29 décembre 2010

« Cherche logement sans confort avec vue sur l’Etoile » ou les paradoxes de Noël.




L’Invisible se rend visible. Mais comment ? Dieu se fait homme, fils de charpentier. On aurait pu s’attendre à mieux.

Le Fils de Dieu naît d’une vierge. La Parole fracassante du Sinaï se fait faible vagissement de nourrisson. L’obscurité de la nuit du monde s’éclaire d’un astre nouveau. Le silence des parents de l’enfant et des bergers est troublé par la louange de « troupes célestes d’anges ».



Dieu épouse l’humanité,

La Parole se tait,

Le silence chante,

La nuit s’éclaire.



Devenu adulte, l’enfant de Nazareth cultive encore le paradoxe. Au muet qu’Il guérit, Il commande la discrétion. Devant la couronne qu’on Lui propose, Il décline l’offre. A la face éblouissante de la Transfiguration succède le visage tuméfié du crucifié. Pourtant, Il sait imposer le silence aux puissances du mal. Il élève la voix quand Il chasse les vendeurs du Temple, lorsqu’Il apostrophe scribes et pharisiens, ou qu’Il enseigne les foules. Il se réfugie dans la solitude de la montagne et apparaît quand on ne l’attend pas.



Alertée par le deuxième rapport de Mgr Dagens et en conformité avec Rome qui s’inquiète d’une éclipse prolongée de la Foi en Occident, l’Eglise de France lance le mot d’ordre de la visibilité en contestation et même en contradiction avec le monde contemporain. Après le rapprochement avec les hommes et les femmes de leur temps que certains estimaient être le fruit du Concile Vatican II, voici que l’heure est venue d’enlever le boisseau qui cachait la lampe pour la « mettre sur le lampadaire » (Mt 5,13-16).



Simple oscillation du balancier de l’histoire ? Heureuse imitation de l’alternance des trente ans de vie cachée et des trois ans de vie publique ? Bonne stratégie pastorale qui répond ainsi à un besoin urgent de repères dont nos contemporains ont besoin ? Question d’expérience ou de pédagogie ? En effet on n’éclaire bien qu’à bonne distance de l’objet : ni trop près ni trop loin. Il y avait, ainsi, dans certaines cuisines anciennes des sortes de plafonniers qui grâce à un subtil mécanisme de poulies et de contrepoids permettaient à l’unique lampe de la pièce de changer de position selon l’intensité de clarté désirée.



Je crains que ces analyses, entendues ici ou là, ne conduisent les chrétiens à opposer deux postures et à s’enfermer dans des affrontements stériles car elles réduisent le mystère du Dieu fait homme à nos infirmes schémas mentaux. Or, ce que nous avons dit de Noël et de Jésus nous montre bien qu’il existe simultanément dans l’Evangile, l’usage des mots et le recours au silence, la nuit acceptée et la lumière rayonnée, le cri d’effroi de la Passion et la prière murmurée. Autrement dit, Dieu ne suit aucune stratégie, ne s’enferme ni dans des mots, ni dans des écrits, ni dans des images, ni dans le visible ni dans l’invisible, ni dans une attitude ni dans une autre. Il fait exploser toutes nos étroites catégories et c’est pour cela que nous le trouvons paradoxal.

La lumière éblouissante du Thabor éclaire, la nuit du tombeau vide fait signe, la veilleuse du tabernacle peut illuminer. L’enfouissement n’est pas nécessairement incarnation, l’étalage médiatique n’est pas obligatoirement visibilité, le signe écrit n’engendre pas forcément la lisibilité, la communication ne suffit pas à l’évangélisation. L’éclat du plein jour peut produire un trompeur effet de brillant qui capte sur lui la lumière. La Caritas, elle, rayonne de l’intérieur de jour comme de nuit, elle est notre seule véritable visibilité.



Dieu s’est fait homme… et tout l’homme et tous les hommes ne diront jamais tout de ce Dieu là et ne verront jamais qu’un pan de son ombre ; comme celle qui toucha son manteau, il nous suffit – paradoxalement - de nous laisser couvrir par elle pour devenir visibles.

15 décembre 2010

Indifférence, patience, urgence




« Frères en attendant la venue du Seigneur, ayez de la patience. » (Jc 5,7)



Le givre a saupoudré l’herbe des champs. La brume plaque au sol le ciel d’hiver. Les chênes de la forêt encore engourdie étirent leurs bras dénudés. Comme chaque matin, l’astre solaire s’installe dans l’échancrure de la colline boisée et s’apprête à entamer sa ronde étincelante.

« Pourquoi cette constance imperturbable dans la révolution des astres ? » se demande le spectateur ébloui. « Pourquoi la vie s’offre-t-elle chaque jour à l’indifférence de nos petits tracas quotidiens ? Pourquoi ce réveil de la nature assuré chaque matin, l’offrande d’un jour nouveau, le cadeau d’une année supplémentaire ? »

Parce que, depuis le fameux déluge qui épargna Noé, la patience de Dieu résiste à tous les flots et à toutes les fureurs. « Plus jamais je ne détruirai la terre » promit-Il alors. Il aurait pu ajouter : « L’homme s’en chargera bien tout seul ».

Et Pierre d’expliquer : « C’est pour nous qu’Il patiente : car Il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous aient le temps de se convertir » (2P 3,9).

Faut-il oser dire, en ce temps de l’Avent : « C’est Dieu qui attend en premier que nous nous décidions à lui accorder attention ; et c’est encore LUI qui, envers et contre tout, croit que l’homme ne le décevra pas. C’est lui qui a la Foi ! »

Un jour nouveau t’est accordé et déjà une voix mielleuse te susurre : « Profites-en, mange et bois, fais la fête, enivre-toi de puissance, rassasie-toi de plaisirs… Pense à toi ! »

Une autre voix amicale, mais ferme, te suggère : « Il en était ainsi aux jours de Noé…et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge… tel sera l’avènement du Fils de l’Homme…. Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre Maître » (Mt 24, 37)

Alors, au lieu d’attendre que demain ne la surprenne comme un voleur, offre ta vie dès ce matin à « L’astre d’en haut qui vient nous visiter en illuminant nos ténèbres (Lc1)» et en dérangeant ton indifférence. Il y a urgence !

NB Ami lecteur l’emploi de la deuxième personne du singulier n’est pas de ma part familiarité déplacée mais volonté délibérée de me placer parmi les destinataires de ces messages.

30 novembre 2010

La quête épuisante d’une source inépuisable.




Pour exister tout homme, toute femme a besoin d’être reconnu nous disent les psy. Traduction : chacun de nous sait qu’il a besoin d’être aimé et emploie tous les moyens pour y parvenir.



