11 juillet 2008

Signe religieux ostentatoire
Vous avez pu remarquer ces jours ci un objet non identifié sur toutes les chaînes de TV et dans les reportages de tous les journaux. Une sorte de bracelet informe, une guirlande de boutons dépareillés tressée de bouts de ficelle réunis par un débris de croix, et le tout, entourant le poignet d’une femme. Tout ce que la République compte de prestigieuses autorités de droite comme de gauche se pressait pour serrer la main qui prolongeait ce poignet. Je m’étonne que pas un président de chaîne de télévision publique, pas un permanent patenté de ligue de-défense-des-vertus-bafouées-de la République n’ait rappelé à Ingrid Bétancourt que cet objet pouvait traumatiser une partie des citoyens de notre pays. Car cet objet, elle l’avait clairement identifié, c’était un chapelet. Mais ne rabaissons pas le débat au niveau des indispositions passagères dont nous, les français, avons le secret.
Cette femme pendant six années a été totalement dépouillée de tout ce qui faisait sa personnalité. Sénatrice, militante politique, belle femme pétillante d’énergie, bonne famille, diplômée, deux fois mère, deux fois épouse, deux nationalités, tout la conduisait vers un brillant avenir.
Au bout de six ans, abandonnée à la jungle et à des brutes, il ne restait d’elle qu’une ombre blanchâtre, affiche pantelante battue par les vents. Il lui a fallu déchirer tous ses titres, tous ses atouts, toutes les peaux qui exprimaient sa personnalité pour n’être plus qu’un objet d’échange, de dérision, de mépris, à peine identifié. Il lui a fallu renoncer à tout y compris le respect d’elle-même, de sa féminité.
Au terme de cette dépossession de soi, elle aurait pu découvrir l’animal tapi en chacun de nous. L’animal encore hargneux, blessé à mort qui se cache et qui attend la fin. Elle aurait pu - et elle l’a certainement fait- découvrir la force de l’esprit humain qui dans sa capacité de mise à distance lui permet de garder ce que nul ne saurait lui ravir, sa liberté intérieure. Elle aurait pu se murer dans un soliloque distant, se draper dans les habits de l’héroïne stoïcienne et vouer désormais un culte à sa propre effigie.
Rien de tout cela. Sa déchéance humaine lui a mieux révélé une présence qui déjà l’habitait et qui désormais la possède entièrement. Ce n’est ni la bestialité, ni la déification qui donnent à l’être humain sa marque propre. C’est sa capacité à se laisser saisir par l’Esprit. C’est dans sa relation à Dieu, pierre angulaire de sa liberté intérieure qu’Ingrid Bétancourt a trouvé la source inviolable de sa résistance au mal. Même si elle n’avait pas survécu à leurs sévices, ses bourreaux n’auraient pu se prévaloir de l’avoir anéantie.
Je comprends pourquoi elle ne se sépare pas de ce chapelet. Il lui ressemble. Aux yeux de tous, c’est un objet de pacotille, dérisoire comme l’était sa vie dans la forêt perdue. Il est devenu un signe indéfectible, incassable, comme l’est aujourd’hui la Foi qui l’anime, sans nulle ostentation.
Je comprends mieux aussi la parole de Jésus qui débutait l’évangile du dimanche suivant sa libération : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que Tu as caché aux sages et aux savants, Tu l’as révélé aux touts petits. » Il y a des petits qui le sont toujours restés et d’autres qui le deviennent. Quand les circonstances de la vie nous enlèvent les masques et les rôles, nous arrachent les peaux imperméables qui nous protégent des autres et du monde, quand la vie se dérobe, quand l’humiliation nous écorche, quand notre propre identité s’effrite, alors Dieu seul s’approche…. Et ces touts petits deviennent grands, grands vivants. Merci Madame Bétancourt.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

L'Esprit-Saint souffle là où l'on s'y attends le moins, il choisit bien ses prophêtes ou peut'être ses apôtres à l'image de St Paul . Merci, mon Dieu !

Anonyme a dit…

Comme vous, j'adresse un grand merci à Ingrid Bétancourt. J'ai, depuis toujours, suivi avec beaucoup d'intérêt son combat et sa carrière politique fort bien décrits dans son livre "La rage au coeur". Son courage, son abnégation, sa dignité, sa force de conviction y apparaissaient déjà; mais quelle "divine" surprise de découvrir que cette militante qui a connu le pire pendant 6 ans est en même temps,maintenant, une femme de Foi et de prière et ne le cache pas; c'est un peu comme si les rôles s'inversaient:nous l'avons soutenue des années durant dans son combat humain de chaque jour, dès son retour,par son témoignage discret mais très fort,elle nous booste et nous conforte dans notre foi en nous ramenant à l'Essentiel. Merci Ingrid!

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.