05 mars 2010

Chemin de mort et de résurrection.

La paroi est verticale, le rocher lisse. Au beau milieu de ce décor minéral, suspendue dans le vide, une magnifique fleur en forme de grappe. C’est la saxifrage qui « brise le rocher ». Par quel miracle la semence a-t-elle pu profiter d’une minuscule anfractuosité de la pierre pour y germer, pour se développer et pour nous offrir une telle splendeur, malgré cette exposition à tous les dangers climatiques ?

Ainsi en est-il de la vie. A regarder lucidement son évolution, elle avait tout au départ pour échouer. Ce que l’on pourrait appeler les « forces de la mort » aurait dû éliminer dès le départ cette chose incongrue qui fragilisait la matière. Et si la nature n’y était pas parvenue assez tôt, parions que la violence des hommes, à la longue, se serait chargée de la besogne. Mais, envers et contre tout, la vie résiste et reprend le dessus…

Il en est de même pour les humains. Les cataclysmes peuvent s’acharner, les malheurs s’accumuler, la mort peut triompher. Après un temps d’accablement, l’être humain se redresse, relève les ruines, engendre de nouveau, se projette en avant, comme mû par un instinct de survie qui le dépasse.

On peut donc dire que chacun peut faire, quotidiennement, une expérience de résurrection qui défie la loi de la dissolution universelle.



Cette vision optimiste des choses ne résiste pas, cependant, aux faits. Sauf à penser qu’il y aura éternellement une sorte de flux et reflux de la vie qui fera que chaque vague s’échouant sur la plage mortelle alimentera la suivante et cela indéfiniment,- autrement dit, sauf à penser que le temps est éternel ce qui est contradictoire- la loi de la mort triomphera. Cela, les plus lucides (ou les plus désespérés) des penseurs en ont fait l’amère constatation. Certains ont trouvé cet instinct de vie tellement insensé, que pour eux, la tâche véritablement humaine serait de le contrecarrer. « Pourquoi avoir des enfants, si c’est pour la mort ? » disait une philosophe engagée du siècle dernier. Même ceux qui croyaient que la disparition des uns préparait un paradis pour les suivants reviennent de leur utopie. Le progrès qui avait allumé tant d’espérances donne aujourd’hui le frisson et n’enchante plus notre génération

.

Le peuple de la Bible croyait en une survie collective du peuple. Ce n’est qu’au contact des cultures grecques qu’il a commencé à entrevoir une immortalité individuelle. C’est surtout à partir de la révolte des martyrs d’Israël (2ème siècle avant Jésus) qu’il a compris que Dieu ne pouvait pas abandonner ceux qui avaient donné leur vie pour Lui. De plus, on racontait l’histoire de ces grands héros antiques qui n’avaient pas connu la mort mais avaient été enlevés directement au ciel. C’est dans ce contexte qu’intervient la mort de Jésus.

Or, chacun savait que l’avènement de Jésus avait inauguré une ère nouvelle. Sa prédication, ses guérisons, ses miracles étaient un défi à la loi de la mort et l’on se prenait à penser que, désormais, celle-ci était vaincue, que la résurrection était la norme nouvelle. Le pardon de Dieu que Jésus proposait introduisait les croyants dans une communion définitive avec le Père. Malheureusement ce pardon se heurtait au refus. Jésus est arrêté ; Il passe en procès. De toutes les façons, s’Il était vraiment envoyé par Dieu comme Il le prétendait, Celui-ci viendrait le délivrer. Il est condamné. Dieu va-t-il l’enlever au ciel comme ses grands aînés ? Non. Alors, puisque Dieu l’a abandonné, Il ne mérite même pas la mort d’un prophète. Il ne sera pas lapidé mais crucifié hors de la Ville. Sentence de mort infamante, s’il en est !

Jésus meurt. Sera-il introduit « dans le sein du Père » comme Jean Baptiste et tous les autres martyrs d’Israël ? Il aurait ainsi accompli son destin personnel. Mais qu’en serait-il du nôtre ?

Quelques jours après, les apôtres font l’expérience qu’Il est Vivant. Il leur demande de prendre sa suite, de manifester l’amour de Dieu aux hommes, de les rétablir dans la communion de vie divine. Il était pourtant bien mort ! Et les disciples repensent à ses dernières paroles : « Père pardonne leur… » Ils comprennent que sa mort n’était pas un assassinat, encore moins un suicide, mais le signe de ce pardon qui avait été refusé et qui allait jusqu’au bout de sa logique. Il pardonnait le refus même du pardon et sa résurrection rendait actuel et éternel ce trop-plein d’amour divin. Encore fallait-il désormais y consentir. Ce serait la tâche des apôtres d’y préparer ceux et celles qui se posaient la question du sens de leur vie.



« C’est la vie ! » dit on d’un ton désabusé, quand la mort fait son œuvre. « C’est la vie ! » répète-t-on, quand elle « reprend le dessus ». Ainsi nos « petites » résurrections, toujours partielles, accomplies dans l’élan de la création hésitent entre impuissance et résistance. Désormais, elles sont emportées et transfigurées par la « grande » Résurrection du Christ qui a déposé notre mort dans son tombeau. Que s’ouvre la Pâque ! Que nos cœurs se dilatent ! Alléluia !



NB Ceux ou celles qui trouveront ce chemin de résurrection un peu aride se souviendront que les déserts et les grandes rocailles nous réservent la surprise de fleurs splendides. Elles demandent une recherche patiente…
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.