Les uns font dans l’extensif et cherchent l’adhésion des foules. Le suffrage universel, l’applaudimètre, la fréquence des titres sur papier glacé ou sur écran pourvoient à cette satisfaction parfois démesurée.



D’autres cultivent l’intensif des cercles restreints, des réseaux d’initiés, de l’élite choisie. La connaissance de quelques personnalités « bien placées » et citées à tout propos dans la conversation suffit à leur bonheur.



D’autres, enfin, se cantonnent dans l’exclusif. Sans lui, sans elle, le monde m’est insupportable. Je l’aime jusqu’à l’étouffer.

Un jour arrive où l’urne vous trompe avec l’adversaire, l’image tombe dans la corbeille, où les personnalités oublient votre adresse, où l’oiseau s’échappe de la cage grillagée.

Alors nous voilà amers, aigris, fuyant l’ombre de ce que nous étions, mais guettant cependant par la lucarne la moindre main qui se tendrait, le moindre sourire qui se souviendrait, la moindre parole qui nous relèverait.



Pour exister il faut être aimé.



Sachant cela, il n’y a donc rien de plus urgent, de plus utile, de plus humain que d’aimer en premier. C’est le renversement de perspective que le Christ a opéré. Si je cherche d’abord à être aimé, ce qui est la tendance naturelle, il y a de fortes chances que je m’épuise dans l’entretien de la courtisanerie obséquieuse, de la sympathie affichée ou protocolaire, de l’adulation servile, de la flagornerie bruyante.



Si je me consacre à aimer, d’abord, sans calcul, sans réserve, alors je risque de m’exposer, en retour, à la libre amitié de véritables frères comme à la haine recuite de tous les naufragés de l’amour exigé.



C’est à ce perpétuel renversement, cette conversion sans cesse à refaire que nous invite la période de l’Avent. Elle nous met en attente de Celui qui s’est fait amour avant même de chercher à être aimé parce qu’Il avait trouvé en son Père une réserve originelle et inépuisable de don et de pardon.

08 novembre 2010

Aux paysans, fiers de l’être, que je connais…




« L’Eglise s’intéresse à la crise agricole » tel était le message que voulait transmettre une rencontre organisée à l’initiative de l’Observatoire diocésain de la vie politique et sociale dans les Pyrénées Atlantiques. Exercice bien méritoire et délicat tant la profession est à fleur de peau et l’Eglise attendue au tournant. Pour ce faire, on avait réuni les compétences d’un éminent spécialiste de l’agriculture mondiale, d’un ancien responsable des jeunes agriculteurs qui se fait les dents dans l’engagement politique, de deux responsables d’associations et d’un président départemental de la Coordination rurale qui s’abritaient sous le vaste parapluie du bon Pasteur Benoît XVI et de son encyclique « Caritas in Veritate ».

De la vérité, Jean Sulivan disait qu’elle ressemblait à une verrière tombée à terre. Chacun se baisse, en ramasse un morceau, le brandit en disant : « J’ai la Vérité ».

Chacun, en effet, a profité de la tribune offerte pour distiller avec plus ou moins de transparence sa vérité. Une fois de plus, nombre d’interventions reprenaient la chanson qui fait fureur dans les étables et sur les tracteurs : « Tout le monde nous en veut » :

- La mondialisation et l’Europe. Celle-ci est passée presque sous silence, comme si l’Europe fondée par les moines paysans et le sang versé par des générations de paysans soldats, pouvait superbement ignorer l’avidité et les attaques des propriétaires des capitaux internationaux.

- Le personnel politique qui ne comprend rien à l’agriculture, comme si les paysans n’avaient pas essayé et réussi eux-mêmes à entrer en politique depuis des lustres en investissant tous les partis, du Front National à l’extrême gauche.

- Les écologistes prétentieux, comme si les agriculteurs ne savaient pas que la terre ne leur appartenait pas et qu’elle était le bien commun de tous.

- Les consommateurs qui ne veulent pas payer leur nourriture à son juste prix comme si la production agricole (« Vivre de notre produit !») n’était pas un produit tout à fait spécial, celui qui donne la vie à tous, y compris aux plus pauvres.

- Le gouvernement, qui a la prétention d’encadrer l’agriculture, comme si un homme d’état qui se respecte pouvait laisser « l’arme » alimentaire entre les mains d’autres pouvoirs que la sienne.

- Et pour couronner le tout, cette hideuse idée de cogestion qui a fait d’un syndicat le collaborateur de politiques productivistes mais dont personne à ce jour n’a refusé les impures subventions que cette infâme collusion avait générées.



« Tout le monde nous en veut ! Et après !». Que les politiques agricoles aient fait d’énormes dégâts, que les consommateurs soient inconséquents, que certains leaders profitent de leur position pour se tailler un destin national, que les coopératives n’honorent plus leur nom, j’en conviens. Est-ce une raison pour entonner toujours le même refrain? Nous sommes un certain nombre à espérer chaque fois du nouveau de telles rencontres et à revenir quelque peu déçus et lassés. Où était le souffle novateur ? Qui a proposé des alternatives concrètes innovantes ? Y avait-il une véritable recherche de la vérité quand la Coordination a pris deux fois la parole, que la voix de la Confédération paysanne dont deux représentants ont pris ostensiblement la porte a été oubliée et que la FDSEA ou les JA 64 n’étaient pas représentés en tant que tels ? Qui a osé parler du manque de solidarité au sein même de la profession ?



Et surtout, que penser de la quasi-absence de la voix des femmes ? Or, messieurs, la métamorphose de la société rurale qui englobe le monde agricole se fait aujourd’hui et se fera encore plus demain par les femmes. Durant les deux dernières guerres elles ont maintenu les campagnes en vie pendant que leurs hommes défendaient les frontières. Ce sont elles qui, aujourd’hui, sont les actrices principales de la diversification de la profession agricole, et qui sont à l’origine de multiples initiatives de la vie sociale et paroissiale des cantons ruraux. Enfin, elles sont souvent à l’initiative des « nouveaux styles de vie » que le Pape appelle de ses vœux dans sa dernière encyclique. Et tout ceci, parce que les femmes ont une affinité essentielle avec le monde de la terre, du vivant, de la nourriture : elles savent ce qu’est la vie à son origine.

La « famille agricole » qui sait si bien hausser le ton quand il le faut et se déchirer quand il ne faudrait pas, aurait tout intérêt à écouter et à donner la parole à ses « pionnières » dont M. TH. Lacombe a fait le sujet de son dernier ouvrage.

A moins que le silence ne soit l’arme la meilleure pour garder sa « liberté paysanne » quand de mâles commandos trop attentionnés veulent nous apprendre à bien penser pour notre plus grand bonheur !!

