06 juillet 2010

Le bon chemin




A l’occasion de l’année jacquaire, le Conseil Général des Pyrénées Atlantiques a voulu honorer la petite ville de Navarrenx, halte très appréciée des pèlerins de Compostelle. Un débat réunissait deux Jacques célèbres : Jacques Rigoud, qui a assumé de hautes

fonctions dans le domaine de la culture et de la communication, et Jacques

Barrot, ancien commissaire européen et membre du Conseil Constitutionnel.

Ils étaient accompagnés d’une journaliste écrivain, Alix de Saint André et de

l’abbé Ihidoy, ancien curé de la cité et initiateur de l’accueil des

marcheurs. Thème de la table ronde : « Le bon chemin. »



Comme il fallait s’y attendre, chaque intervenant a présenté le sien comme

le « bon « , Jacques Rigoud défendant celui de la lenteur et de la durée avec

des mots soigneusement choisis et des analyses d’une grande sagesse. Sous les

pierres du chemin de Jacques Barrot pointait la passion, politique bien sûr,

qui se nourrit de vastes horizons. La journaliste, la seule à avoir parcouru

l’itinéraire et cela par trois fois, fit l’éloge des sentiers de traverses

où l’on se retrouve toujours, tandis que Sébastien Ihidoy, n’écoutant que

son cœur de pasteur rassembleur, qualifiait tous ces routiers de

« chercheurs d’une étoile. » Mais de quelle étoile ?



Tous s’accordaient à dire, comme le poète Machado, que le chemin se

fait en marchant :

« Caminante son tus huellas,

el camino, y nada mas…

se hace el camino al andar.

Al andar se hace el camino… » et si tu regardes derrière toi, tu vois une

trace que nul autre que toi n’a pu fouler...



Tous reconnaissaient que le chemin était l’occasion de rencontres multiples

et riches dans leur simplicité. Une petite voix me murmurait : « Je suis le

Chemin… «. Le Christ ne dit pas « Je vous montre le Chemin, allez-y,

empruntez-le. » Il dit bien « Je suis… » Autrement dit, le chemin est avant

tout rencontre. C’est dans la rencontre que tu vas découvrir un chemin

infini vers toi, vers moi. C’est l’histoire de tout amour. « Quitte ton

pays » dit Dieu à Abraham et Marie Balmary ajoute en psychologue : « Va vers

toi. »



Un regret, j’aurais aimé entendre davantage deux mots : solitude et silence.



Pour avoir parcouru cette route il y a 40 ans, à l’époque où faute de

« clients » (nous étions trois malheureux bipèdes), il n’y avait ni accueil

organisé, ni signalisation, ni hébergement, je suis toujours ébahi par ces

grappes de pèlerins qui cheminent ensemble. Comment rencontrer l’autre

réellement et durablement, si chacun n’a pas fait au préalable ce chemin

intérieur qui consiste à se débarrasser des trompeuses apparences qu’il

avait fabriquées jusque-là pour affronter le réel ?



Seuls le silence et la solitude prolongés permettent cette dure exploration de soi-même,

ce délestage intérieur, cet allégement indispensable. Dieu merci, il y a ces rudes journées de chaleur où il est impératif d’économiser les paroles inutiles, et ces petits matins où la nature ne s’offre qu’à ceux qui savent l’écouter.



Et pendant que ces experts devisaient, les remparts de la cité nous

toisaient du haut de leur histoire séculaire et de leur mépris immobile.

« On ne passe pas ! » En effet vous ne pouvez entrer et sortir de Navarrenx

que par deux issues. Certains habitants étouffent dans l’enceinte où les

yeux se croisent en angle droit, où la rumeur revient en écho amplifié, où

toute idée nouvelle doit faire allégeance aux portes fortifiées.



Il n’y a, parfois, qu’une solution pour trouver le bon chemin : sortir par

le haut, profiter des courants ascendants, prendre son envol, et on s’aperçoit

alors, que la cité bastionnée est une étoile tombée du ciel, à jamais

pétrifiée…Il lui reste à retrouver le bon chemin pour rejoindre le campus stellae…
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.