19 janvier 2007

Homme ET Dieu.
Ceux et celles qui ont suivi la finale de mon exposé sur l’évangile de Luc trouveront, je l’espère, ici, quelques repères pour reprendre laborieusement l’épineuse question de l’Incarnation. La question de l’identité de Jésus a failli faire éclater l’Eglise des origines (Arianisme, Nestorianisme, Docétisme etc.) et n’a cessé depuis lors, d’être la toile de fond de toutes les questions qui agitent la communauté des chrétiens. La dernière polémique concernant le rite de St Pie V n’échappe pas à ce décor. Nous retrouvons les tenants d’une liturgie qu’ils considèrent comme action avant tout divine s’indignant contre ceux qui auraient trop tendance à favoriser sa dimension humaine. La même interrogation de fond sous tend les derniers sondages publiés par « Le monde des religions ». Ils mettent en évidence une majorité de catholiques qui n’éprouvent pas la nécessité d’affirmer la divinité du Christ. Homme OU Dieu ; Dieu ET Homme ?
Notre tendance première est d’opposer les deux réalités. Plus Jésus serait Dieu moins il serait homme ; plus il serait homme moins il serait Dieu. Telle est notre logique !
L’exposé de notre théologie n’a pas toujours arrangé les choses. On nous parle de nature et de sur nature, de création et de rédemption, de liberté et de grâce, de divin et d’humain comme si toutes ces réalités se superposaient, s’ignoraient ou s’opposaient. Il en résulte un effet de plaquage : la surnature venant se superposer à la nature sans que cela ne change rien à celle-ci. C’était l’idée de ceux qui pensaient que Jésus n’avait pris qu’une apparence humaine. Cette pensée en binôme peut laisser croire aussi que l’humanité peut neutraliser la divinité. Ainsi raisonnaient ceux qui s’interdisaient de croire en un Jésus-Dieu. Le rapport divinité et humanité peut aussi se concevoir sous le mode de l’absorption (l’humanité s’effaçant devant le divin)ou de l’instrumentalisation (L’humanité n’étant que le marchepied de la divinité.) Enfin, le manichéisme est allé jusqu’à opposer l’une et l’autre réalité, l’une penchant vers le Mal et l’autre vers le Bien.
Toutes les hérésies du début de l’Eglise se résument en deux cas de figure. Soit Jésus se présente comme un Dieu qui a fait semblant d’être un homme, soit c’est un homme qui est devenu Dieu. Dans les deux cas Jésus est pour nous un MODELE et non pas un SAUVEUR. C’est tout l’enjeu de ce qui pourrait nous apparaître comme des polémiques de théologiens tatillons Les premiers conciles affirment qu’Il est TOTALEMENT Dieu ET TOTALEMENT homme sans qu’il y ait confusion mais plutôt communion des natures. Et c’est parce qu’Il est totalement l’un et l’autre qu’Il peut être le sauveur ou le « grand prêtre » définitif comme St Paul le développe dans la lettre aux Hébreux.
Voici quelques clefs qui, à défaut de rendre compréhensible ce qui reste le mystère de la personne unique de Jésus, peuvent aider à éviter les simplifications.
C’est le même Dieu qui crée et qui sauve. Dès l’origine Dieu nous crée pour nous introduire dans sa vie, dans un seul « geste » créateur et sauveur. C’est pour nous faire participer à sa divinité qu’Il nous crée. Il n’y adonc pas opposition entre création et rédemption, nature et surnature etc.…
Quant à l’homme, la Bible nous dit qu’il est crée à « l’image de Dieu et à sa ressemblance ». Autrement dit plus il est « humain » ou « humanisé » plus il est image de Dieu. On peut dire également que c’est dans l’exercice même de sa proximité, de sa ressemblance avec Dieu qu’il accomplit son humanité.
Mais l’image n’est plus ressemblante. Le péché l’a ternie, l’a déformée, l’a même rendue incapable de refléter la vérité de Dieu. L’homme ne peut même plus accéder à une juste image de Dieu, il devient une « machine à faire des dieux ».