Tel est, pour aujourd’hui, mon morceau de vérité. Il va certainement en heurter beaucoup d’autres mais le grand Ajusteur, s’il le veut bien, lui trouvera une place dans la verrière agricole en reconstitution ou dans une autre en préparation…En attendant, merci à tous les paysans, et ils sont encore nombreux chez nous, qui n’ont pas rougir de leur métier et qui ne se sentent pas les victimes du monde entier.

Jeancasanave.blogspot.com

25 septembre 2010

Les romanichels


Un claquement cadencé de sabots ferrés, le grincement inquiétant d’essieux
mal ajustés, le bruit d’un bric à brac mal arrimé, et déjà tous les écoliers
se suspendent aux grilles de la cour de récréation qui longe l’unique rue du
village. Une haridelle hors d’âge, une roulotte ajourée, des têtes d’enfants
barbouillées, un homme dépenaillé aux commandes de l’attelage, deux chiens
efflanqués traînant leur peine et leur fidélité sous la cabane à roulettes : les bohémiens
sont là ! Ils vont s’installer comme chaque année sur la petite place qui
jouxte ma maison familiale et j’aurais tout le temps de les observer.
Le soir venu, le cheval dételé broute l’herbe du fossé, deux poules en
liberté surveillée grattent le sol, les chiens sont déjà en quête de
quelques restes et les gamins, difficiles à compter, tournent autour d’une
jeune femme brune qui aménage les alentours. Le père au teint cuivré dispose ses outils.

Demain, il ira dans les maisons à la recherche de vieilles casseroles ou de
chaudrons fatigués pour les rétamer ou les rapiécer. Sa femme présentera
les paniers en osier de sa dernière fabrication et quémandera quelques œufs
ou du lait pour sa maisonnée. En attendant, le tuyau percé du poêle émet un
filet de fumée. Le vent et la pluie flagellent les planches disloquées de la
maison portative.

D’où viennent ces étranges créatures qui parlent et jurent dans une langue
inconnue ? Libres comme l’air, les enfants ne vont pas à l’école ! Quelle
chance ont-ils de connaître le monde, de mener le cheval à leur guise, de
monter aux arbres comme les acrobates du cirque ! Pas d’horaires, pas de révisions,
pas de devoirs, pas de punitions ! La belle vie ! Le menu du soir n’a pas l’air
de les préoccuper et pour cause : il sera léger. Songeront-ils dans leur sommeil d’enfant à la douce chaleur des étables, aux soupes fumantes des tables garnies, aux cahiers bien remplis d’écriture soignée?
Qui l’emportera dans la tête du sage écolier: la fascination pour l’étrange ou la répulsion pour une vie de misère ? Le rêve aura longtemps le dessus.
Le lendemain, Monsieur l’Instituteur nous apprendra qu’il ne faut pas dire « Bohémiens » mais
" Romanichels ». Monsieur le Curé nous rappellera qu’ils sont eux aussi « enfants de Dieu ».

La rossinante et la roulotte ont disparu. Casseroles et chaudrons n’ont plus
besoin de la protection de l’étain. Curieusement, les paniers ont des
roulettes et chacun a appris à pousser sa petite roulotte dans les hypermarchés.

Caravanes et cylindrées s’entassent dans des aires de « stockage »
ou de passage…Elles ne font plus rêver les enfants des écoles, ni leurs
parents.

Hormis l’origine du mot, les roms d’aujourd’hui, n’ont rien à voir avec les fils du vent ou du bitume. Traîne-misère chez eux, ils ont échoué du côté des déchets industriels de nos grandes villes. Eux qui rêvaient d’une autre vie sont devenus, semble-t-il, le cauchemar du gouvernement.

Mon père Abraham, était, me dit l’Ecriture un « Araméen errant ». Lui, parvient encore à me faire rêver…Pharaon voulut l’éliminer, le vagabond lui échappa. Le souverain déifié nous laissa les écrasantes pyramides ; le nomade, la liberté des enfants de Dieu. Mais, qui racontera aux enfants des campements sordides, l’histoire du Père dans la Foi pour leur rendre dignité, fierté et sens des responsabilités ?

07 septembre 2010

L’Eglise doit-elle intervenir dans les questions sociales? Lectures pour temps de crise.




L’enseignant comme le cultivateur profite de l’été pour mettre de côté les provisions dont il aura besoin le reste de l’année. En vue des futures formations à proposer, il doit largement moissonner pour ne retenir parfois que quelques ingrédients nécessaires à sa réflexion. Parmi mes lectures ou mes relectures de l’été, je me permets d’en signaler deux.

A tout Seigneur tout honneur, Benoît XVI et son encyclique sociale « Caritas in Veritate ». Je l’avais déjà lue avec le sentiment d’avoir affaire une fois de plus à un empilage de citations de ses prédécesseurs et à une simple actualisation de principes répétés chaque pontificat. Ayant à présenter son thème central qui est celui du développement, je l’ai relue minutieusement complétée par de multiples commentaires. Nous avons là une véritable somme de la doctrine sociale de l’Eglise. Le Pape, en professeur magistral, nous offre une vaste synthèse à la fois théologique et sociale de ce qu’implique la pratique de l’amour du prochain. Deux innovations de taille dans la pensée de l’Eglise.

1- La charité ne peut faire fi de la réflexion et de la raison, sinon elle vire au sentimentalisme éphémère qui ne s’inscrit pas dans le concret et dans le durable.

2- L’économie mondiale ne peut oublier la gratuité car à l’origine, tout est don : Un encouragement à toutes les initiatives qui essaient de conjuguer le profit et le développement du partenaire. Mais l’éthique ne se décrète pas sur simple étiquette.

Une fois assurés ces deux principes, le texte déploie l’ensemble des activités humaines, y compris les plus inattendues, pour en dégager la dimension sociale et charitable. Aussi une mère de famille, un médecin, un entrepreneur, un artisan, un paysan, un économiste, un maire, un journaliste, un humanitaire, un député, un écologiste peuvent tirer partie de cette lecture qui suppose cependant une petite introduction.



A tous ceux et celles qui déplorent parfois que les chrétiens ne soient pas plus actifs face à la misère du monde et qui se contentent de lever chaque fois le drapeau de l’abbé Pierre ou de mère Thérésa, je conseille la lecture de « Justice dans la peau, géopolitique de l’action humanitaire » écrit par Denis Viénot, ancien président de la Caritas internationale (édition DDB). Le nombre de réalisations soutenues par les Caritas locales (comme notre Secours Catholique) et l’expertise qui découle de ces expériences vous coupent le souffle. Et ceci n’est qu’une partie de l’action menée par l’ensemble des organismes d’inspiration chrétienne de par le monde.

Cet ouvrage est un bon complément de l’encyclique et son abord est plus facile. On peut cependant regretter que tous ces organismes ne fassent pas plus de tapage dans les médias. Mais nous savons depuis quelques temps qu’on ne peut pas occuper les écrans et travailler en profondeur, et, depuis encore plus longtemps, que « le bien ne fait pas de bruit ».

