28 mai 2008

Palme d’or
Deux journalistes d’une radio, envoyés spéciaux aux futilités mondaines, commentent les montées et descentes des marches de Cannes lors de la remise de la Palme d’Or. Les prouesses verbales dont ils font preuve pour capter l’attention du français moyen sur l’éventuel sourire, forcément ravageur, naissant sur l’extrême gauche de la commissure des lèvres de telle diva, m’obligent à une rude introspection du genre humain. Au fond, la plupart du temps, pourquoi parle-t-on ? Premièrement, pour se prouver que l’on existe. Celui qui se croit perdu dans un univers hostile parle tout seul et à haute voix ; ainsi il se rassure sur son existence. Deuxièmement, pour nous persuader nous-mêmes que ce que nous disons relève d’une importance capitale et que l’évènement que nous relatons va changer la face du monde. C’est pourquoi, comme le disait un ancien confrère lorsqu’il corrigeait des copies : « Quand je doute, j’affirme et quand je ne sais rien, je donne des détails ». J’ajouterai : « Et plus je raconte de banalités, plus j’aligne les superlatifs ». Troisièmement, pour instiller chez les autres l’intime conviction que notre fonction répond à une nécessité vitale du bon fonctionnement de la planète. La preuve en est que certains font profession de décrypter les analyses de leurs compères. Il a dit : « Je suis libéral » ? Non pas du tout il a dit qu’il était libéral. Il est clair que, soit, nous sommes des imbéciles, soit, les premiers rapporteurs s’étaient mal exprimés Je sens déjà que vous aviez envie de m’envoyer un commentaire rageur et que vous hésitez à appuyer sur « répondre à » pour ne pas grossir les rangs des experts en décryptage.
A la suite de ces constatations de fin de dimanche pluvieux, maussade, et pour tout dire exécrable, étonnez vous que les propos de ces journalistes m’aient immédiatement fait penser à l’impérieuse utilité de certains discours politiques. Je concède au moins un avantage aux auteurs de ceux-ci, celui de fournir des sujets divers et variés à leurs amis des médias.
Quarante ans après 68, époque où les uns comme les autres, vous en souvenez, avaient tout compris et tout prévu (!), le slogan reste le même :« Politiques et journalistes, même combat ! Parlez, il en restera toujours quelque chose…au moins l’envie de se taire ».
jeancasanave.blogspot.com

26 mai 2008

Pâquerettes.
« A vivre au ras des pâquerettes, on finit par beugler », c’est ainsi que j’ai introduit, avec un sourire un peu forcé, une célébration de fête de village. Silence étonné de l’assistance. Je venais d’entendre quelques sons gutturaux émanant d’une tablée de jeunes qui manifestement terminaient, en plein air, une nuit de beuverie et saluaient mon arrivée la bouche pleine. L’imbécillité se veut éloquente mais, quand elle a bu, il lui manque les mots.
Et pour commenter mes propos, je citais une mère de famille qui quelques jours auparavant avait apostrophé ses grands jeunes en leur disant: « Si nous continuons à vivre ainsi nous allons finir comme des bêtes. Nous travaillons beaucoup, nous entamons de nouveaux projets, nos activités se multiplient et nous n’arrêtons jamais pour donner un sens à tout cela, pour vivre gratuitement avec les autres de bons moments de fraternité et, ajoutait-elle, pour remercier Dieu.» Travailler, manger, se reproduire, se reposer, c’est à peu de choses près le programme du règne animal.
Après cette mise en condition, je remerciais les quelques jeunes du comité d’avoir voulu donner une autre dimension à la fête du village, une autre table, pour que ceux qui le désiraient puissent se retrouver sur l’essentiel, sur quelques valeurs communes qui fondent notre vivre ensemble. Au fin fond de la campagne béarnaise, nous mettions en pratique ce que nos grands prophètes républicains réclament pour notre société, c’est à dire quelques repères aptes à redonner du sens au travail, du plaisir à la vie familiale, du goût pour l’avenir et de l’espoir pour le genre humain. Ai- je été entendu ? Je l’ignore ; au moins, on m’a écouté.

