25 mars 2006

Laurence

A la suite de mon article sur « l’autre » Laurence de Lescar qui comprend la nécessité absolue de l’autre pour construire son identité me pose la question : « Mais alors que dire des moines et de tous ceux et celles qui réduisent au maximum les relations ? ».
Fréquentant depuis très longtemps le monastère bénédictin de Belloc je peux la rassurer. Les moines ne sont pas coupés du monde, ils le portent dans leur prière. De même que leur vie est centrée sur l’essentiel, c'est-à-dire la relation à Dieu, de même leurs relations avec le monde extérieur. Ils font un tri entre l’écume des vagues et les courants de fond. De plus les nombreuses personnes qui passent dans les couvents leur apportent bien souvent ce qui fait le poids d’une vie humaine et leur font grâce des futilités inconsistantes.
Il ne faut surtout pas négliger le fait que ces hommes et ces femmes qui ont fait le choix de réduire leurs relations « mondaines » vivent en communauté avec des frères ou des sœurs qu’ils n’ont pas choisis. Là s’ouvre pour eux le difficile chemin de la relation. « Si vous saluez vos amis que faites vous d’extraordinaire ? Les païens en font autant ! » dit l’Evangile. Mais pour vivre toute une vie, sans aucun répit, avec l’autre tel qu’il leur est donné et qui n’est pas forcément aimable, il faut avoir des motifs supérieurs qui leur viennent « d’en haut ». Dans ce cas là, si l’autre, n’est pas pour eux le visage même du Seigneur, alors cette vie est intenable.
Ce qui vaut pour les moines vaut également pour nous. Quand l’amitié ou l’amour n’embrasent plus de leurs feux, quand la platitude des jours succède à l’enchantement des aurores, quand la fidélité a besoin de trop se raisonner, il est temps de retrouver une source qui dépasse nos capacités d’aimer et de nous rappeler « Dieu est Amour… ». Tous les mystiques nous le disent : la relation à Dieu suffit à combler une vie d’homme, mais il ne faut se cacher qu’elle est la plus difficile à vivre ou à « mourir ». Car « Voir Dieu ou mourir… ! ». Nous y reviendrons.

24 mars 2006

C P E

Le contrat dit de première embauche a réussi à mettre dans la rue les étudiants qui rêvent d’une carrière bénéficiant des avantages acquis par leurs grands parents et quelques casseurs vexés de n’avoir pas mis le feu au pays il y a quelques mois.
Il y a 40 ans les jeunes de ma génération savaient que dès la licence acquise ils pourraient travailler. Pourquoi aujourd’hui les jeunes bardés de diplômes restent-ils sur le carreau ? La raison principale me semble t-il c’est que les jeunes à mon époque n’étaient pas reçus au bac à 80%... pas même au BEPC. Ils avaient dû franchir des seuils qui leur donnaient la possibilité de s’engager plus tôt dans le travail.
Ces seuils ne constituaient pas seulement un système de sélection par rapport à l’enseignement dit supérieur. Ils avaient l’avantage de leur offrir des rites d’initiation. Ce sont ces rites qui ont disparu jusqu’à l’emblématique service national.
Ces rites permettaient en autres choses de faire comprendre une chose simple : « on n’a rien sans effort et sans risque ». On sent dans les revendications actuelles le souhait irréel d’une société qui pourrait donner à chacun ce qu’il veut quand il le veut.
Les adultes qui entretiennent ce rêve sont les fossoyeurs de leurs propres enfants.

17 mars 2006

16 Mars :
16 mars les étudiants battent le pavé parisien… le printemps revient. La vallée d’Ossau est splendide. Trois « papy » chaussent les raquettes et arpentent d’un pas de sénateur la piste ouverte au lieu dit « Pont de Camps ». Pour se récompenser de l’effort accompli ils s’envolent vers la cafétéria de la station d’Artouste et de là bien « calés devant leur assiette, le visage flambant, ils toisent le Pic du Midi d’Ossau et son entourage éclatant.
Quand j’étais jeune, au retour d’une expédition de ce genre, je proclamais volontiers: « Nous avons tutoyé l’Ossau ». Aujourd’hui je me contenterai de dire : « Nous avons vouvoyé l’Ossau, et encore, de très loin et de bien bas… »
A chacun ses pavés, le nôtre hier était grandiose et dans son immobile sérénité il nous rassurait…

09 mars 2006

L’Autre
Quand la mondialisation des échanges commerciaux et culturels ouvre tous les jours notre domicile à « l’étrange » ; quand les informations nous gavent tous les soirs de faits divers qui dénotent qu’une partie de nos contemporains ont une tout autre idée de la vie, de la mort, de la famille, du travail, il y a urgence à nous interroger sur l’Autre.
Il faut d’abord rappeler une évidence: nous ne sommes rien sans l’autre. Le début et la fin de notre vie nous obligent à constater que nous ne sommes que relation. S’il nous arrive de l’oublier quand nous atteignons notre jeunesse inconsciente ou notre maturité « triomphante », les évènements de la vie se chargent vite de nous recadrer.
Si notre être n’est que relation, notre identité elle-même, nous ne peut se construire sans référence à l’autre. Si j’étais tout seul flottant dans un ciel obscur je ne pourrais jamais savoir qui je suis. Ainsi la solitude n’est pas seulement souffrance de l’absence de l’autre, mais oubli effrayant de mon identité. S’il y avait une seule étoile dans ce ciel, je saurais au moins que je ne suis pas cette étoile. Je ne peux dire « je » que par rapport à un « Tu ».
Parallèlement à cet autre qui m’est indis-pensable, au sens où je ne peux pas me penser sans lui, l’autre est aussi celui qui m’impose une limite et c’est la prise de conscience de cette limite qui me fait accéder à le vie adulte. Il y a un moment où le gamin qui hurle pendant un repas doit se heurter à la présence des autres et ne plus se croire seul au monde. « L’autre sans qui nous ne pouvons pas vivre et à l’inverse celui dont la seule existence nous empêche de vivre » constate Luc Ferry dans un dialogue avec Marcel Gauchet.
Lévinas lui, nous mène encore plus loin (1). Il n’hésite pas à fonder la relation à l’autre sur un impératif éthique. L’autre n’est pas seulement l’objet indispensable de mon environnement ou le complément de moi-même toujours à la recherche de sa moitié. Mais si par le fait même que j’existe, je permets à l’autre d’être lui-même, alors le seul fait d’exister me rend responsable de l’autre.
Cette constatation pourrait nous accabler sous le poids de la responsabilité. Elle peut aussi se transformer en action de grâce. Qui que tu sois, tu es responsable d’une rose, dirait Saint Ex.
(1) Emmanuel Lévinas « Ethique et infini » cité précédemment.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.