A propos, saviez- vous que le fondateur des banques alimentaires en France est un chrétien inspiré en cela par l’action d’une religieuse? Merci Bernard Dandrel.

06 juillet 2010

Le bon chemin




A l’occasion de l’année jacquaire, le Conseil Général des Pyrénées Atlantiques a voulu honorer la petite ville de Navarrenx, halte très appréciée des pèlerins de Compostelle. Un débat réunissait deux Jacques célèbres : Jacques Rigoud, qui a assumé de hautes

fonctions dans le domaine de la culture et de la communication, et Jacques

Barrot, ancien commissaire européen et membre du Conseil Constitutionnel.

Ils étaient accompagnés d’une journaliste écrivain, Alix de Saint André et de

l’abbé Ihidoy, ancien curé de la cité et initiateur de l’accueil des

marcheurs. Thème de la table ronde : « Le bon chemin. »



Comme il fallait s’y attendre, chaque intervenant a présenté le sien comme

le « bon « , Jacques Rigoud défendant celui de la lenteur et de la durée avec

des mots soigneusement choisis et des analyses d’une grande sagesse. Sous les

pierres du chemin de Jacques Barrot pointait la passion, politique bien sûr,

qui se nourrit de vastes horizons. La journaliste, la seule à avoir parcouru

l’itinéraire et cela par trois fois, fit l’éloge des sentiers de traverses

où l’on se retrouve toujours, tandis que Sébastien Ihidoy, n’écoutant que

son cœur de pasteur rassembleur, qualifiait tous ces routiers de

« chercheurs d’une étoile. » Mais de quelle étoile ?



Tous s’accordaient à dire, comme le poète Machado, que le chemin se

fait en marchant :

« Caminante son tus huellas,

el camino, y nada mas…

se hace el camino al andar.

Al andar se hace el camino… » et si tu regardes derrière toi, tu vois une

trace que nul autre que toi n’a pu fouler...



Tous reconnaissaient que le chemin était l’occasion de rencontres multiples

et riches dans leur simplicité. Une petite voix me murmurait : « Je suis le

Chemin… «. Le Christ ne dit pas « Je vous montre le Chemin, allez-y,

empruntez-le. » Il dit bien « Je suis… » Autrement dit, le chemin est avant

tout rencontre. C’est dans la rencontre que tu vas découvrir un chemin

infini vers toi, vers moi. C’est l’histoire de tout amour. « Quitte ton

pays » dit Dieu à Abraham et Marie Balmary ajoute en psychologue : « Va vers

toi. »



Un regret, j’aurais aimé entendre davantage deux mots : solitude et silence.



Pour avoir parcouru cette route il y a 40 ans, à l’époque où faute de

« clients » (nous étions trois malheureux bipèdes), il n’y avait ni accueil

organisé, ni signalisation, ni hébergement, je suis toujours ébahi par ces

grappes de pèlerins qui cheminent ensemble. Comment rencontrer l’autre

réellement et durablement, si chacun n’a pas fait au préalable ce chemin

intérieur qui consiste à se débarrasser des trompeuses apparences qu’il

avait fabriquées jusque-là pour affronter le réel ?



Seuls le silence et la solitude prolongés permettent cette dure exploration de soi-même,

ce délestage intérieur, cet allégement indispensable. Dieu merci, il y a ces rudes journées de chaleur où il est impératif d’économiser les paroles inutiles, et ces petits matins où la nature ne s’offre qu’à ceux qui savent l’écouter.



Et pendant que ces experts devisaient, les remparts de la cité nous

toisaient du haut de leur histoire séculaire et de leur mépris immobile.

« On ne passe pas ! » En effet vous ne pouvez entrer et sortir de Navarrenx

que par deux issues. Certains habitants étouffent dans l’enceinte où les

yeux se croisent en angle droit, où la rumeur revient en écho amplifié, où

toute idée nouvelle doit faire allégeance aux portes fortifiées.



Il n’y a, parfois, qu’une solution pour trouver le bon chemin : sortir par

le haut, profiter des courants ascendants, prendre son envol, et on s’aperçoit

alors, que la cité bastionnée est une étoile tombée du ciel, à jamais

pétrifiée…Il lui reste à retrouver le bon chemin pour rejoindre le campus stellae…

11 juin 2010

La « reculée » de Livron





« C’est un trou de verdure où chante une rivière… » Non, ce n’est pas le val du dormeur d’Arthur Rimbaud. C’est une combe encaissée, surplombée par un étau de verdure. Un fouillis de chênes verts creusé de grottes et de sources, tapissé de buis et de mousses, parsemé d’églantiers, abrite un entrelacs de sentiers qui remontent vers la crête, appuyés sur leurs murets de claires pierres.



Au tomber de la nuit, de chaque excavation, de chaque bouche rocheuse on s’attend à voir surgir le monstre de la légende, les sorcières grimaçantes, les bêtes cornues aux griffes fourchues.



A imaginer l’hiver, ici, vos yeux se givrent et vos os se glacent.



Mais aux jours de ciel radieux les sentes en colimaçon deviennent « le chemin des anges ».



C’est là qu’au 19ème siècle, Francisco Palau, carme catalan exilé, se réfugia et établit son camp, tel le chevalier du ciel. Une grotte suspendue au flanc de la ravine lui servit de refuge, de résidence et d’oratoire. Et là « dans le silence et la solitude, je t’attendrai » écrivait-il en désignant son Seigneur.Un jour, il repartit dans sa patrie et fonda un ordre de carmélites missionnaires.



Si vous passez par Caylus (82), suivez « Notre Dame de Livron » jusqu’au bout du chemin. L’antique sanctuaire de pierres humides vous contera la grande histoire de ce lieu unique. Allez-y lorsque le long soleil de Juin prend le vallon en enfilade et en éclaire successivement chaque page de l’album. Ici, la géographie vous oblige à vivre la tête droite et les yeux levés. Ici, vous comprenez que la source d’eau vive jaillit du Temple nouveau, bâti en forme de croix et de cœur.



Vous croiserez l’une des sentinelles de cet autel de verdure. Elle vous abordera avec un beau sourire et un joli accent navarrais.



Filles des Thérèses, la grande et la petite, les sœurs accueillent le promeneur du val fleuri. Elles dressent table abondante pour le servir, offrent silence et paix à l’affamé de solitude, et guident ses pas vers son temple intérieur.

Elles enchantent le monde en dévoilant un petit coin de paradis.



« Dans la solitude et le silence de la grotte, je t’attendrai. »

23 mai 2010

Eclats de Trinité




« Qu’ils soient UN ». C’est le testament du Christ. Il reprend le souhait du Dieu de la Bible qui n’a de cesse de vouloir « rassembler les enfants de Dieu dispersés ». Quant au Concile Vatican II, avant même que la mondialisation n’appelle de ses voeux l’avènement d’un village planétaire, il affiche clairement son ambition : « réunir l’humanité en une grande famille », celle de Dieu.



