29 juin 2011


Variations sur le Pain, la Manne, la Parole, la Vie, le Corps et le Sang…



Le discours sur le pain de Vie (Jn6) présente un aspect tellement cru que même les contemporains de Jésus ont eu du mal à l’avaler : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair… si vous ne mangez ma chair, si vous ne buvez mon sang… celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi… »

« Comment cet homme là peut-il nous donner sa chair à manger ? » rétorquent les auditeurs !



La liturgie de la fête du Saint Sacrement nous offre, comme en avant goût, le texte du livre du Deutéronome (8, 2-3 ;14-16) qui relate l’épisode du don de la Manne dans le désert.

Rappelons-nous que cet aliment inusité, comme d’ailleurs l’eau du rocher frappé par Moïse, est donné à la suite des commandements c'est-à-dire de la Parole de Dieu sur le Sinaï. Ce qui permet à l’auteur de déclarer que ce don est fait pour rappeler à l’homme « qu’il ne vit pas seulement de Pain, mais de toute Parole issue de la bouche de Dieu ». Le parallèle entre la manne et la Parole ou encore la Loi est établi.



A l’époque du prophète Ezéchiel la Manne a disparu depuis longtemps. Et voilà qu’il reçoit l’ordre de manger un rouleau de la Parole. « Fils d’homme nourris-toi, rassasie-toi de ce volume que je te donne » (Ez 3,1-2). Ici, c’est la Parole elle-même qui se fait nourriture. Avant de manger l’Agneau de la Pâque chacun se nourrissait de la parole de Dieu inscrite dans l’histoire du peuple que rappelait le père de famille. Ecouter et lire maintiennent une certaine distance et ne suffisent plus. Manger et boire nous font devenir nous-même parole vivante.



Nous savons par ailleurs que le don de cette Parole ne cessera pas comme celui de la manne, mais que la Loi ne parviendra jamais à rassasier l’homme, y compris quand on lui donnera les attributs de la Sagesse (Sir 24, 21-22).




Jésus, le Verbe, nous dit « Mangez mon Corps et buvez mon Sang, prenez ma Vie » car ils sont offerts sans le truchement du symbole, de la transcription, de la transmission et surtout sans l’obstacle du péché du récepteur qui vient en fausser le sens. Par le fait même ce Pain nouveau peut prétendre nous rassasier. « Ils mangèrent et furent rassasiés » (Mt 14,20)



Le lien de la Manne, de la Loi, de la Vie avec la Parole est primordial. Il rejoint notre expérience humaine.

Que serions-nous sans les paroles échangées entre un homme et une femme, celle de notre père et de notre mère, qui un jour ont décidé d’accueillir l’enfant à naître que nous étions ? Que serions-nous sans ces innombrables paroles prodiguées par eux, par nos maîtres d’école, par l’Eglise qui, au-delà des actes essentiels de l’existence, nous ont appris à vivre en Homme ? Seul l’être humain dans le règne animal peut dire qu’il a été voulu et désiré et qu’il n’est pas seulement le fruit d’un acte instinctif de conservation de l’espèce. C’est là toute la différence entre exister et vivre. Exister n’exige pas la parole. Vivre à hauteur d’homme l’impose. Nos vaches en stabulation s’alimentent ensemble, mais en silence. L’être humain (surtout français !) prend un repas durant lequel il parle et c’est cette parole déliée qui lui fait dire parfois «qu’il a passé un bon moment en agréable compagnie… »



Paul nous dit bien que le Baptême, comme tout sacrement est un bain (un acte) « qu’une parole accompagne » (Ep 5,26) Notre Eucharistie sera donc aussi un repas qu’une Parole accompagne (« Ceci est mon corps… ») et c’est bien cette Parole Vivante qui, non seulement nous fera passer de l’existence à la vie, mais encore à la Vie en Dieu, appelée autrement « Vie éternelle ». C’est pour cela aussi qu’on distingue sans jamais les dissocier les deux tables : celle de la Parole et celle du Pain.





