les formes les plus archaïques, les plus primaires, les plus dangereuses. Nous voyons des jeunes diplômés, des garçons et des filles sains de corps et d’esprit se jeter dans les filets  de mouvements extrémistes qui rejettent violemment tout ce que l’époque contemporaine nous a apporté, pour se réfugier dans des idées et des comportements qui sont censés être vrais, parce qu’ils sont anciens. 
Bien entendu, quelques arrière-boutiques politiques profitent de l’aubaine pour leur laisser croire qu’il  y a eu un âge d’or où société et religion conjuguaient leurs efforts pour bâtir la cité idéale.
Ceux qui réfléchissent encore sont désarçonnés par le choix tragique qui se présente à eux : le vide ou la violence. « Rien avant, rien après, pas grand-chose pendant la vie » : c’est la tentation du vide. 
« Détruisons ce monde pervers et perdu, établissons une loi divine impitoyable et universelle » et  c’est la fascination de la violence sacrée. Ce discours se propage en clair chez les fanatiques musulmans mais par une sorte de rivalité mimétique, il trouve des oreilles attentives dans les autres religions. « Bannissons la modernité, revenons aux fondements » est le mot d’ordre, même si l’on fait un tri bien sélectif dans ces dits fondements.
Chez certains jeunes catholiques, ce rejet d’un monde moderne perverti jette la suspicion sur l’ensemble de la génération précédente (celle du Concile Vatican II) accusée d’avoir vidé les églises par des compromissions excessives avec l’air du temps et d’avoir dangereusement
 « flirté » avec les valeurs séculières. Ils exhument avec une délicieuse frénésie tout ce qui porte le cachet de l’ancien, le confondant avec l’authentique, et baptisent le tout au nom de la tradition vivante de l’Eglise. Sans le vouloir, ils prennent rang dans la longue liste de tous ceux qui inventent les choses pour la deuxième fois. Assistons-nous à une nouvelle crise d’adolescence ? L’expression semble mal appropriée pour être appliquée à une Eglise qui a défié les siècles. A moins qu’elle ne soit le gage de son éternelle jeunesse !
Le principe de réalité, cher au Pape François, rappellera peut- être un jour à nos jeunes successeurs que, lorsqu’on a quatorze ans, le père n’a jamais raison et s’est trompé sur toute la ligne. Lorsqu’on atteint l’âge de trente ans, il arrive que l’on reconnaisse que « papa avait quelquefois raison ». Il ne faudrait pas qu’ils attendent trop pour se dire : « Et si l’on demandait à papa ce qu’il en pense » !

(1) François Mauriac, en son temps, avait intitulé un de ses ouvrages " Un adolescent d’autrefois"

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.