Laissons pour l’instant de côté la famille de l’Eglise. On a assez parlé d’elle ces temps-ci. Qu’elle panse ses blessures et lave son linge sale. Regardons plutôt du côté de notre société.



Le mot d’ordre est à l’éclatement. Demandez à un jeune d’exprimer ce qu’il a retenu d’une soirée passée entre copains : « On s’est éclatés ! »



L’éclatement, par la grâce des réseaux internet prend des proportions phénoménales et devient un fait de société. Les apéro géants fleurissent, signes d’une convivialité trop absente de notre quotidien mais aussi, et très vite, occasion de beuveries qui s’achèvent dans l’apothéose du coma éthylique et parfois de la mort. Au cas où ce nouveau genre de loisirs ne serait pas assez excitant, d’autres jeunes avaient prévu mieux : n rendez-vous donné pour une bagarre géante. Il y eut un temps où l’on excusait ces agissements en disant qu’ils étaient le fait d’une jeunesse désoeuvrée, non éduquée, issue de couches sociales défavorisées. Aujourd’hui, on apprend que des étudiants censés faire des études dites supérieures, des gens qui, un jour, auront un bistouri entre les mains ou le code pénal sous le bras, raffolent de ce genre de sport! Mais qu’avons-nous donc transmis à nos enfants pour qu’ils manifestent ainsi un tel vide sidéral de tout idéal ? L’exemple vient souvent d’en haut. Ne sont-ils pas les enfants de parents qui, sans aucune retenue, s’éclatent eux aussi devant eux à la moindre occasion? Eux-mêmes ne sont-ils pas les victimes consentantes de cette classe de célébrités médiatiques qui étalent sur tous les écrans l’extravagance de leurs comportements, la suffisance de leurs propos, l’insolence de leur train de vie. Réplique souterraine ou revanche inconsciente, internet offre aux plus modestes la concurrence des écrans portatifs.Et que dire de l’arrogance des puissances financières de ce monde qui, à leur tour, s’éclatent dans des jeux boursiers au risque de faire exploser un pays ou un continent ?



Il ne faut pas être grand prophète pour voir se profiler trois types d’individus. Les premiers n’auront d’autre objectif que de se jeter dans cette sorte d’escalade d’expériences de plus en plus risquées pour eux et pour les autres. Les seconds, cherchant à ancrer leur idéal inassouvi sur des repères solides, risqueront, par réaction, de se trouver embrigadés par les faussaires de l’autorité ou les imposteurs de la sainteté. Enfin, l’âge aidant, la majorité se vautrera dans le marais d’un matérialisme pratique afin de «profiter» dit-on, d’une vie sans ambition et sans horizon.



« Qu’ils soient UN » insiste le Christ.

« Un », comme ces vieux couples qui au terme de leur voyage commun ont fini par se ressembler étrangement, à l’image de ces galets du gave qui à force de se côtoyer et de se frictionner se sont tellement polis, que chacun a épousé les contours de l’autre. « Un » comme ses vieux amis qui se voient rarement, discutent âprement, ne cachent pas leurs divergences, mais se retrouvent comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. « Copains d’abord !



Cette unité faite de proximité quotidienne ou de fidélité au long cours, fait le bonheur d’une famille ou d’un groupe, mais échoue devant le grand nombre. Les empires reposent sur une unité factice, souvent coercitive, et les trop grandes entreprises humaines explosent. Babel !



Pourquoi, malgré l’expérience des siècles, cet appel à l’unité est-il encore d’actualité? La grande idée des Juifs reprise par les Musulmans, c’est que Dieu est Un. Cette unité de principe supporte mal les diversités, mais le Peuple est Un comme Dieu est Un. L’unité est exigence divine.



Les Chrétiens reprennent cette idée de base mais ils ajoutent que Dieu est Un à la façon du bourgeon ou de la lumière. Le bourgeon, un jour, éclate silencieusement. Quant aux éclats de lumière, ils n’enlèvent rien à son intensité. Dieu se manifeste en trois éclats qui ne brisent pas son Unité. Ils répondent aux noms de « Père », « Fils » et « Esprit ».



La Bible nous présente le Roc comme le symbole de Dieu. Elle n’a pas hésité cependant à ajouter à l’image de la pierre inaltérable, celle du buisson ardent ou celle de la nuée lumineuse, comme pour éviter un risque de monolithisme trop absolu. Quand la Pentecôte arrive, c’est bien des flammes de feu qui permettent aux croyants de proclamer l’Unité de la Foi dans la diversité des approches du Mystère.

Eclatons-nous mes frères, à la manière du bourgeon ou du rayon lumineux…sous le soleil de Dieu ! Un bourgeon qui éclate fait moins de bruit qu’une bouteille qui se casse.

26 avril 2010

La Foi à la recherche de « cultures porteuses ».




Entendu ce matin : « Le vendredi, c’est le jour du poisson ». « Reviendrez-vous l’année prochaine ? S’il plaît à Dieu ! » répond une personne d’un certain âge. « Inch Allah » ajoute une plus jeune d’origine portugaise. Et ceci, dans une bonne petite ville du Béarn profond qui hier comptait deux paroisses catholiques, et, avant-hier, s’honorait d’être un fief protestant. C’est dire l’ancienneté de l’imprégnation de la tradition chrétienne.

Cette petite anecdote ne fait que réactiver une question qui me taraude. L’Eglise doit-elle faire le deuil ou non de ce qu’on appelait la culture chrétienne ?

Une culture chrétienne encombrante ?

Mes origines rurales accrochées aux clochers des villages et aux croix des chemins, ma tournure d’esprit qui a toujours voulu privilégier une certaine unité de pensée, la façon dont j’ai exercé le ministère presbytéral, tout en moi s’insurge devant une telle hypothèse. Je suis, cependant, le premier à déplorer la survivance d’une sorte de christianisme de rites domestiques, naturels ou sociaux qui tournent essentiellement autour d’un dieu protecteur et sécurisant et qui réduisent la liturgie à une « gestion » du religieux latent en tout homme. Je vois tous les jours les limites de ce qui pourrait être une évangélisation de ce même religieux. Si toutes nos célébrations d’obsèques étaient catéchétiques, comme on le dit, il y aurait belle lurette que tous les habitants de mon canton seraient des chrétiens affirmés, confirmés et contagieux !!