Un texte, fût-il « Parole de Dieu », comme un plat, prend toute sa saveur quand il prend place dans un contexte ou un repas… « Heureux les invités au repas du Seigneur ! »



09 juin 2011

On l’appelle Djou :


Vingt quatre ans d’enthousiasme, un sourire lumineux, des yeux pétillants, de chaleureuses embrassades à chaque retrouvaille. Julia accumule licence et masters, sillonne de stage en stage l’Amérique du Sud et aimerait mettre ses compétences au service d’une ONG. L’idéal de nos 20 ans mais, numérisé, informatisé, modernisé.

Je lui offre, avec précaution, une petite croix, souvenir de Jérusalem, en lui disant : « Si tu ne penses pas à LUI, tu penseras au moins de temps en temps à moi ». D’un seul coup elle devient très sérieuse. Le sujet ne supporte pas la désinvolture et surtout elle ne voudrait pas me faire de la peine.

« J’ai été au catéchisme, j’ai étudié la religion. Je n’ai pas fait ma Confirmation, car je ne me sentais pas prête. Maintenant, j’adhère aux valeurs de l’Evangile et du Christianisme mais je me suis éloignée de l’Eglise. Trop d’hypocrisies, de volonté de puissance, de mondanités… »

Je sens bien que la liste des griefs pourrait se prolonger…

« Julia, je suis étonné qu’une jeune de ton âge ressasse encore ces poncifs éculés. Je les entends depuis l’époque de mon séminaire. Il faut croire qu’ils sont vrais et qu’ils dureront autant que l’Eglise.

Je te répondrai par une image. Quand tu es en montagne et que tu meurs de soif, tu aperçois un de ces vieux abreuvoirs bâtis par les bergers avec les matériaux rustiques qu’ils avaient sous la main. Un simple morceau de tuyau tout rouillé, percé, obstrué par la végétation laisse échapper un mince filet d’eau. Que fais-tu ? Vas-tu refuser de boire sous prétexte que le tuyau ne répond pas aux normes de l’hygiène ? Vas-tu lui reprocher de n’être pas en acier inoxydable et rutilant ?

Il en est de même pour l’Eglise. Vingt siècles de services et de sévices l’ont abîmée, usée, obstruée, tordue. Elle a dû supporter toutes les saisons, la brûlure des déserts, le gel des hivers. Elle a traversé tous les régimes et toutes les cultures oubliant parfois de se débarrasser des mauvaises habitudes empruntées ça et là. Mais l’Eglise te donne l’eau pure du Christ, son Evangile. Sans elle, les paroles de ce crucifié galiléen ne seraient jamais parvenues jusqu’à nous ; sans elle, la source se serait perdue dans les sables de l’histoire ; sans elle, ceux et celles qui sont privés des synthèses magistrales et des analyses pertinentes auraient depuis longtemps perdu la perle de l’Espérance. L’Eglise, malgré ses bavures, ses turpitudes et ses lâchetés accueille toujours ces « affamés d’autre chose » qui ne se contentent pas des bonheurs frelatés de supermarchés.

Elle distille une Parole qui n’est pas d’elle et qui la crucifie dans le même temps qu’elle la dispense. Et c’est pourquoi, elle ne sera pas jugée sur sa pureté et ses hauts faits mais sur les cicatrices encore ouvertes de ses blessures et de sa compassion pour ceux qui ne comptent pas. »



« Je n’avais pas pensé à cela… » répond Djou.



« Mais je te rassure Djou, ma comparaison avec le tuyau est mauvaise. L’Eglise n’est pas un simple tuyau. Elle n’est pas un instrument mais un sacrement : un signe visible, lisible et nourrissant. Alors sois exigeante avec elle mais, comme tu l’es avec ta maman, à laquelle tu restes si attachée… »



Ajout tardif : « Je vais te paraître ignoble mais à propos d’hypocrisie, la vie t’apprendra qu’elle a parfois du bon. Il t’arrivera un jour d’être dégoûtée par le décalage entre la façade que tu montreras aux gens et le désordre qui régnera à l’intérieur de toi-même. Ce jour là ne t’empresse pas de démolir la devanture pour la mettre en conformité avec l’arrière boutique. Il arrive que l’image que nous renvoyons aux autres nous évite la ruine totale de notre être et qu’elle soit la dernière pierre sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour nous reconstruire.

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.