30 juin 2008

Extraits de mon discours de réception à l'Académie de Béarn

Mesdames et Messieurs.

Puisqu’à travers ma réception dans cette vénérable institution vous voulez honorer les prêtres diocésains, j’allais dire fantassins, je voudrais rendre hommage à trois personnages qui ont durablement marqué mon enfance et la société rurale en général, dont la plupart d’entre nous, nous sommes issus : Je veux parler de l’Instituteur, du Maire et du Curé de nos campagnes. Ils ont formé longtemps une sorte de Trinité qui n’était pas toujours unie « dans une même charité » comme le précise la liturgie, mais dont les fonctions se savaient indispensables les unes aux autres.
Au commencement, mais il y a de nombreux commencements dans l’Histoire, au commencement était le moine. Il savait lire et apprenait à lire les Ecritures : Il faisait office d’enseignant. Il assurait l’office sacré, en cela il était prêtre. Enfin il veillait au Bien Commun de ceux qui cultivaient ses terres. Il était déjà maire. Ces trois fonctions devaient faire en sorte que « la cité terrestre » soit la photocopie de la « Cité du ciel ». Quand les temps furent plus calmes et que les laboureurs s’émancipèrent de la tutelle du monastère et du château, le prêtre se détacha du couvent et se fit curé de campagne. L’enseignement et la gestion des affaires passèrent en d’autres mains. Et c’est ainsi qu’après bien des crises de croissance, de difficiles cohabitations, parfois même d’excommunications réciproques, nous avons les uns et les autres bénéficié de ces trois références, tels les trois tuteurs indispensables aux jeunes arbres plantés en des terrains trop exposés.
Notre maître d’école voulait par la connaissance faire de nous des êtres libres et responsables. La maxime du jour qui, chaque matin, s’affichait sur le tableau noir, devait orienter tous les travaux et donnait aux connaissances acquises leur finalité dernière. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Un jour la leçon de morale s’effaça et la connaissance rétrécie à la seule science désormais triompha. Nous avons connu la période de son apogée, j’allais dire de son impérialisme. Il a fallu du temps pour comprendre que la science était certes nécessaire mais non suffisante à tracer un chemin d’humanité.
Notre instituteur nous a appris à lire à écrire et à parler une langue commune. L’acquisition de ces outils devait servir la vérité. Le message transmis ne pouvait souffrir la moindre altération, c’est pourquoi le mensonge était banni et puni. « Le menteur est l’ennemi de la Vérité ». Quand la communication est devenue science à part entière et que l’information a confiné à l’intoxication mentale, nous nous sommes prosternés devant le mensonge rendu adorable et désirable par la déesse publicité.
Le régent, ainsi nommé dans notre langue régionale, nous a appris à compter et à réciter les tables à l’endroit et à l’envers. Auparavant, il nous avait fait répéter que l’on pouvait toujours compter sur la parole d’un homme. « Parole donnée ne se reprend jamais ». Il n’y a pas longtemps, les chiffres se sont emballés et l’économie triomphante a dû plier le genou devant la finance dont on dit, sans pudeur, qu’elle ne prend ses ordres nulle part tout en profitant bien à quelques uns. La parole donnée est devenue vague promesse et la promesse oscille au gré des fluctuations de la bourse.

Pendant ce temps que faisait Monsieur le Maire ?
Il veillait à l’égalité. Le professeur des écoles, comme on l’appelle aujourd’hui, s’était fait le champion de la liberté car, pensait-il, la connaissance dispensée nous libérait de l’ignorance, source de toutes les servitudes. Mais encore fallait-il apprendre que la liberté individuelle quand elle n’était pas régulée par celle d’autrui, pouvait dégénérer en ces banales tyrannies quotidiennes qui pourrissent la vie commune. Chargé, justement, de la commune et des biens communaux, le maire maintenait cette étroite solidarité des êtres dans l’espace et dans le temps de cette petite portion de la patrie. Curieuse époque, pas si lointaine, où la nomination du desservant de la paroisse figurait dans les soucis du conseil municipal : « Les habitants de Jasses, quoique républicains, réclament un prêtre » stipulait un compte rendu du secrétaire de mairie de la dite commune entre les deux guerres. L’enfant, ayant atteint un niveau d’instruction supérieur à celui des anciens, comprenait néanmoins qu’il leur devait tout et que la participation de chacun à l’œuvre commune fondait leur égale dignité. C’est pourquoi les fêtes patriotiques ou locales réunissaient enfants, jeunes et adultes dans un même geste symbolique et le dépôt du premier bulletin de vote dans l’urne, constituait, avec le service national, l’un des rites majeurs de l’initiation à la vie citoyenne. Liberté et égalité chèrement conquises dans les droits mais aussi dans les devoirs.