Cela dit, je ne peux me résoudre à passer pour pertes et profits les 600 personnes d’une paroisse qui, encore ces dernières années, venaient demander le pardon de Dieu sous la forme d’une absolution collective et qui, après sa suppression amplement expliquée, se sont retrouvées moins d’une centaine. A-t-on bien mesuré qu’au nom du respect du rite de l’aveu personnel, nous privons ceux et celles qui ont tant de mal à s’exprimer sur ces sujets délicats de la seule occasion de l’année où ils faisaient une démarche visible, coûteuse et sérieuse de repentir ? Le rite a été « sauvé » mais les pécheurs, eux, le sont-ils ? Que je sache, tous ceux qui ont crié « Fils de David, aie pitié de nous ! » sur les chemins de Palestine, ne se sont pas cachés avec Jésus derrière un sycomore pour lui susurrer à l’oreille la liste de leurs fautes.

J’entends bien que ce « religieux » de nos campagnes françaises, habillé des dorures chrétiennes, sera peut-être le plus allergique à une vraie « évangélisation des profondeurs » selon l’expression de Simone Pacot. Faut-il, pour autant, l’abandonner entre les mains de ceux qui le laisseront régresser vers les formes les plus contestables d’une déshumanisation aliénante ? Faut-il faire fi de certaines coutumes locales qui font du maire des petites communes rurales, quelles que soient ses convictions, le collaborateur incontournable du curé et des chrétiens actifs moyennant quelques dérogations au droit canon et à une laïcité sourcilleuse ?

De fait l’Eglise semble avoir choisi.

De par le fait minoritaire de la population catholique, la pluralité des cultures, l’échec d’une transmission généralisée de la Foi et des sources de la pensée chrétienne, le raidissement de certaines prises de position des responsables, le désir d’afficher une différence signifiante, l’Eglise catholique prend acte du décès d’une certaine tradition chrétienne. Ou plutôt, elle pense que son incarnation a que trop bien réussi au point qu’elle s’est laissée engluer et polluer par la sécularisation. En effet, dans bien des cas, la Foi s’est coagulée dans des gestes ou des expressions qui ne font plus sens pour une vie. Alors, l’Eglise appelle à un sursaut, comme si elle avait à sauver son âme trop compromise par la société actuelle. Elle parle d’une nouvelle évangélisation à grands frais, affiche le message en direct, annonce à contre-temps et contre-lieux, refuse l’immersion, se réfugie sur son île culturelle, retrouve sa langue codée, sa musique « sacrée », et ses œuvres privées. Les communautés urbaines contrastent avec les rurales. Celles-ci ne font l’objet d’aucune stratégie pastorale d’avenir. Tout se passe comme si, faute de plan d’irrigation, on consentait à laisser s’élargir un vaste désert spirituel autour de quelques oasis qui s’exténuent à lutter contre l’ensablement.

Mais quel choix ?

Le Christianisme refusant de devenir une crypto-culture, veut se présenter comme une «contre-culture» (1). Ses ministres, jusqu’ici issus du peuple chrétien local, proviennent de plus en plus de communautés exogènes. Cette posture de « contre culture » si elle était notre réponse unique serait-elle chrétienne ? Ne sommes-nous pas appelés à régénérer les cultures qui nous traversent, à les purifier, à les soulever dans le grand élan de la résurrection ? Pour cela il ne s’agit pas de se positionner seulement «contre» mais « dans » : pas de régénérescence de la société sans incarnation dans sa culture et sans consécration de la vérité.

Tout ceci ne serait que saine diversité d’approches pastorales dans une Eglise plurielle si les circonstances faisaient que nous ne pouvons pas nous payer le luxe de tout faire. Or, aujourd’hui dans nos régions rurales, la situation des forces vives de l’Eglise est telle, que celle-ci est dans l’obligation de changer de cap.

Nous serons la dernière génération de ces curés qui étaient un peu « les curés de tout le monde» et il faudra bien délaisser une fois pour toutes « l’inscription chrétienne dans la société » (2) sous la forme où nous l’avons connue, pour devenir les pasteurs de communautés de base attestantes, attirantes et réduites.

Quel baptême ?

Mais, si c’est le cas, il faut en tirer toutes les conséquences à commencer par le début, je veux parler de la réception du baptême, sacrement de la Foi. Finis les baptêmes par «complaisance », « parce que ça se fait dans la famille » « parce qu’on ne sait jamais… » « parce que c’est dans notre patrimoine… » même s’ils sont accompagnés d’une démarche préparatoire à sa célébration. Que l’on ait le courage de ne donner le baptême que conditionné à un engagement personnel dans l’Eglise ou dans la société puisqu’il ne peut plus compter sur une « culture porteuse »! Les choses seront claires; l’Eglise y perdra en notoriété -bien relative- peut être même en incarnation mais elle y gagnera en crédibilité. Elle n’aura nul besoin de recruter ses serviteurs à coup de « pub » car des communautés vivantes sauront se donner les ministres dont elles auront besoin.

Il restera, peut-être, « si Dieu le veut », quelques «tièdes» qui mangeront du poisson « parce que c’est vendredi », que l’ange de l’Apocalypse n’aura pas encore vomi et quelques vieux prêtres décalés pour leur signifier la bienveillance infinie du Père !



(1) Expression employée par Benoît XVI à Malte dans un contexte spécial. Journal « La Croix » du 19 04 10

(2) selon le titre d’un ouvrage de Guy Coq.

01 avril 2010

Jeudi Saint




Jésus n’a célébré qu’une seule messe mais il faut croire que se fut la bonne ! C’est la réflexion qui s’impose à moi à chaque commémoration de la Cène. Or, depuis, un prêtre de campagne célèbre au bas mot 400 Eucharisties par an !! Il n’en a pas toujours été ainsi, puisque sous l’Ancien Régime, on lui prescrivait de célébrer « quelques fois » les Saints Mystères ! Que signifie cette inflation du rite, cette boulimie du corps du Christ, cet appétit immodéré du pain venu du ciel, cette soif inassouvie du sang du Seigneur ?

On peut arguer que notre condition pécheresse nous oblige à réitérer sans cesse notre conversion ; qu’à l’instar du repas quotidien, il nous faut alimenter régulièrement notre être spirituel ; que les saints, tellement amoureux du Christ, ne peuvent rester longtemps sans exprimer leur élan…

Ne sommes-nous pas un peu victimes de nos lectures de la première Alliance qui faisait obligation aux prêtres du Temple de Salomon de ne pas interrompre l’offrande qui montait de Jérusalem afin que Dieu soit favorable à son peuple ? Il serait bon, non seulement de relire la lettre aux Hébreux, comme nous le faisons en ce moment dans l’Office des Heures, mais de la mettre en pratique. Le Christ est bien notre grand prêtre mais contrairement à ceux du Temple, Il s’est offert une fois pour toutes….

