09 juin 2011

On l’appelle Djou :


Vingt quatre ans d’enthousiasme, un sourire lumineux, des yeux pétillants, de chaleureuses embrassades à chaque retrouvaille. Julia accumule licence et masters, sillonne de stage en stage l’Amérique du Sud et aimerait mettre ses compétences au service d’une ONG. L’idéal de nos 20 ans mais, numérisé, informatisé, modernisé.

Je lui offre, avec précaution, une petite croix, souvenir de Jérusalem, en lui disant : « Si tu ne penses pas à LUI, tu penseras au moins de temps en temps à moi ». D’un seul coup elle devient très sérieuse. Le sujet ne supporte pas la désinvolture et surtout elle ne voudrait pas me faire de la peine.

« J’ai été au catéchisme, j’ai étudié la religion. Je n’ai pas fait ma Confirmation, car je ne me sentais pas prête. Maintenant, j’adhère aux valeurs de l’Evangile et du Christianisme mais je me suis éloignée de l’Eglise. Trop d’hypocrisies, de volonté de puissance, de mondanités… »

Je sens bien que la liste des griefs pourrait se prolonger…

« Julia, je suis étonné qu’une jeune de ton âge ressasse encore ces poncifs éculés. Je les entends depuis l’époque de mon séminaire. Il faut croire qu’ils sont vrais et qu’ils dureront autant que l’Eglise.

Je te répondrai par une image. Quand tu es en montagne et que tu meurs de soif, tu aperçois un de ces vieux abreuvoirs bâtis par les bergers avec les matériaux rustiques qu’ils avaient sous la main. Un simple morceau de tuyau tout rouillé, percé, obstrué par la végétation laisse échapper un mince filet d’eau. Que fais-tu ? Vas-tu refuser de boire sous prétexte que le tuyau ne répond pas aux normes de l’hygiène ? Vas-tu lui reprocher de n’être pas en acier inoxydable et rutilant ?

Il en est de même pour l’Eglise. Vingt siècles de services et de sévices l’ont abîmée, usée, obstruée, tordue. Elle a dû supporter toutes les saisons, la brûlure des déserts, le gel des hivers. Elle a traversé tous les régimes et toutes les cultures oubliant parfois de se débarrasser des mauvaises habitudes empruntées ça et là. Mais l’Eglise te donne l’eau pure du Christ, son Evangile. Sans elle, les paroles de ce crucifié galiléen ne seraient jamais parvenues jusqu’à nous ; sans elle, la source se serait perdue dans les sables de l’histoire ; sans elle, ceux et celles qui sont privés des synthèses magistrales et des analyses pertinentes auraient depuis longtemps perdu la perle de l’Espérance. L’Eglise, malgré ses bavures, ses turpitudes et ses lâchetés accueille toujours ces « affamés d’autre chose » qui ne se contentent pas des bonheurs frelatés de supermarchés.

Elle distille une Parole qui n’est pas d’elle et qui la crucifie dans le même temps qu’elle la dispense. Et c’est pourquoi, elle ne sera pas jugée sur sa pureté et ses hauts faits mais sur les cicatrices encore ouvertes de ses blessures et de sa compassion pour ceux qui ne comptent pas. »



« Je n’avais pas pensé à cela… » répond Djou.



« Mais je te rassure Djou, ma comparaison avec le tuyau est mauvaise. L’Eglise n’est pas un simple tuyau. Elle n’est pas un instrument mais un sacrement : un signe visible, lisible et nourrissant. Alors sois exigeante avec elle mais, comme tu l’es avec ta maman, à laquelle tu restes si attachée… »



Ajout tardif : « Je vais te paraître ignoble mais à propos d’hypocrisie, la vie t’apprendra qu’elle a parfois du bon. Il t’arrivera un jour d’être dégoûtée par le décalage entre la façade que tu montreras aux gens et le désordre qui régnera à l’intérieur de toi-même. Ce jour là ne t’empresse pas de démolir la devanture pour la mettre en conformité avec l’arrière boutique. Il arrive que l’image que nous renvoyons aux autres nous évite la ruine totale de notre être et qu’elle soit la dernière pierre sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour nous reconstruire.

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"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.