Grâce au don et au pardon offerts par le Christ, c'est-à-dire par grâce, non seulement l’image est restaurée mais la ressemblance est retrouvée. Il faut en effet sortir de l’idée du modèle ou du sauveteur pour penser « sauveur ». Avoir un modèle dans la vie est certes intéressant mais il ne suffit pas. Un suicidaire se débat dans le courant où il a plongé. Il ne suffit pas que de la berge je lui indique, tel un bon modèle, les mouvements de la natation pour qu’il s’en sorte. Si je plonge et que je vais le repêcher, je me comporte en sauveteur et non en sauveur. Il n’atteindra son SALUT que si en outre il guérit de sa dépression. Le Christ non seulement rectifie notre image du vrai Dieu mais nous guérit du péché qui la faussait. Ainsi Il restaure en nous notre humanité et nous établit déjà dans la capacité de communier à la vie de Dieu.
Ce que l’homme reçoit et réalise par la grâce, le Fils le réalise par nature. Ainsi dans la mesure où il déploie sa nature divine, il ne contredit en rien sa nature humaine, au con traire Il l’accomplit. Comme l’enfant ne ressemble totalement à son père que lorsqu’il a atteint son autonomie et sa maturité ainsi chez le Fils l’accès à son autonomie humaine ne diminue en rien sa communion intime avec son Père. C’est dans l’extrême de son humanité qui n’est que don et pardon, qu’Il nous révèle sa divinité et celle du Père.
Nous pouvons peut-être mieux comprendre pourquoi Jésus révèle sa divinité en prenant le contre-pied de l’idée de Dieu que voudrait lui imposer Satan dans les tentations au désert (Lc 4). En effet, Il va refuser le pouvoir magique de transformer des cailloux en pain ; le pouvoir absolu sur les royaumes terrestres et enfin l’exploit gratuit de l’invincibilité. Au contraire, le pain Il le multipliera mais à partir de l’offrande et du travail de l’homme. Du royaume, il en parlera, non pas comme le lieu de l’exercice du pouvoir mais comme le résultat de la conversion du cœur. Enfin le temple de pierre sera jeté à bas mais lui, temple nouveau montera sur la Croix et n’en descendra pas.
« Si tu es Fils de Dieu !...», la tactique de Satan n’a pas changé depuis la Genèse. Il avait tenté l’homme non pas en lui proposant de revenir à la bestialité, mais par le meilleur de lui-même : Vous serez comme des dieux…Il est le Malin. Pour Jésus même approche ; « Si tu es Fils de Dieu… » alors, montre toi comme un dieu tel que nous le souhaitons. Un dieu qui n’est atteint ni par la faim, ni par la limitation, ni par la souffrance. Jésus refuse ce dieu là. C’est en devenant lui-même pain à partager dans l’Eucharistie, Royaume ouvert aux petits aux non puissants, Temple d’une offrande définitive et sans péché qu’il manifeste à la fois sa totale humanité et sa totale divinité. C’est peut être dans ce sens qu’il faut comprendre le mot de Paul dans l’hymne aux Philippiens : « Reconnu Homme à son aspect…Ph 2,7 » C’est dans la reconnaissance de son humanité dépouillée de tous les attributs idolâtres que se dévoile sa divinité.

Dire non à dieu, par fidélité à Dieu, c’est la démarche de toute la Bible » Jean Sulivan.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci, Jean, de revenir sur une conclusion, que je n'ai pu suivre sur le moment avec toute l'attention qu'elle méritait. Mais cette question me demande encore, malgré vos éclaicissements, beaucoup d'efforts, en tant que "simple croyante", pour ne serait-ce qu'approcher le mystère de l'Incarnation.

Anonyme a dit…

Faut-il un autre merci pour cet éclaircissement, ou plutôt cette "redite" qui nous permet de nous replonger, plus tranquilement, dans ce trés grand moment de notre Foi, vécu en Eglise autour de vous ? Vraiment un trés grand moment dans lequel je replonge avec passion et plaisir dans cette grande question comme à une Source de maturation de ma foi...

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.