On comprend bien que ni le prêtre ni les fidèles ne sont le Christ et que comparaison n’est pas raison. Mais si nous avions davantage conscience, les uns et les autres, que l’Eucharistie engage le DON total et sans réserve de notre vie, que son horizon s’ouvre sur la Croix, que la messe n’est « dite » que lorsqu’elle consacre aussi le monde qui nous entoure afin qu’il devienne « offrande spirituelle agréable à Dieu », ne serions-nous pas plus précautionneux dans l’usage du Sacrement ? N’est ce pas là « chose » trop grave pour en faire une simple réponse à un besoin personnel ou occasionnel? « Pourtant j’avais bien commandé une messe pour aujourd’hui ! » Il y a bien des façons de « blesser » la liturgie !

Certes, le Signe est dit visible dans la définition du catéchisme, mais il doit également être efficace. Ne l’a-t-on pas rétréci aux dimensions de quelques intentions particulières alors que sa portée est universelle ? N’avons-nous pas confondu efficacité et quantité ? N’y a-t-il pas d’autres rendez- vous avec le Seigneur ? La méditation de la Parole, la prière, l’accompagnement fraternel ne sont-ils pas signes véritables de Sa présence ? « Quand deux ou trois sont réunis en mon Nom… »

Bref, je vais dire une énormité, mais ne faudrait-il pas de temps en temps « re-évangéliser » la messe ?

Chacun sait que trop de rites tue le rite ou du moins amoindrit sa puissance d’évocation.

Oui, évangélisons la messe, retrempons la dans son bain originel, dans la vie et la mort de Celui qui la célébra le premier. Alors avec Lui, nous dirons en tremblant : « Mon âme est bouleversée. Que dirais-je ? Mon Père sauve moi de cette heure ! Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. » Jn 12, 27

05 mars 2010

Chemin de mort et de résurrection.

La paroi est verticale, le rocher lisse. Au beau milieu de ce décor minéral, suspendue dans le vide, une magnifique fleur en forme de grappe. C’est la saxifrage qui « brise le rocher ». Par quel miracle la semence a-t-elle pu profiter d’une minuscule anfractuosité de la pierre pour y germer, pour se développer et pour nous offrir une telle splendeur, malgré cette exposition à tous les dangers climatiques ?

Ainsi en est-il de la vie. A regarder lucidement son évolution, elle avait tout au départ pour échouer. Ce que l’on pourrait appeler les « forces de la mort » aurait dû éliminer dès le départ cette chose incongrue qui fragilisait la matière. Et si la nature n’y était pas parvenue assez tôt, parions que la violence des hommes, à la longue, se serait chargée de la besogne. Mais, envers et contre tout, la vie résiste et reprend le dessus…

Il en est de même pour les humains. Les cataclysmes peuvent s’acharner, les malheurs s’accumuler, la mort peut triompher. Après un temps d’accablement, l’être humain se redresse, relève les ruines, engendre de nouveau, se projette en avant, comme mû par un instinct de survie qui le dépasse.

On peut donc dire que chacun peut faire, quotidiennement, une expérience de résurrection qui défie la loi de la dissolution universelle.



Cette vision optimiste des choses ne résiste pas, cependant, aux faits. Sauf à penser qu’il y aura éternellement une sorte de flux et reflux de la vie qui fera que chaque vague s’échouant sur la plage mortelle alimentera la suivante et cela indéfiniment,- autrement dit, sauf à penser que le temps est éternel ce qui est contradictoire- la loi de la mort triomphera. Cela, les plus lucides (ou les plus désespérés) des penseurs en ont fait l’amère constatation. Certains ont trouvé cet instinct de vie tellement insensé, que pour eux, la tâche véritablement humaine serait de le contrecarrer. « Pourquoi avoir des enfants, si c’est pour la mort ? » disait une philosophe engagée du siècle dernier. Même ceux qui croyaient que la disparition des uns préparait un paradis pour les suivants reviennent de leur utopie. Le progrès qui avait allumé tant d’espérances donne aujourd’hui le frisson et n’enchante plus notre génération

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Le peuple de la Bible croyait en une survie collective du peuple. Ce n’est qu’au contact des cultures grecques qu’il a commencé à entrevoir une immortalité individuelle. C’est surtout à partir de la révolte des martyrs d’Israël (2ème siècle avant Jésus) qu’il a compris que Dieu ne pouvait pas abandonner ceux qui avaient donné leur vie pour Lui. De plus, on racontait l’histoire de ces grands héros antiques qui n’avaient pas connu la mort mais avaient été enlevés directement au ciel. C’est dans ce contexte qu’intervient la mort de Jésus.

Or, chacun savait que l’avènement de Jésus avait inauguré une ère nouvelle. Sa prédication, ses guérisons, ses miracles étaient un défi à la loi de la mort et l’on se prenait à penser que, désormais, celle-ci était vaincue, que la résurrection était la norme nouvelle. Le pardon de Dieu que Jésus proposait introduisait les croyants dans une communion définitive avec le Père. Malheureusement ce pardon se heurtait au refus. Jésus est arrêté ; Il passe en procès. De toutes les façons, s’Il était vraiment envoyé par Dieu comme Il le prétendait, Celui-ci viendrait le délivrer. Il est condamné. Dieu va-t-il l’enlever au ciel comme ses grands aînés ? Non. Alors, puisque Dieu l’a abandonné, Il ne mérite même pas la mort d’un prophète. Il ne sera pas lapidé mais crucifié hors de la Ville. Sentence de mort infamante, s’il en est !

Jésus meurt. Sera-il introduit « dans le sein du Père » comme Jean Baptiste et tous les autres martyrs d’Israël ? Il aurait ainsi accompli son destin personnel. Mais qu’en serait-il du nôtre ?

Quelques jours après, les apôtres font l’expérience qu’Il est Vivant. Il leur demande de prendre sa suite, de manifester l’amour de Dieu aux hommes, de les rétablir dans la communion de vie divine. Il était pourtant bien mort ! Et les disciples repensent à ses dernières paroles : « Père pardonne leur… » Ils comprennent que sa mort n’était pas un assassinat, encore moins un suicide, mais le signe de ce pardon qui avait été refusé et qui allait jusqu’au bout de sa logique. Il pardonnait le refus même du pardon et sa résurrection rendait actuel et éternel ce trop-plein d’amour divin. Encore fallait-il désormais y consentir. Ce serait la tâche des apôtres d’y préparer ceux et celles qui se posaient la question du sens de leur vie.



« C’est la vie ! » dit on d’un ton désabusé, quand la mort fait son œuvre. « C’est la vie ! » répète-t-on, quand elle « reprend le dessus ». Ainsi nos « petites » résurrections, toujours partielles, accomplies dans l’élan de la création hésitent entre impuissance et résistance. Désormais, elles sont emportées et transfigurées par la « grande » Résurrection du Christ qui a déposé notre mort dans son tombeau. Que s’ouvre la Pâque ! Que nos cœurs se dilatent ! Alléluia !