Pendant ce temps que faisait le curé ?
Pontifex, faiseur de ponts, il offrait au Créateur, chaque matin, sur la légère patène le lourd travail de la terre, des bêtes et des humains, ces mille relations de parenté ou de voisinage, ce pain quotidien parfois bien rassis d’une vie rude et besogneuse, pour qu’il soit consacré en pain eucharistique, remède de tous les maux et gage d’éternité. Il ne lui restait plus, au long du jour, qu’à traduire en acte ce qu’il avait célébré dès l’aube. Et c’est pourquoi, le curé s’essayait à bâtir ou restaurer les ponts abîmés et vermoulus de la communauté villageoise. Il était souvent le garant de la Fraternité, cette Charité républicaine qui devait fleurir normalement sur les rameaux de la Liberté et de l’Egalité. Chacun sait bien que cette fraternité ne se décrète pas, même par une Constitution. Spécialiste des maux de l’âme, on dirait aujourd’hui, du mal être, il visitait les malades, consolait les affligés, il soulageait à sa façon la misère. Il ne se privait pas cependant de quelques rappels à l’ordre tonitruants rappelant les accents des prophètes de la première Alliance. Au-delà de son statut « d’utilité publique », lui et son église, restaient les témoins éloquents du mystère de l’être humain, de celui de l’origine du monde et de sa destinée.

Mesdames et Messieurs, j’ai parlé au passé mais ce passé est en moi bouillonnant d’espérance. Il me plaît d’imaginer les propos que tiendra, dans cette Académie, un de mes successeurs, issu et pétri de la civilisation urbaine et plurielle actuelle. A quel type d’homme ou de femme, à quelle réalité sociale, politique, associative, assignera-t-il le rôle de tuteur ou de pivot de l’humanité qu’il aura connue et assumée ? Des jeunes qui s’identifient à des modèles parfois inaccessibles pour eux, nous prouvent, s’il en était besoin, que leur désir de grandir et de se développer reste intact aujourd’hui encore. Entre leurs idoles trop lointaines et leur grisaille quotidienne, ils trouveront bien ces passeurs de sens, ces semeurs de rêves et d’énergie dont ils ont besoin. J’imagine encore que mon successeur demandera à l’Académie de Béarn, comme je le fais aujourd’hui, de veiller à ce que l’équilibre des grands idéaux républicains soient préservés. Il ne serait pas souhaitable, en effet, que le déclin ou la disparition de l’un d’entre eux, ne provoque un de ces dangereux appels d’air dans lequel viendrait s’engouffrer telle ou telle idée pernicieuse en quête d’hégémonie.
Je souhaite que longtemps encore, tout enfant de France et de Navarre, des villes ou des champs, reçoive de sa famille les trois trésors inestimables de la sécurité, de la simplicité, de la générosité;
Qu’il poursuive sans cesse les trois objectifs de tout enseignement reçu: le Vrai, le Juste et le Beau ;
Qu’il puisse bénéficier, d’une façon ou d’une autre, des trois grâces théologales de la Foi, de l’Espérance et de la Charité ;
Et qu’il apprenne, enfin, à honorer les trois vertus républicaines dans l’ordre que je suggère Fraternité, Liberté, Egalité.

13 juin 2008

Liberté en pantalon.
Lors du décès d’Yves Saint Laurent, certains media ont annoncé que ce grand couturier français avait « libéré la femme » en lui faisant adopter le pantalon et le smoking. Imaginez la stupéfaction des philosophes anciens et modernes qui ont rongé leurs crayons sur la question du déterminisme et des libertés ; des théologiens qui ont fait de la haute voltige entre la liberté et la grâce et tous ces héros de l’ombre qui ont donné leur vie pour libérer leur patrie. Expliquez leur qu’il suffisait d’une paire de ciseaux et d’une aiguille pour atteindre le même résultat ! Courons apporter la bonne nouvelle aux femmes afghanes, tchétchènes, bengali, tamouls, et autres consoeurs qui toutes portent le pantalon libérateur depuis des siècles. Saluons la libération du vocabulaire du corset étouffant de ce qu’on appelle le sens des mots.

12 juin 2008

Quai 2
Au petit matin du 3 Juin, les lambeaux du circuit de Pau encombrent encore l’avenue de la gare. Nous traversons les courants d’air du quai 2 et nous nous installons sur une banquette, encore tout émoustillés par la rencontre entre une écrivain et ses lecteurs. Et d’emblée les sujets de la veille nous rattrapent : « Dieu le grand absent…et le mal dont on ne peut L’innocenter totalement…pas plus qu’on ne peut dédouaner l’homme du malheur provoqué…mais la Bible, dans la Genèse, n’aurait-elle pas raison d’introduire un autre partenaire qui vient « serpenter » entre le créateur et son « image » ...pourquoi le mystère du Bien n’interpelle-t-il pas autant que celui du mal ?...pourtant la vie n’en finit pas de narguer la mort et l’enfant de jouer dans les ruines de sa maison… »
Derrière nous, trois personnes ont pris place. Le train a du retard. Elles attendent silencieuses. Platon, Augustin, Blondel, Serres, Girard, Dagens, Guillebaud, Onfray, tourbillonnent dans les volutes de la première cigarette matinale. Il est 7h45. Les six pavillons ouverts au-dessus des trois dos inconnus n’en croient pas leurs tympans : quels sont ces deux cinglés qui, sur le café du matin, s’encombrent encore de questions aussi oiseuses qu’inutiles et de réponses à jamais provisoires ? A moins que les cerveaux qui coiffent les six oreilles, ragaillardis par ces fleurs de pensées matinales, n’en fassent leur miel de la journée. Mystère, là aussi insondable, de l’être humain.
Et nous, comme si les trains ne passaient que pour nous saluer, comme si le froid faisait un détour pour nous épargner, comme si la pluie n’intéressait que les autres, nous discutions comme si les deux étudiants que nous avions été n’avaient jamais cessé de l’être. Magie du quai 2 quand Sylvie Germain reprend le train pour de nouvelles pages.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.