05 février 2014


La laïcité à la béarnaise


A l’occasion du centenaire de la séparation des Eglises et de l’Etat, un colloque se tenait dans l’Abbaye-école de Sorèze à l’initiative, il faut le noter, d’une religieuse  (Octobre 2004). Les  représentants de diverses familles de pensée laïques ou religieuses s’étaient donné rendez-vous et avaient confronté leurs analyses sous la présidence d’un éminent historien: René Rémond. Après avoir écouté tous les orateurs, il fit une magistrale synthèse des débats et  concluait, qu’après avoir traversé bien des périodes tourmentées, la société française pouvait enfin connaître le temps d’une«laïcité apaisée ».

Quatorze ans plus tard, le diagnostic est-il le même ?
Il semble que de lourds nuages viennent noircir l’horizon « de ceux qui croyaient au ciel et de ceux qui n’y croyaient pas ».
La montée de la mouvance islamiste de part le monde et quelques coups d’éclats de fanatiques dans notre pays ont réveillé la suspicion à l’égard de toutes les religions. On  s’est empressé de stigmatiser tout ce qui pouvait ressembler à des signes religieux dans le vaste espace public.  On a proclamé haut et fort que la religion ne devait pas franchir la sphère de la vie privée et de la conscience individuelle. Ce raidissement officiel, tout à fait compréhensible quand la paix publique est en jeu, a provoqué, par effet de balancier, un sentiment de discrimination parmi les croyants. Ils  ne comprennent pas en quoi l’affirmation de leurs convictions religieuses peut gêner leur participation au bien commun.

Les choses auraient pu en rester là. Mais nos gouvernants, grisés par une frénésie de légiférer sur tout, ont voulu remettre en cause quelques principes qui fondaient jusqu’ici la société et qui méritaient un autre traitement que celui d’une bataille politicienne et partisane.

Tout ceci se passe sur fond d’ébranlement général des valeurs consécutives à l’effacement des idéologies et au brouillage de toute perspective d’avenir dû à une crise économique qui exacerbe les clivages. Et ce manque de repères assurés pousse les jeunes générations à adhérer à des visions du monde plus tranchées susceptibles de justifier un idéalisme intransigeant.

De la suspicion à l’incompréhension, de l’incompréhension à la thèse du complot et au délit de persécution, les réseaux sociaux franchissent allègrement le pas. Tout est bon pour accuser les religions liberticides de maintenir les sociétés sous l’étouffoir de l’obscurantisme. Tout est bon pour débusquer le travail de sape des lobbies antireligieux qui organiseraient sous cape, sous prétexte de respect et de dignité de l’individu, une dégénérescence de l’humanité. Entre le déni de tout héritage religieux et la soumission à une tradition imposée y-a-t-il une autre posture ?

Comment se pratique la laïcité dans de nombreux villages du Béarn et dans bien d’autres communes rurales, du moins en ce qui concerne la religion catholique?
Les municipalités mettent un point d’honneur à restaurer et à entretenir des églises. Celles-ci le cas échéant ouvrent leurs portes à des manifestations artistiques, après accord préalable des parties concernées sur le contenu  et le déroulement des ces évènements. Quand un curé est nommé dans une paroisse, il ne tarde pas à rendre visite aux maires des villages qui la composent. Il n’est pas rare, à l’occasion des obsèques de voir le premier magistrat, qui est le seul à connaître tous les habitants, prendre la parole au début ou en fin de cérémonie pour évoquer la vie du défunt. Et quand une paroisse a besoin d’une salle plus vaste pour des activités occasionnelles, elle se tourne vers la mairie et obtient, en général, l’usage des locaux comme les autres associations. Lorsque la secrétaire paroissiale est en même temps responsable du centre sportif municipal, personne ne s’offusque de savoir qu’elle détient les clefs de l’église et de la salle de gymnastique.

Quel intérêt aurait-on à prêcher je ne sais quelle croisade ou à remettre en cause cette laïcité apaisée et courtoise qui s’exerce dans le respect des prérogatives de chacun ?
Prenons garde : une seule étincelle peut rallumer de vieux brasiers. Le mépris ou l’arrogance peuvent détériorer très vite ce capital de sympathie que les Eglises avaient su patiemment tisser entre elles et une majorité de la population de nos campagnes depuis que chrétiens et laïques avaient partagé les horreurs des dernières guerres et la construction de l’Europe. On pourra objecter que l’Evangile n’a jamais été consensuel et que Jésus a vomi les tièdes. Effectivement, il n’a pas mis sa langue dans sa poche, mais il a remis l’épée dans le fourreau.

Que peut-on faire ? 
Imiter le regretté René Rémond. Personne, à l’époque, n’a contesté son discours sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Parce qu’il était compétent dans son domaine professionnel et intelligent dans l’appréciation des situations et d’autrui, nul ne lui reprochait d’être croyant et de le dire ouvertement, sans ostentation et sans polémique inutile.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.