11 mai 2008

Esprit.
« Fait preuve de mauvais esprit », « contribue au bon esprit de sa classe », telles étaient les appréciations qui fleurissaient parfois en marge de nos bulletins de notes. Nos maîtres d’école étaient satisfaits quand ils étaient parvenus à « faire régner un bon esprit » dans leur école. Ils savaient qu’à la faveur de ce « bon climat» certains écoliers pouvaient révéler des aptitudes insoupçonnées. Mais ils avaient, également, appris de l’expérience qu’il suffisait de deux ou trois énergumènes pour perturber cette météo fragile : rires sous cape, railleries sournoises, moqueries blessantes, bruits insolites, autant de coups de canifs qui venaient déchirer « l’esprit » commun. Croyaient-ils, ces professeurs, que deux esprits, celui du Bien et celui du Mal, se livraient bataille dans le champ clos de la classe pour prendre possession tour à tour du pouvoir ? Non. Ils voyaient bien que le mauvais génie des uns n’était que le détournement et le mauvais usage du bon génie des autres. Sinon, ils n’auraient jamais espéré une quelconque amélioration dans la trajectoire de certains enfants.
Ces souvenirs remontent de ma mémoire en cette fête de la Pentecôte. Qu’appelons-nous « Esprit Saint » ? De par notre création l’Esprit de Dieu nous anime. A l’origine « l’Esprit planait sur les eaux » de la Genèse et le souffle du Seigneur pénétrait la vie de l’être humain pour le faire devenir « image de Dieu » nous dit la Bible. Toute l’histoire du peuple de Dieu témoigne de la présence de cet Esprit divin qui culmine dans la Parole et les actes des prophètes.
Malheureusement ces dons que Dieu nous fait (dont on nous dit qu’ils sont au nombre plénier de 7) pour devenir des hommes selon son désir, nous les dévoyons de leur finalité, comme l’élève qui fait montre de « mauvais esprit ». Connaissance, intelligence, esprit filial, conseil, sagesse, force, respect de Dieu deviennent entre nos mains possessives autant d’atouts et d’outils pour contrarier notre vocation humaine et détériorer la création jusqu’à provoquer leur dégradation. L’énergie divine que Dieu avait infusée en nous se retourne contre Lui et, donc, contre nous.
Il faut que Celui qui possède l’Esprit du Père dans son intégralité, Celui qui fait triompher la Bonté de l’Esprit vienne nous la partager. C’est l’expérience de la Pentecôte ; expérience qui ne se réduit pas à une histoire entre Dieu et moi. Si c’est bien l’Esprit de Dieu dans sa plénitude retrouvée qui inonde ma vie, alors c’est l’humanité entière, et tout l’univers que j’accueille dans l’Esprit. Je me dois de rester ouvert à toutes les « langues-cultures » des hommes, à la plainte étouffée de la terre qui gémit « dans les douleurs de l’enfantement », comme à ses bouffées de joie.

04 mai 2008

Nicodème.


Nicodème, quelle ne fut pas ta déception lorsque tu appris que ce Jésus qui avait fait naître en toi une folle espérance après votre rencontre nocturne, était mort, et, qui plus est, avait été crucifié comme un vaurien ! Totalement désemparé, tu voulus lui témoigner une dernière fois ta reconnaissance, et, accompagné de Joseph d’Arimathie, tu allas demander à Pilate la permission de l’ensevelir correctement.
Toi qui étais Rabbi, maître en Israël, tu étais hanté par la question du Royaume de Dieu, de l’au-delà du temps, de la mort. Tu connaissais parfaitement l’histoire de ton peuple. Depuis la sortie d’Egypte et le retour d’Exil, cette histoire n’avait été que résistance contre toute oppression, perpétuelle insurrection de la Vie.
Certains de tes compatriotes pensaient que les morts séjournaient dans un monde larvaire totalement coupé de Dieu. Mais depuis deux ou trois siècles l’aventure des martyrs d’Israël, les prophéties de Daniel redonnaient une certaine actualité au message du prophète Isaïe qui avait annoncé, autrefois, une nouvelle création.
Tu n’ignorais pas, non plus, que les philosophes grecs très influents à ton époque, croyaient en l’immortalité, mais de l’âme seulement, et que d’autres courants spirituels parlaient de réincarnation et de communication des esprits.
Cette histoire de renaissance te tracassait. Jésus t’avait parlé de l’Esprit qui renouvelait toutes choses. Tu savais aussi qu’il avait rendu la vue aux aveugles, qu’il avait redressé les courbés, relevé les paralysés et même redonné la vie à son ami Lazare. Son passage au milieu des siens s’était déroulé dans un climat de re-création tel, que sa disparition en avait été plus douloureusement ressentie.
Et tu te demandais : Dieu n’était-il pas capable de nous re-susciter à la vie puisqu’il avait créé le monde à son origine à partir de rien, lorsque l’Esprit déjà planait sur les eaux ? S’il avait fait le monde à partir du néant, Il pouvait bien le refaire à partir de la mort !
Ce formidable élan que Jésus impulsait avait échoué sur la croix. Il fallait te rendre à l’évidence et enterrer avec lui tes espoirs les plus fous.
Quelle ne fut pas ta surprise, Nicodème,lorsque trois jours après la mise au tombeau, quelques uns des disciples, et non des moindres, te racontèrent qu’ils l’avaient vu vivant, qu’ils l’avaient touché, qu’ils avaient mangé et bu avec lui !
Alors te revint en mémoire qu’à la fin de ta visite, Il t’avait dit qu’Il lui fallait être élevé. Mais alors, cette ascension, ne l’avait-il pas commencée en montant sur la croix ? L’élévation du crucifié devenait le dernier signe de Celui qui devait, non seulement pénétrer la vie, mais encore la mort et le péché de la puissance de l’amour de Dieu et de son pardon.
L’Evangile ne nous dit pas, Nicodème, si tu es devenu croyant. Mais tous ceux et celles qui ont suivi le Christ et qui ont vécu de son Esprit, tous ceux là, ont désigné le jour de leur mort comme celui de leur véritable naissance. En témoignent les anciennes pierres tombales qui ne comportent qu’une date, celle de la naissance au ciel. Maurice Clavel, le philosophe converti de 68, l’avait désiré pour sa sépulture à Vezelay.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.