NB Ceux ou celles qui trouveront ce chemin de résurrection un peu aride se souviendront que les déserts et les grandes rocailles nous réservent la surprise de fleurs splendides. Elles demandent une recherche patiente…

16 février 2010

Propos d’outre cercueil


Il entre pour la dernière fois dans l’église de son village, porté par quatre gaillards sombrement vêtus, précédé par le long cortège des porteurs de fleurs enrubannées, et suivi par la famille endeuillée. Tout d’un coup, sur le pas de la porte, silence total : une voix s’élève :

« Je vous ai entendu tout à l’heure quand vous m’attendiez. L’église, si silencieuse d’habitude, bourdonnait comme une ruche. Ceux de ma génération ont une fâcheuse tendance à augmenter le son car le brouhaha n’est guère favorable aux oreilles défaillantes.

« C’était un brave type mais il avait son caractère. Il ne fallait pas lui marcher sur les pieds…La vie ne l’avait pas gâté mais il s’en était quand même bien sorti…Il aurait pu profiter un peu plus de sa retraite…c’est comme cela, on ne commande pas. J’ai appris qu’un tel est malade : un cancer, ce sera bientôt son tour. Tiens, tu as vu, le Conseiller Général est là ; pourtant ils n’étaient pas du même bord. Il paraît que son cousin va dire un mot au début des obsèques, ils n’étaient pas pourtant en très bons termes. C’est le nouveau curé qui veut ça : que quelqu’un présente le mort…Tout change ! Au fait, tu as pu te garer ; ils ont encore modifié le stationnement ; ils ne savent pas quoi inventer pour embêter les gens…»

«Mes amis, je veux d’abord vous remercier d’être venus m’accompagner dans mon dernier voyage. Je sais que vous n’êtes pas tous croyants, mais, à plus forte raison, vous voulez me manifester un dernier geste de sympathie avant le grand silence. A ce propos, je suis étonné de la facilité avec laquelle chacun oublie qu’il pourrait être, là, à ma place. Vous parliez de moi. Merci du bien que vous en disiez ; mais vous est-il venu à l’esprit de vous demander : que dira-t-on de moi si, dans une semaine, je rentre à mon tour dans cette église ?

Franchement, vous auriez pu vous dispenser de tous ces commentaires à mon égard. Ils ne me sont, en ce moment, d’aucune utilité. Par contre, vous auriez pu plutôt penser un peu à vous. Il serait peut-être temps pour vous « d’arranger » les choses, de remercier votre femme de vous avoir supporté, de débrouiller les malentendus entre les enfants et de leur dire à tous combien vous les aimez. Et si vous arrangiez aussi les choses avec Dieu ? Ne serait-ce que pour Le remercier Lui aussi de cette vie qui a eu ses hauts et ses bas, mais qui, tout compte fait, était un beau cadeau.

Mes amis, est ce que tout ceci n’aurait pas mérité un peu de silence avant la célébrations de mes obsèques. Je sais parfaitement que l’agitation fébrile des acteurs de la cérémonie qui, à tour de rôle, tapotent sur le micro, les gammes fracassantes de l’organiste de service ou le CD nasillard camouflé sous un pilier ne prêtent guère au recueillement. Le comble est atteint quand une bonne âme vous perfuse des « Je vous salue » sans aucun préavis. Toutefois, je vous comprends. Discuter de tout ou de rien, c’est faire résonner un peu la vie, parce qu’on fond, on a peur du silence ; il laisse parfois remonter des idées qui vous attaquent dans le dos et ne vous lâchent plus.

Allez, un petit effort, au moins les trois dernières minutes, avant que ne commence le premier cantique ! Tiens, voilà qu’on chante maintenant devant un mort ! Eh bien oui, on chante ; non pas pour se rassurer ou parce qu’on est immortel mais parce que nous croyons que notre vie peut être éternelle. Il faudra y réfléchir et pourquoi pas en silence… »

22 janvier 2010

Entrer au désert ou déserter ?

Les chrétiens vont entrer en Carême à la suite de Jésus qui séjourna au désert pendant quarante jours comme l’avait fait avant lui Elie, en souvenir des quarante ans de l’Exode que le peuple de Dieu avait accompli sous la conduite de Moïse.

Quarante jours durant lesquels Jésus ne va pas déserter le monde, mais faire les choix essentiels qui vont engager sa mission et révéler son identité. « Si tu es Fils de Dieu …alors, montre-le », lui suggère le tentateur. « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi du haut du temple et nargue la mort ; rassasie les affamés en rendant comestibles les cailloux ; prends le pouvoir en te prosternant devant lui ». Et Jésus refuse de « faire le dieu » à la façon des hommes. Il montera sur la croix, mais Il n’en descendra pas malgré les demandes ironiques des amateurs de prodiges. Il donnera du pain, mais en multipliant celui des hommes. Il bâtira un Royaume : ce ne sera pas le sien, mais celui de Dieu.

Ne sommes-nous pas tentés de demander à Dieu qu’Il ressemble à l’image que nous nous faisons de Lui ? Si tu es Dieu, pourquoi n’as-Tu pas stoppé le tremblement de terre qui a frappé ce malheureux peuple d’Haïti ? Si tu es Dieu, comment supportes-Tu le regard implorant des enfants affamés ? Si tu es Dieu, pourquoi n’élimines-Tu pas les violeurs, les violents, les prédateurs, les profiteurs, les dictateurs… ? Et Dieu continue de nous décevoir. Il ne casse pas les croix, Il ne supprime pas la souffrance et la mort : Il en fait le signe de l’amour total. Il ne transforme pas les pierres en pain : Il nous dit de partager le nôtre. Il n’impose pas son pouvoir de l’extérieur : Il le fait naître de l’intérieur de notre cœur.

Oui, il nous faut bien quarante jours de Carême pour vérifier nos choix. Qui est mon Dieu ou plutôt qui est Dieu ? Celui que j’ai fabriqué pour satisfaire mes besoins immédiats et mes désirs frustrés ou celui que me propose Jésus Christ ? Quarante jours de désert et non pas de désertion, pour choisir le silence malgré l’agression incessante du bruit ; pour préférer l’utile au futile ; pour simplifier ma vie et celle des autres au lieu de les compliquer davantage ; pour modérer mes appétits de toutes sortes plutôt que de les satisfaire sur le champ ; pour ouvrir la cage de l’isolement et du chacun pour soi par un partage joyeux et sans arrière-pensée.

Quarante jours pour renouer dans la prière avec un Dieu déconcertant à force de nous aimer mieux qu’un Père, et à force d’espérer que nous Lui ressemblions.

Quarante jours de modération et de frugalité, même notre planète nous en sera reconnaissante…et pour une fois, on considérera que les chrétiens sont à l’avant-garde…
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.